Miloš Forman : un monstre sacré du cinéma s'en est allé
C’est une des plus grandes personnalités du cinéma mondial qui s'en est allée. Le réalisateur oscarisé Miloš Forman est mort vendredi dernier aux Etats-Unis, où il avait émigré en 1968. Avant d’être récompensé à Hollywood pour Vol au-dessus d'un nid de coucou (1975) et Amadeus (1984), Miloš Forman était le fer de lance de la nouvelle vague des années 1960 avec notamment ses films L’As de pique, Les Amours d’une blonde et Au feu, les pompiers !, devenus de grands classiques du cinéma tchèque.
Autre star du cinéma, l’actrice Mia Farrow a été plus mesurée dans ses propos, indiquant sur son compte twitter que « le plus brillant des cinéastes pouvait aussi être gentil, généreux, humble et loyal ».
Ancien directeur du Festival de Cannes, Gilles Jacob a résumé, pour l’AFP, l’essentiel de la carrière de Forman, en soulignant que le réalisateur de L’As de Pique avait été le seul cinéaste « à être passé de la Nouvelle vague tchèque aux grands films d’auteur populaire américain couverts d’Oscars (Amadeus) ».
Une preuve de plus que Miloš Forman fut aussi le symbole d’une époque, d’un style cinématographique et d’un pays, la Tchécoslovaquie : c’est son nom qui a immédiatement été évoqué par Catherine Deneuve, venue en mars dernier au festival Febiofest, lorsque notre collègue Pierre Meignan lui a demandé ce que représentait Prague pour elle : « La révolution de velours, Miloš Forman, Václav Havel, voilà ce que cela m’évoque ! » Catherine Deneuve et Miloš Forman, deux amis qui se sont rencontrés en 2011 sur le tournage du film Les Bien-aimés de Christophe Honoré.En effet, le lien que le cinéaste tchéco-américain entretenait avec la France et ses cinéastes était inébranlable. C’est d’ailleurs par la France que Miloš Forman est passé avant de s’installer pour de bon aux Etats-Unis, peu avant l’occupation de la Tchécoslovaquie par les armées du Pacte de Varsovie, en 1968.
Au tout début des années 1970, Miloš Forman présente au Festival de Cannes son premier film tourné en Amérique, Taking Off, un long-métrage co-écrit avec le scénariste français Jean-Claude Carrière. A Cannes, Miloš Forman a par ailleurs rencontré son amie pragoise, la journaliste Eva Zaoralová, devenue, après la révolution de velours, la directrice artistique du Festival international du film de Karlovy Vary. Eva Zaoralová se souvient :« A Cannes, Miloš Forman a reçu le prix du jury pour Taking Off. Mais aux Etats-Unis, ce film n’a pas eu un succès commercial, car il était très différent de ce que le public américain était habitué à voir. Je me souviens que nous avons beaucoup parlé de la situation en Tchécoslovaquie. Pour Miloš, c’était une période difficile car il avait laissé à Prague sa femme (Věra Křesadlová, ndlr) avec leurs fils jumeaux (Petr et Matěj Forman, ndlr). Il refusait de se faire retirer son passeport tchécoslovaque et en même temps, son séjour à l’étranger était considéré comme illégal. Avec lui, je pouvais parler ouvertement, ce qui n’était pas le cas des autres Tchèques au Festival de Cannes. Vous ne saviez jamais si la personne en face de vous n’était pas chargée de vous suivre et d’informer ensuite la police secrète de vos activités. »
Avec le scénariste et son ami de longue date Jean-Claude Carrière, Miloš Forman a collaboré également au film Valmont et à son dernier long métrage, Les Fantômes de Goya, réalisé en 2006 et qui a reçu un accueil plutôt réservé de la part du public et de la critique. A tort, estime Eva Zaoralová :« A mon avis, c’est un film très intéressant, car il reprend une fois de plus le thème principal des films de Forman : l’oppression d’un individu par le régime en place, par un système établi. Dans Les Fantômes de Goya, ce système était représenté par l’Inquisition espagnole, dans Vol au-dessus d’un nid de coucou, le personnage principal se bat pour sa liberté face à la machinerie du système des soins psychiatriques. Dans tous les films de Forman, les personnages luttent, chacun à sa manière, contre une oppression. »
Miloš Forman aura sans aucun doute influencé la nouvelle génération de cinéastes tchèques. Le réalisateur David Ondříček, fils du caméraman de Forman Miroslav Ondříček, s’est souvenu de lui comme d’un « fabuleux conteur » et « d’un homme adorable. » Le cinéaste a laissé la même impression au réalisateur Bohdan Sláma qui avait publié un entretien de Miloš Forman sous forme de livre. On l’écoute :« J’ai connu Miloš Forman en tant qu’homme âgé. Ce que j’ai surtout admiré chez lui, c’est qu’il a su conserver un esprit jeune et vif. C’est quelque chose qui ne disparaît pas avec la mort. Il nous a laissé une œuvre immense qui sera apprécié par des spectateurs pendant des centaines d’années encore, du moins je l’espère. On se souvient de lui comme de quelqu’un de très gentil et de très généreux. Finalement, c’est ce qui compte le plus. »