Les Roms tchèques
Depuis l'exode des Roms tchèques vers le Canada, en été 97, on ne cesse de parler de la condition de la minorité tzigane en République tchèque. Les Tchèques sont souvent critiqués d'avoir une attitude raciste vis-à-vis de leurs con-citoyens tziganes, ce conflit ayant ses origines le plus souvent dans l'ignorance et le désintérêt pour les problèmes des ethnies qui ont une autre culture et un mode de vie différent. C'est pourquoi j'ai consacré ces Chapitres de l'histoire tchèque à l'histoire de la minorité tzigane en Bohême et en Moravie.
D'après des sources historiques et ethnographiques, les Roms que nous rencontrons en Europe mais aussi dans d'autres coins du monde sont des descendants de plusieurs groupes, assez éloignés du point de vue ethnique, qui ont quitté leur pays d'origine dans plusieurs vagues de migration et pour des raisons différentes. Les Roms viennent de l'Inde à laquelle ils sont liés notamment par leur caractéristique anthropologique et la langue. Environ 10 millions de Roms vivent actuellement dans le monde entier, dont 4 à 5 millions en Europe. Le plus grand nombre de Roms par rapport au nombre total des habitants se trouve en Slovaquie. En Bohême, ils sont de 150 à 180 000. Dans le passé, les Roms vivaient en nomade et gagnaient leur vie comme diseurs de bonne aventure, saltimbanques ambulants, mais aussi forgerons, selliers ou bouchers. Certains vivaient comme citoyens libres, d'autres se trouvaient dans une position dépendante. Les chroniques mentionnent de riches commerçants roms, mais aussi ceux qui ont été condamnés pour leurs dettes ou vendus même. Les Roms que nous rencontrons en Europe centrale et occidentale, au XVe siècle, étaient plus ou moins acceptés par le reste de la population. Le bruit se répandait qu'ils étaient des pèlerins chrétiens chassés de l'Egypte. Protégés par les décrets édités par l'empereur Sigismond et le pape Martin V, les Tziganes vagabondaient à travers l'Europe entière sans efforts de s'installer ou de s'intégrer à la population locale.
Au fil du temps, la condition des Roms s'est dégradée. Le mode de vie ambulant, considéré comme immoral à l'époque, l'indifférentisme, la vie parasitique et les conflits de plus en plus fréquents avec le reste de la population inspirent de la répulsion de la part de toutes les couches de la société. On met sur leur compte les malheurs, incendies ou vols d'enfants. On les soupçonne aussi d'être des espions turcs. Toutes ces circonstances ont déclenché la persécution séculaire des Roms. L'une des plus violentes persécutions a commencé par la publication, en 1500, par Maximilien Ier, d'un édit sur l'expatriation des Roms du pays. Cet édit permettait, en effet, toute initiative, officielle ou privée, qui contribuerait à lutter contre les espions turcs, de sorte que tout Rom attrapé pouvait être tué impunément. Pendant la guerre de Trente Ans, la poursuite des Roms cesse pour reprendre avec une nouvelle intensité après l'incendie de Mala Strana, en 1541, et l'édition, par Ferdinand Ier, d'une série de mandats anti-tziganes. Conformément à ceux-ci, les Roms étaient poursuivis et chassés violemment du pays mais il était interdit pour autant de les tuer. Au XVIIe siècle, la poursuite des Roms s'aténuait pour prendre fin au XVIIIe siècle, grâce à Marie-Thérèse et Joseph II qui ont su transformer les efforts de liquidation en une assimilation dirigée. Parmi les normes décisives de la nouvelle politique de l'Etat à l'égard des Roms, il y avaient les arrêts de l'empereur Joseph II, en 1782, sur la base desquels les Tziganes ne pouvaient pas franchir les frontières, mais s'ils étaient déjà dans le pays, ils pouvaient y rester sans risque d'être chassés. Au XIXe siècle, les efforts rationalistes en vue de changer le mode de vie vagabonde de la minorité tzigane se transformaient en des procédés bureaucratiques de la solution des problèmes auxquels l'administration d'Etat s'intéressait le plus: le contrôle du mouvement des Roms, y compris leur surveillance policière, la limitation de la migration entre des régions et l'interdiction du colportage, du vagabondage et de la mendicité. L'intégration de la minorité rom à la société et sa sédentarisation était, en effet, l'objectif principal de la politique de l'Etat.
Dans les années 1909-1910, le Bureau des statistiques de Moravie et de Silésie a recensé, pour la première fois, la population rom. Selon ce recensement, environ 900 familles roms vivaient dans 134 communes en Moravie et 11 communes en Silésie. Seulement 104 enfants fréquantaient l'école. Après la création de la Tchécoslovaquie, en 1918, la majorité des 60 000 Roms vivait en Slovaquie. Tandis que les Roms slovaques vivaient sédentairement, les Roms tchèques et moraves préféraient se déplacer. Ils n'ont renoncé à leur vie nomade qu'après un long processus social lors duquel ils avaient perdu la raison de vagabonder, notamment sur le plan économique. Lors de leur assimilation, les Tziganes sédentarisés s'intégraient à des couches sociales les plus faibles, pour se diviser en deux groupes: un groupe efficace économiquement et un groupe parasitaire vivant au détriment des autres. Constituant la couche la plus pauvre de la société, leur retard économique, social et culturel ne pouvait pas rester sans conséquences juridiques. Au tournant des années 1926-27, les relations entre la population majoritaire et les Roms se sont dégradées considérablement. Il y avait à l'origine de cette dégradation la découverte de jeunes criminels roms dans une commune de Bohême du nord et un hold-up en Bohême du sud, qui ont provoqué une hystérie anti-rom générale. Celle-ci a culminé avec l'adoption, par le Parlement, en 1927, d'une loi discriminatoire sur les Tziganes vagabonds qui stigmatisait la minorité rom comme un groupe social contre lequel on peut employer des moyens de violence. Les répressions ont culminé, après 1939, par l'interdiction de la vie nomade, dont l'une des conséquences était aussi l'effort de concentrer les Roms 'inopportuns' dans des camps de travail punitifs. Le problème de la pauvreté et du retard social des Roms a été relégué au second plan, sa solution étant confiée à des institutions locales et organisations caritatives.
La seconde partie de l'Histoire des Roms en Bohême vous sera présentée dans quinze jours. On parlera de la condition rom sous le protectorat de Bohême-Moravie.