Le rendez-vous des écrivains

Amos Oz et Edna O'Brien, photo: CTK

Pour la 13ème fois déjà a eu lieu dans la capitale tchèque, du 6 au 10 avril, le Festival des écrivains. Parmi les participants il y avait des auteurs d'Europe, d'Amérique et d'Asie. Ils ont rendu hommage au grand représentant de la génération des beatniks, William Burroughs, écrivain américain dont les écrits évoquant la vie des toxicomanes et les milieux homosexuels ne perdent pas, six ans après la mort de leur auteur, leur rayonnement scandaleux. La République tchèque était représentée au festival par l'auteur de science-fiction, Josef Nesvadba. Un seul regret, il n'y avait aucun écrivain francophone.

Amos Oz et Edna O'Brien,  photo: CTK
On a organisé des conférences de presse, des tables rondes, des signatures qui ont démontré que les écrivains réunis à ce festival n'étaient pas indifférents aux problèmes du monde. Le thème qui revenait sans cesse dans les débats était la guerre en Irak. "Cette guerre est une faute, a déclaré par exemple l'écrivain israélien Amos Oz. Je le dis sans être un pacifiste inconditionnel. J'ai été même d'accord avec la première guerre dans le Golfe." Et Amos Oz de souligner qu'il y a une grande différence entre les deux guerres dans le Golfe. Tandis que dans la première on a chassé un agresseur avant qu'il n'achève son opération, dans la seconde on envahit sa maison et la détruit pour l'empêcher de récidiver.

Arundhati Roy,  photo: CTK
De même l'écrivaine indienne, Arundhati Roy ne ménageait pas ceux qui ont déclenché la guerre en Irak. "Les hommes politiques essaient de simplifier le débat et ne cherchent qu'à répondre à la question si l'intervention en Irak et juste ou non. Nous devrions parler cependant d'autres choses, notamment des causes - on ne peut pas soutenir et armer d'abord les régimes dictatoriaux et ensuite intervenir contre eux." Selon cette jeune femme de lettres sympathique, les arguments que les Américains et les Britanniques utilisent pour justifier la guerre en Irak, pourraient être appliqués aussi dans d'autres pays et pourtant on ne le fait pas. "Dans ma patrie, en Inde, souligne-t-elle, il y a des régions où l'on viole massivement les droits de l'homme, où, par exemple, on massacre les musulmans. Si les Américains voulaient, ils pourraient commencer à bombarder l'Inde."

Et quelle sera l'issue de cette guerre? Amos Oz se montre assez pessimiste: "Malheureusement, ce n'est pas un film à la fin duquel on voit l'inscription "The End" et le générique. Les Américains n'arriveront pas à effacer l'humiliation et la frustration dans le monde arabe. Il viendra le temps de l'amertume et de guérrillas interminables." Et l'écrivain engagé depuis une quarantaine d'années dans le mouvement de paix israélien de plaider pour le compromis. "La notion du compromis, dit-il, n'est pas très populaire parmi les jeunes idéalistes européens. Cependant pour moi le compromis n'est pas l'opportunisme, ce n'est pas la perte de l'intégrité. Le contraire du compromis est le fanatisme, la destruction et la mort. Vous trouverez les fanatiques partout autour de vous. Il y a des végétariens, des non fumeurs et des pacifistes fanatiques. Ces gens-là font tout pour les autres, et cherchent à les changer pour leur bien. Et quand cela ne va pas, ils finissent par les tuer pour leur bien."


Jeffrey Eugenides,  photo: CTK
Dans le cadre du festival nous avons accueilli à Prague aussi l'écrivain américain, Jeffrey Eugenides. Les grands parents de cet écrivain sont venus aux Etats-Unis de Grèce. Au cours du festival il a appris qu'on venait de lui décerner le prestigieux prix Pulitzer. Il a gardé son calme.

"C'est un concours, a-t-il dit, je ne m'y attendais pas, mais je ai eu le prix probablement à cause du sujet de mon roman. J'avais mis neuf ans à l'écrire et grâce à ce prix je me suis rendu compte combien de douleur, de souffrances mais aussi de plaisir ce travail m'avait donné." Le roman primé de Jeffrey Eugenides s'appelle Middlesex. Il raconte l'histoire d'un hermaphrodite dont la malformation est provoquée par une mutation génétique dans la famille. Ce sujet très particulier a permis à l'auteur de se pencher dans son roman sur le problème de l'identité. "En travaillant sur le roman, dit-il, j'ai étudié aussi la généalogie de ma famille et j'ai beaucoup appris sur mes ancêtres."

Parmi les candidats au prix Pulitzer de cette années il y avait aussi l'écrivain tchèque établi aux Etats-Unis, Arnost Lustig, dont le livre "De beaux yeux verts" a remporté un succès considérable parmi les lecteurs américains et britanniques. Cette fois-ci donc le prix lui a échappé, mais il pourrait avoir encore du succès dans le concours littéraire prestigieux "Windgate Literary Prizes" organisé en Grande-Bretagne. Interrogé s'il est déçu, il répond, paisible: "Je n'ai rien attendu et je n'attends rien. Qu'il s'agisse du prix Pulitzer ou des nominations pour le Windgate Prizes, parmi les candidats il n'y a que de bons écrivains, à l'exception de moi, bien sûr, ajoute-t-il modestement. Je pense même qu'on ne devrait pas dire d'avance aux auteurs qu'ils ont été sélectionnés. Avec ou sans prix, le livre que j'ai écrit ne changera pas. Il n'y est pour rien. Mais savez-vous ce qui est beaucoup mieux que tous les prix? Je n'ai pas encore vu dans une librairie londonienne tant de livres de moi. Et juste à côté de moi, il y a la lettre K et donc Kundera et sous lui Skvorecky et ils ont, chacun, un demi mètre de livres. Je me trouve donc en compagnie d'écrivains tchèques et je suis heureux."

Le journal Mlada fronta Dnes a demandé à Arnost Lustig s'il se considère comme un bon écrivain. "Je me considère surtout comme écrivain, réplique-t-il, et l'écrivain devrait être surtout modeste et honnête. Il peut chercher à atteindre son plafond, mais au cours de sa vie il n'arrivera jamais à évaluer la hauteur de ce plafond. Une appréciation juste ne vient qu'un demi-siècle après sa mort. Un écrivain français a dit que le temple de la littérature est rempli de vivants et après leurs morts leurs places seront occupées par les bons. Toute la gloire des vivants n'est que dérisoire..."


Revenons au Festival des écrivains. Parmi les thèmes majeurs du festival il y avait naturellement le rôle de l'écrivain dans la société. On s'interrogeait si l'écrivain doit s'engager dans la vie politique et se prononcer sur les problèmes brûlants de la société, ou, au contraire, s'il doit vivre à l'écart, se protéger contre l'influence de la politique pour garder son objectivité et s'adonner exclusivement à la littérature. Il est évident que le festival ne pouvait pas apporter une réponse définitive à cette questions cruciale pour nombreux écrivains. Citons au moins la réponse d'Arundhati Roy, écrivain qui a non seulement choisi l'engagement politique mais a eu le courage de défendre publiquement ses opinions même au prix d'un séjour en prison." On me disait que l'écrivain devrait rester à la maison, pour écrire de nouveaux livres, pour gagner des prix littéraires et toucher les honoraires. La plus grande tragédie de la littérature est que l'écriture est devenue objet du commerce, un article vendable. Bien sûr, on ne réussit pas toujours, mais l'écrivain d'aujourd'hui se retrouve face à la possibilité de gagner beaucoup d'argent. Seulement, un tel écrivain devient plutôt un eunuque asexué, un homme sans opinion sur le monde, sur la vie et aussi sur les changements politiques et sociaux. Il ne fait que gagner de l'argent."