Les butterflies de Prague
Savez-vous pourquoi la capitale tchèque est appelée, par les touristes sexuels, l'Amsterdam tchèque ? Car environ 2 000 personnes vivent dans ses rues et vendent leurs corps. Beaucoup d'entre eux sont des garçons de moins de 18 ans. Comment se sont-ils retrouvés sur le trottoir ? Pourquoi ont-ils opté pour ce métier humiliant ? Est-ce que quelqu'un s'occupe d'eux ? ...
De temps à autre, des articles choquants et inquiétants apparaissent dans la presse tchèque. On y parle des enfants et des adolescents de 7 à 18 ans, garçons en majorité, qui, au lieu d'aller à l'école et de jouer au foot avec leurs copains, gagnent leur pain près des gares, parcs et piscines à Prague. A quoi est-ce que ressemble une journée typique d'un "butterfly" comme on appelle les jeunes prostitués ? Dans la journée, c'est la recherche des clients. La nuit, la distraction dans des boîtes de nuit, le jeu à la machine à sous, parfois, paradoxalement, un moment de détente avec une prostituée. Certains prennent des drogues, comme leur ont appris leurs chefs, car un toxicomane qui a besoin de drogue et, par conséquent, besoin d'argent, travaille et gagne plus. Presque tous les garçons affirment que la situation sur le terrain, ainsi que leur conditions de vie sont de plus en plus difficiles. Il y a trois ans encore, ils vivaient dans communautés, composées de six à dix personnes. Chaque jour, un membre du groupe, celui qui avait gagné le plus, achetait aux autres à manger. Souvent, ils faisaient des fêtes arrosées d'un vin pas cher, s'amusaient et chantaient. Aujourd'hui, plus de la moitié de garçons se droguent, les uns volent les autres, quand ils ont une faim de loup, ils se vendent à un prix minimum. Parfois, il suffit d'acheter un sandwich... Des contrôles policiers dans des gares sont de plus en plus sévères, les butterflies papillonnent donc dans les rues. Ils dorment n'importe où : chez des clients, chez des copains, qui ont de la chance d'avoir un appartement, dans des wagons, dans des puits d'aérage... Chacun vit pour soi. Heureusement, il y a une personne à Prague qui s'occupe de ces enfants de la rue abandonnés, quelqu'un qui incarne leurs pères et mères. Je vous le présenterai dans quelques instants.
Il y a sept ans, le Slovaque Laszlo Sümegh qui approche aujourd'hui de la quarantaine, a abandonné sa profession d'artiste. Il a décidé de vivre à Prague et il a bien fait. Depuis 1996, Laszlo travaille comme streetworker. Qu'est-ce que cela veut dire ? Il se promène au centre de Prague avec un sac à dos plein de préservatifs, des tests du SIDA et des seringues, amène les garçons chez le médecins ou, s'il le faut, à la police. Mais c'est loin d'être tout. Laszlo a fondé une association civique La Chance. Dans le cadre de ce projet, il a pu aménager dans la rue Ve Smeckach, à deux pas de la place Venceslas, un tout petit appartement, une seule pièce, où les garçons se rencontrent. Ils fument, discutent, se reposent. Il y a aussi un aquarium et des jouets. Partout. Pour certains, se sont les premières peluches de leur vie. Enfin, ils ont l'impression d'avoir un chez soi. Laszlo enregistre les informations sur chaque prostitué qu'il connaît. Sa documentation est riche, unique et intéressante. Et confirme ce que l'on peut supposer : la moitié de ces garçons sont issus des familles à problèmes. Souvent, ils les ont fuites. Beaucoup parmi eux se sont évadés des établissements d'éducation spéciaux et ont été victimes d'un abus sexuel avant qu'ils ne commencent avec la prostitution. Chiffre étonnant, 12% seulement avouent être homosexuels. Quand c'est possible, Laszlo essaie de renouer le lien entre l'enfant et sa famille. Mais des cas semblables sont très rares, souvent la famille n'existe plus. Leur famille, c'est désormais Laszlo Sümegh, qui fête avec eux Noël, avec qui ils font du sport, de la peinture, visitent des expositions, vont au théâtre, au cinéma ou au ZOO, qui aide ceux qui veulent trouver un travail "normal" et ne tourne pas le dos à ceux qui ne le veulent pas...
"Monsieur Sümegh, il faudrait le cloner", voilà les mots des représentants de l'Union européenne, venus examiner, l'année dernière, les projets d'aide aux enfants de la rue dans les pays ex-communistes. En Europe, les streetworkers étaient à ce moment-là vingt. D'après les experts de l'Occident, en République tchèque, Laszlo a devancé son époque des dizaines d'années. Mais il veut aller encore plus loin et ouvrir carrément une maison, où les jeunes pourraient faire plein d'activités et même habiter, ce qui leur faciliterait sûrement la recherche de l'emploi. Projet encore plus ambitieux, paraît-il, que celui de ses collègues allemands, par exemple, qui ont, eux aussi, ouvert un centre pour les butterflies.