Mikolas Josef, le Justin Timberlake tchèque, un des favoris à l’Eurovision
Cela fait des années que la République tchèque ne brille guère au concours de l’Eurovision, dont la demi-finale se déroule mardi, à Lisbonne. Avec sa chanson Lie To Me, le représentant tchèque de cette année, Mikolas Josef, est toutefois déjà crédité de bonnes chances de réussite par les bookmakers. Cette participation est aussi l’occasion de revenir sur l’histoire de l’Eurovision dans le pays.
Difficile en effet d’abandonner en si bon chemin : largement plébiscité pendant la sélection nationale organisée en janvier dernier, Mikolas Josef incarne pour la premà l’ière fois depuis des années un espoir de victoire pour la République tchèque dans ce concours mondial de la chanson, comme le note l’historien Dean Vuletic, auteur d’un ouvrage de référence sur l’Eurovision :
« Cette année, de nombreux commentateurs estiment que les Tchèques ont de grandes chances d’accéder à la finale avec cette chanson Lie To Me interprétée par Mikolas Josef. Je suis d’accord avec eux. Cette chanson est vraiment puissante. C’est la meilleure performance tchèque jusqu’à ce jour, depuis son retour dans le concours. Alors tous les espoirs sont permis. »Pour la République tchèque, ce n’est en effet que sa septième participation au télé-crochet mondial, décrié par certains pour son kitsch, mais suscitant aussi l’enthousiasme chez d’autres comme pour un événement sportif. Arrivés en 2007 et absents de 2010 à 2014, les Tchèques ont échoué à cinq reprises en demi-finale et n’ont obtenu qu’une maigre 25e place lors de leur unique finale en 2016 avec Gabriela Gunčíková.
Sous le régime communiste pourtant, l’Eurovision était même diffusée dans le pays et bénéficiait d’une large audience, comme le rappelle Dean Vuletic. Pourtant, jusqu’à ce jour, les quelques participations de la République tchèque n’ont pas l’air d’avoir suscité beaucoup d’engouement dans le pays. Tentative d’explication avec Dean Vuletic :
« Il y avait une histoire de l’Eurovision ici. Mais après la révolution de Velours, l’audience n’a fait que baisser. Je pense qu’à l’époque, avec l’arrivée de Václav Havel au pouvoir, et des gens autour de lui, les goûts musicaux des Tchèques étaient davantage rock’n’roll que pop. La pop qu’on pouvait entendre à l’Eurovision était similaire à celle que l’on pouvait entendre au télé-crochet du bloc de l’Est, Intervision, avec des stars comme Karel Gott ou Helena Vondráčková. Cela n’avait pas la même signification socio-politique comme le rock qui était vu comme une musique de résistance. Après 1989, c’est le rock qui était ‘cool’ ici, pas la pop. »Et d’ailleurs, Karel Gott, dont la popularité en Tchécoslovaquie puis en République tchèque, a traversé les âges, quelle que soit la situation politique du pays, a lui-même participé à l’Eurovision en 1968… mais pour l’Autriche voisine ! Dean Vuletic nous rappelle dans quel contexte :
« C’était l’époque du Printemps de Prague, et l’ORF, la Radiotélédiffusion publique autrichienne, avait choisi Karel Gott pour signifier le soutien de l’Autriche à la libéralisation du Printemps de Prague. L’ORF avait de très bonnes relations avec la Télévision tchécoslovaque, et d’ailleurs c’est elle qui a largement diffusé les images de l’invasion soviétique du pays en 1968. Cette relation spéciale entre les deux pays à l’époque a certainement eu une incidence sur la sélection de Karel Gott. En outre, sa chanson était très symbolique, puisqu’elle parlait de voisins qui ne se connaissent pas. Il y avait donc une certaine référence au rideau de fer dans ce morceau… »Si la chanson de Mikolas Josef cette année n’a aucune référence politique masquée, contexte démocratique oblige, lui aussi entretient un lien avec l’Autriche voisine puisqu’il vit à Vienne depuis qu’il s’est fait remarquer par un producteur local à succès qui a grandement contribué à sa popularité. En attendant la demi-finale, les bookmakers classent le jeune Tchèque à la troisième place derrière Israël et l’Estonie. Verdict mardi à Lisbonne.
Dean Vuletic est l'auteur de « Postwar Europe and the Eurovision Song Contest », paru en 2018 chez Bloomsbury Academic.