Alain Robbe-Grillet et le cinéma
La semaine dernière, je vous ai proposé un entretien avec Alain Robbe-Grillet qui avait participé, fin avril, au Festival des écrivains à Prague. Nous avons parlé surtout de littérature. Aujourd'hui je vous propose la seconde partie de cet entretien consacré notamment au cinéma.
On connaît bien Alain Robbe-Grillet l'écrivain, on connaît moins Alain Robbe- Grillet le cinéaste. Et pourtant, il a beaucoup travaillé pour le cinéma en tant que scénariste et réalisateur. Sa filmographie est assez riche. Il a réalisé entre autres les films L'Homme qui ment, L'Eden et après, Glissements progressifs du plaisir, Le Jeu avec le feu. Dans ses films il développait les thèmes et les obsessions qui apparaissaient déjà dans ses oeuvres littéraires. Il peut être considéré aussi comme le père spirituel du film l'Année dernière à Marienbad (1961), film dont il a écrit le scénario et qui a été réalisé par Alain Resnais. Au début des années soixante, ce film était l'objet d'un véritable culte. Il est quasi impossible de saisir l'intrigue imaginée par le scénariste pour ce film, histoire d'un couple tentant de renouer une liaison qui n'a peut-être jamais existé. Tout ce qui se passe sur l'écran est situé dans le cadre luxueux et froid d'un palace allemand ce qui rend l'action presque irréelle. Le jeu savant de symboles inexpliqués et d'allusions furtives rendent le climat du film encore plus mystérieux. Tout ce qui est dit invite le spectateur à deviner ce qui n'est pas dit et plus on découvre, plus on devient dupe. Tout est incertain dans ce monde factice noyé dans une vague inquiétude se reflétant dans les yeux de Delphine Seyrig qui campe un des rôles principaux.
Dans le cadre du Festival des écrivains on a donné ce film à l'Institut français de Prague et Alain Robbe-Grillet l'a présenté au public. Il a expliqué la genèse de cette oeuvre. D'après lui, c'était une espèce de cadeau d'Alain Resnais à Delphine Seyrig, actrice que le réalisateur aimait à l'époque. Il a évoqué aussi sa collaboration avec Resnais et la méthode extrêmement méticuleuse de ce réalisateur. Il a parlé également du jeu d'allumettes, un jeu de hasard qu'on joue plusieurs fois dans le film et qui, grâce à cela, est devenu très populaire et même commercialisé sous le nom de Jeu de Marienbad. Il a évité, bien entendu, de nous parler de l'intrigue du film et de dévoiler un peu son mystère. Car il est convaincu que la vie n'est pas un roman policier où tout s'explique à la fin. Au contraire, comme il nous l'a démontré, lors d'un débat public, sur l'exemple de l'enquête sur l'assassinat du Président Kennedy, plus on enquête, plus on cherche, plus on apprend, plus on s'embrouille dans le labyrinthe inextricable du monde. Dans cette perspective donc, L'Année dernière à Marienbad est un film qui peut être considéré comme une image de l'opacité du monde et de nos existences.