Le professeur Pascal Vernus à propos du XVIIe Congrès mondial des linguistes à Prague

Le Congrès mondial des linguistes qui est une manifestation de prestige organisée tous les 5 ans, toujours dans un pays différent, s'est réuni, du 24 au 29 juillet, à Prague. Ses colloques et d'autres manifestations ont fait venir plus de 600 linguistes, savants littéraires, chercheurs et dignitaires académiques. Parmi des invités de France, le professeur Pascal Vernus, spécialiste des hiéroglyphes et de la langue égyptienne qui enseigne la linguistique de l'égyptien ancien à l'Ecole des Hautes Etudes pratiques à la Sorbonne. Au micro de Jaroslava Gissubelova, il a bien voulu parler des grands thèmes du Congrès des linguistes de Prague.

"L'un des grands thèmes du congrès de toute importance - les langues en danger. Dans notre monde, à l'heure actuelle, des langues meurent presque tous les jours à cause des grands changements sociologiques et géographiques qui se passent. Il y a, surtout en Afrique, en Asie, en Amérique, des langues qui disparaissent. On a évoqué le cas de langues qui ne sont plus parlées que par un locuteur de 88 ans. Comment faire pour sauver de toute urgence les langues qui meurent? Une langue qui meurt, on ne la retrouvera plus jamais. C'est une information qui est perdue à tout jamais pour l'humanité. Des communications étaient faites pour alerter les gens, pour qu'on puisse trouver des dispositifs. On a proposé de faire des bases de données dans lesquelles on enregistrerait d'urgence toutes les langues qui meurent. Il y en a des centaines qui, dans 2 ans, disparaîtront. Ce sont des connaissances qui s'en vont pour jamais pour l'humanité.

On a eu une communication très intéressante - des langues disparues qui sont ressuscitées. Un Japonais nous a raconté l'histoire d'une langue australienne qui s'appelle le warungu et qui était morte. Ce Japonais était le seul qui la possédait parce qu'il l'avait étudiée. Des descendants du warungu lui ont demandé de leur réapprendre la langue pour qu'ils puissent retrouver leur identité. Grâce à ce linguiste, cette langue a été ressuscitée et les gens l'apprennent, bien qu'elle soit très difficile, uniquement pour retrouver leur identité. Il faut bien penser à ça, la langue, ce n'est pas seulement un objet abstrait de connaissance, mais c'est une partie de la racine des gens. Ce cas est intéressant pour montrer que la linguistique, c'est quelque chose qui touche dans le vivant, dans l'être même des gens.

Le congrès était très fructueux, les communications étaient d'un excellent niveau. Je suis très content que le congrès ait eu lieu à Prague, d'abord parce que Prague est une ville vraiment splendide et, d'ailleurs, le nombre de touristes l'atteste. Mais aussi je voudrais saluer à cette occasion l'école pragoise, l'école tchécoslovaque qui est une école extrêmement importante en linguistique, non seulement à cause de la grande figure de Roman Jakobson, mais aussi à cause de ce qu'on appelle l'école de Prague qui a montré que la langue n'était pas seulement une structure abstraite, mais qu'elle mettait en jeu les stratégies de l'énonciateur pour convaincre les gens auxquelles il parlait. C'est une école du professeur Danes et d'autres, qui a joué un grand rôle et qui, sans doute, a été l'un des moments qui a renouvelé totalement la connaissance de la linguistique. Que ce congrès ait eu lieu à Prague, c'est vraiment un hommage qu'on devait rendre à cette magnifique école de linguistes et d'intellectuels tchécoslovaques."