Musulmans en République tchèque : un mélange de respect et d’ignorance
Si elle est bien moins nombreuse qu’en France, en Grande Bretagne ou en Allemagne, il existe cependant une petite communauté arabe en République tchèque. Loin des problèmes d’identité et d’intégration que peuvent vivre les pays d’Europe de l’Ouest, en République tchèque les musulmans vivent leur foi et leur culture sans contraintes, même s’ils se heurtent aussi parfois à l’ignorance de la société tchèque.
Tout comme celle de Brno, deuxième lieu de prière musulman du pays, la création de ce qu’on appelle la mosquée de Prague est le résultat d’une longue bataille. Longtemps ballotés d’un endroit à l’autre, les musulmans peuvent enfin pratiquer le culte dans une lieu fixe depuis la fin des années 1990, même si sur le papier, il ne s’agit pas officiellement d’une mosquée, comme le rappelle Lazhar Maamri, d’origine algérienne, président de la Fondation islamique à Prague.
« En 1997, un de nos frères à Prague a acheté un endroit pour créer une mosquée. Enfin, telle était l’idée à l’époque, mais c’était impossible à réaliser. Donc on a au moins créé un centre islamique. En 1999, la recontruction était terminée et donc, dans cet endroit, dans le IXe arrondissement de Prague, à Černý Most, on a commencé un long chemin vers ce qui est devenu le plus grand centre islamique de République tchèque. A Brno aussi, ils ont construit une petite mosquée, pour environ 200 personnes, pas plus. Mais nous, on a un lieu plus vaste, sur une superficie de 2000 m2. Et la fondation a commencé à mettre en pratique ses objectifs : regrouper les musulmans, organiser les cinq prières quotidiennes, assurer la présence de deux imams, un qui vient de Bosnie, l’autre du Yémen. »La communauté arabo-musulmane n’est pas très grande en République tchèque. 10 000, ce serait le nombre de musulmans dans le pays, parmi lesquels quelque 3 000 pratiquants. Une grande majorité des membres de la communauté arabe sont d’anciens étudiants arrivés dans le pays sous le communisme, dans le cadre des liens entre de nombreux pays non-alignés aux satellites de l’Union soviétique. Certains ont fait leur vie en République tchèque comme Lazhar Maamri. L’absence de problèmes d’intégration comme il peut y en avoir en France est pour lui très simple à expliquer.
« L’avantage c’est que la communauté est constituée de 75 à 80% de gens instruits, des gens qui ont fini leurs études en République tchèque. Cela veut dire qu’ils connaissent la société tchèque, qu’ils ont des relations avec les citoyens tchèques. Ce sont des relations directes quand ils se sont mariés avec des Tchèques ou indirectes quand ils travaillent dans des sociétés tchèques. Ils ont des amis tchèques. Ce sont des personnes qui ne sont pas venues ici comme les émigrés en France ou en Allemagne. La majorité ce sont des anciens étudiants, ils ont donc une base, ils savent ce que c’est que de vivre dans une société qui ne connaît pas l’islam. »
D’autres encore sont arrivés après 1989, mais plus pour faire du commerce, comme Kader qui rappelle pourquoi il a ouvert une épicerie dans le centre-ville de Prague.« Avant, ce genre de magasins n’existait pas ici. J’ai donc eu cette idée, et c’est une bonne idée car beaucoup de gens sont intéressés par nos produits, des Tchèques, des Français, les étrangers de manière générale. C’est pour cette raison que je suis ici : pour faire un capital et rentrer au Maroc. »
Une deuxième vague d’immigration plus économique qu’autre chose puisque comme Kader, la plupart espère un jour rentrer au pays.
Pratiquer sa religion, manger halal n’est finalement pas un problème aujourd’hui pour les musulmans de République tchèque. Beaucoup s’accordent à dire que côté tchèque, il y a finalement plus d’indifférence et de méconnaissance que de racisme à proprement parler. Et puis au cœur du pays le plus athée d’Europe, même les signes extérieurs religieux n’offusquent guère. Laazhar Mamri :
« Etre musulman ici, c’est très simple. On pratique notre culte sans problème. Il y a de la viande halal. On peut faire les cinq prières pendant la journée, et partout : pas uniquement à Cerny Most, où se trouve la fondation. Personne ne nous en empêche. Moi, j’ai fait un jour la prière au parc : il y avait des policiers à côté de moi... Dans ce domaine, je peux dire qu’on a plus de liberté que dans d’autres pays comme la France ou l’Allemagne. Ici, la communauté est petite : d’un côté on est respecté, de l’autre côté, on est considéré comme des étrangers. »Rasha Hedar à 24 ans. Elle est tchèque, née à Prague, mais ses deux parents sont syriens. Bilingue, elle a grandi dans une double culture sur tous les plans :
« Par exemple on fête Noël, même si pas de la même façon que les autres Tchèques. Mais on décore le sapin, on se fait un bon dîner, parfois on regarde la télé ou on va se balader en ville. Pâques aussi... on fête les fêtes tchèques et les fêtes arabes. Le Ramadan aussi, on essaye de le respecter, même si pour moi, en tant qu’étudiante c’est difficile : j’arrive à ne pas manger, mais ne pas boire, c’est trop dur. En République tchèque, c’est beaucoup plus dur à suivre qu’en Syrie. »
A l’école primaire, on la prenait pour une rom, minorité la plus sujette au rejet et au racisme en République tchèque. Avec le temps, Rasha a passé outre les amalgames faciles, même si elle reconnaît que l’après 11-septembre a été dur à vivre :
« Après le 11 septembre, j’étais plus âgée, mais mon frère, plus jeune, l’a mal vécu. Il faisait partie d’une chorale et les autres se moquaient de lui, en disant qu’il cachait Ben Laden sous son lit... Ils étaient vraiment pas sympa avec lui et il revenait en pleurs à la maison. C’est pour cela que j’ai choisi de m’orienter vers des études internationales parce que si j’avais fait un cursus classique, j’aurais retrouvé les mêmes personnes. »
Si elle aime la République tchèque qu’elle considère comme son pays, son but : partir travailler à Bruxelles ou La Haye. Comme d’autres jeunes Tchèques, issus d’une double-culture, ceux de la communauté arabe tournent leur regard au-delà des frontières de leur pays.
Rediffusion du 11/1/2011