Les "nouveaux mondes" d'Antonin Dvorak
Chaque artiste rêve du succès. Mais il arrive souvent que le succès n'arrive pas. Ou trop tard, quand le pauvre musicien, écrivain ou peintre ne peut plus se réjouir de sa gloire, de sa renommée. Puis, il y a des génies qui ne sont célèbres que dans leur patrie, qui n'ont pas eu la chance d'être découverts et applaudis aussi à l'étranger. Ceci n'est pas le cas d'Antonin Dvorak, compositeur aussi renommé, joué et aimé que Mozart ou Beethoven. Le samedi 8 septembre, 160 ans se sont écoulés depuis sa naissance : une bonne occasion d'évoquer sa brillante carrière, les hauts et les bas de sa vie personnelle. Mais surtout de se laisser emporter par ses mélodies fabuleuses...
De Nelahozeves à Prague
Pourtant, ses débuts musicaux n'étaient pas faciles... Antonin Dvorak est né en 1841, à Nelahozeves, une petite commune en Bohême centrale. Son père, boucher et aubergiste, souhaitait que son fils aîné apprenne le même métier. Mais le petit Antonin a pris très tôt goût à la musique, grâce à l'organiste du village, Antonin Liehman. A dix-sept ans, Dvorak commence, à Prague, des études musicales dans une école d'organistes. Le jeune garçon vit dans un milieu assez modeste, dans le quartier de la Vieille Ville, chez la famille d'une cousine. Mais peu importe, son rêve se réalise : il fait de la musique et il est heureux. Pendant plusieurs années, il joue de l'orgue à l'Eglise St.-Adalbert, de l'alto dans un orchestre d'opéra et... il compose de la musique. Pour lui-même. Oui, vous entendez bien : pendant dix ans, Dvorak ne montre ses compositions à personne ! En même temps, il donne des cours de musique. Et, comme cela arrive si souvent, le professeur tombe amoureux de l'une de ses élèves... Lui, il avait 24 ans, elle en avait 16. La belle Josefina était fille d'un orfèvre pragois et actrice du Théâtre provisoire. Un détail important : il donnait des cours non seulement à Josefina, mais aussi à sa soeur, Anna. Le destin a voulu que, finalement, Josefina épouse le comte Kounic et Anna... Antonin Dvorak. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, s'était un mariage heureux. Pendant vingt-sept ans, le couple a habité rue Zitna, à proximité de la place Charles. La vie n'a pas toujours été facile : Antonin et Anna avaient neuf enfants, mais les trois premiers sont morts peu après leur naissance. Brisé par ce malheur, Dvorak compose Stabat Mater, oratorio qui soulèvera, quelques années plus tard, une tempête d'applaudissements en Angleterre. La tristesse disparaît de l'oeuvre du compositeur avec la naissance d'Otylka, sa fille et future épouse de l'un des disciples les plus talentueux de Dvorak, Josef Suk, compositeur et violoniste.En 1875, à 34 ans, le compositeur obtient une bourse d'Etat, destinée à des talents nécessiteux. Et alors, rien ne l'empêche de se consacrer entièrement à la musique. La série de ses grands succès commence avec les Chants moraves et surtout les Danses slaves, inspirées du folklore. N'oublions pas que les deux morceaux ont été édités à Berlin, ce qui a ouvert à Dvorak la voie vers une carrière internationale.
L'Angleterre, l'Amérique, la Russie...
"Partout, dans la rue, à la maison, dans les magasins, il y a des foules autour de moi et tout le monde veut mon autographe. Mes portraits sont dans chaque librairie et on les achète ! Pour avoir un souvenir de moi..." Voilà ce que Antonin Dvorak a écrit à ses proches de sa première tournée en Angleterre, en 1884. Il n'en revenait pas du succès triomphal de Stabat Mater à Royal Albert Hall de Londres, devant dix mille spectateurs. Il n'a pas pu y croire, s'habituer à la gloire. L'Angleterre a été subjuguée par sa musique, elle en est tombée éperdument amoureuse. La Manche, le compositeur l'a franchie neuf fois en douze ans. Une grande amitié liait Antonin Dvorak au violoncelliste anglais, Leo Stern. Il a merveilleusement interprété son concerto pour violoncelle, lors de sa première mondiale à Londres, dirigée par Dvorak même. Quinze jours avant le concert londonien Leo Stern est arrivé à Prague, pour répéter avec l'auteur. Le jeune violoncelliste, jusqu'alors peu expérimenté, a raconté toutes ses impressions à un critique britannique. On sait donc qu'Antonin Dvorak se levait très tôt le matin, que les deux musiciens répétaient sept heures par jour, que le compositeur sifflait des mélodies qui lui venaient à l'esprit, au lieu de les jouer au piano...Inutile de parler longuement du fameux séjour américain d'Antonin Dvorak. Pendant deux ans, il enseignait au conservatoire de New York, ville qui ne l'a pas oublié : il y a quelques années, on a fait élever sa statue à Manhattan, pas loin de la maison où il habitait et qui n'existe plus. Inutile aussi de rappeler que, nostalgique de sa patrie, Dvorak y a composé la 9ème symphonie Du Nouveau Monde, archiconnue aujourd'hui... Antonin Dvorak, grand ami de Tchaïkovski, a aussi effectué une tournée à Moscou, mais, paradoxalement, sa musique, on ne peut plus slave, y a été assez froidement accueillie. Et la France ' Eh bien, le compositeur a été invité à Paris en 1899, pour diriger l'orchestre de Charles Lamoureux. Malheureusement, Dvorak a reçu l'invitation quelques jours seulement avant le concert, ce qui l'a probablement empêché de venir. Un an plus tard, on a ouvert, dans le cadre de l'Exposition universelle à Paris, une exposition de partitions manuscrites de compositeurs réputés. Celle d'Antonin Dvorak, l'extrait de son opéra Katia et le diable, n'y manquait pas. Même aujourd'hui, on peut trouver la partition dans les archives de l'Opéra de Paris...
Le Musée Dvorak
Le destin d'Antonin Dvorak est passionnant et son oeuvre abondante : à vous maintenant de découvrir, si vous ne l'avez pas encore fait, ses concertos pour piano, violon et violoncelle, symphonies, poèmes symphoniques et opéras romantiques, surtout la plus célèbre, l'Ondine (en tchèque Rusalka) ...Enfin, je vous invite au Musée Dvorak que vous trouverez à Prague, rue Ke Karlovu, à quelques pas de la place Charles. Dans cette ancienne maison de plaisance baroque, on peut y voir, entre autres, les photos du compositeur et de sa famille, son piano, son bureau, mais aussi son stylo, agenda, boîte aux médicaments, lunettes, porte-monnaie, chapeau et même son mouchoir. A l'entrée, les mots d'Antonin Dvorak : "Mon credo ? Le Dieu, l'amour et la patrie. Il n'y a que cela qui peut rendre un homme heureux."