Une visite de Cejc, village moitié morave, moitié français
En allant de Brno plus au sud-est, on traverse, à mi-chemin, Hodonin. C'est à proximité de ce bourg que se trouve le village de Cejc. Deux plaques commémoratives installées ici rappellent que le premier président tchécoslovaque, Tomas Garrigue Masaryk, y a passé une grande partie de sa vie. Par contre, aucune plaque ne mentionne que, parmi les 1246 habitants actuels de Cejc, des descendants de familles françaises, résidant dans la région depuis 1770 environ, y vivent encore aujourd'hui. Je vous invite dans cette commune ayant gardé un aspect d'ancienneté, nichée dans une grande cuvette entourée de collines et réputée pour la culture du bon vin du terroir morave. La musique qui accompagnera notre ballade est celle de Jozka Cerny, originaire de Cejc: Real audio
"Vers 1770, l'impératrice Marie-Thérèse décida de repeupler l'ancien bourg de Cejc, complètement désert depuis 1459, et invita plusieurs familles de France. Ces familles furent logées provisoirement à la bergerie impériale de Cejc, car les maisons n'étaient pas encore bâties. Le choléra fit bientôt son apparition parmi les Français, dont quelques-uns, pris de peur, quittèrent Cejc pour rentrer dans leur patrie. Quelques-uns moururent des suites du choléra. Chaque famille reçut une maison et quelques champs... Au début, ces colons furent exemptés de payer les taxes d'Etat et reçurent aussi divers privilèges... En dehors de Cejc, l'impératrice fonda aussi le village voisin de Terezin, peuplé aussi de Français. Ces derniers ont apporté en Moravie la culture de la vigne et le goût du bon vin, justement...
En 1769, Marie-Thérèse ordonna de labourer les pâturages communaux. On fonda sur des terres ainsi acquises de nouveaux villages. Le baron Posch, directeur des domaines impériaux, fut chargé de coloniser les domaines impériaux d'Autriche-Hongrie. A Cejc, il resta 17 familles françaises provenant de la région de Besançon, du domaine Dorna, du village de Deservillers. Au début, les familles françaises venues en Moravie du sud étaient beaucoup plus nombreuses, quelque 45 familles, mais faute de logement, elles étaient obligées de vivre péniblement dans des granges et c'est pour cela qu'elles furent envoyées ailleurs, dans des domaines impériaux en Autriche et en Hongrie. Ceux qui restèrent furent obligés de bâtir eux-mêmes leurs fermes en commençant par les fondations, les autorités ne leur donnant que le matériel de construction. La construction avançait lentement. Avant l'hiver 1772, seules les étables et les maisons furent achevées, les granges étant alors encore sans toit et sans portes...
Les travaux de construction et d'aménagement finis, les autorités impériales commencèrent aussitôt à régler juridiquement les affaires des nouveaux colons français. C'est-à-dire qu'elles s'efforçaient de leur imposer des obligations, des devoirs, voire même des corvées. Les pourparlers avec les Français furent difficiles, dit le chroniqueur de Cejc: les Français, à qui on avait promis des libertés et des privilèges pour les trois premières années au moins, refusaient toute obligation, ajournaient la codification de leurs devoirs, prétextant ne pas être habitués aux conditions de vie et aux normes de droit féodal imposant le servage. Les Français refusaient, nous informe plus loin la chronique, surtout la corvée, et leur résistance entraîna bien entendu aussi les Slovaques à faire de même, ainsi, plus personne ne faisait la corvée, ni ne payait les taxes."
Les autorités impériales décidèrent de poursuivre en justice les Français: ils furent convoqués devant le tribunal de Kobyli, là où, le 9 octobre 1776, ils eurent gain de cause. Ceci décupla leur courage et leur audace, et, bien que le 1er juillet 1776, le délai de trois ans durant lequel les Français furent exemptés de toute obligation expira, ils demandèrent bientôt d'autres privilèges: au mois de février 1779, ils envoyèrent une requête à l'impératrice Marie-Thérèse... Bien entendu, leur résistance et leur élan de liberté furent brisés. Ayant perdu leurs privilèges, ils furent petit à petit écrasés économiquement. Les annales de Cejc mentionnent que jusqu'à 1800, seule une famille française perdit ses biens acquis à Cejc. Par contre, en 1850, elles étaient déjà douze familles, auxquelles s'y ajoutèrent cinq autres au cours de la seconde moitié du XIXe siècle.
Au fur et à mesure, les Français furent assimilés par la population slave: en 1834, le français n'était plus parlé que par 4 familles de Cejc. Les noms de famille français furent progressivement presque tous slavisés: Bizet donna Biza, Pernet Perny, Jaillot Salo, Georges donna Zorz ou Sors, Gazzin - Gazan. Aujourd'hui, un prénom français, Jeannot, reste d'usage sous la forme slavisée de Zanek, tandis que le mot français « paysan » est utilisé en Moravie du sud sous la forme slavisée de « Pajzak » ; ce qui, dans le patois local (et comme dans certaines régions de France), est une insulte envers une personne considérée comme bête. Mais encore aujourd'hui, à Cejc, et tout comme à Terezin et à Krumvir, on appelle les descendants des colons français « Francouzi - les Français ». Ils cultivent la vigne, aiment le bon vin, ainsi que le chant et la danse, comme leurs compatriotes de Moravie du sud. Cejc possède 130 hectares de vigne et fait partie de la région viticole de Mutenice. A noter qu'une route du vin morave traverse Cejc. Depuis l'an 2000, plusieurs centaines de kilomètres de sentiers cyclo-touristes portent un logo jaune, visible de loin et indiquant que c'est bien ici "la route du vin".