Le 17 novembre 1989, 14 ans après
Le 17 novembre est, depuis 4 ans, la fête nationale de la République tchèque ; elle figure sur le calendrier comme Journée de lutte pour la liberté et la démocratie. Inutile de rappeler qu'elle a été instituée en commémoration de la Révolution de velours qui, il y a maintenant 14 ans, a marqué la fin du communisme et le retour à la démocratie.
"En 1989, nous n'avons cessé de souligner que 1989 n'est pas 1968, du fait, surtout, que nous n'avons pas voulu être identifiés au Printemps de Prague en tant que tentative visant le renouveau du socialisme. Cela nous paraissait ridicule, en 1989, nous pensions que c'est la fin du communisme que nous voulions."
La manifestation estudiantine, le vendredi mémorable du 17 novembre, dans l'aire universitaire de Prague-Albertov, a donné le coup d'envoi à la chute du régime. Elle a été organisée pour commémorer le 50e anniversaire du décès de Jan Opletal, étudiant à la faculté de médecine, mort des suites de ses blessures lors d'une intervention brutale des nazis. Les obsèques de Jan Opletal, le 15 novembre 1939, se sont transformées en une manifestation nationale d'étudiants contre l'occupation hitlérienne. Berlin n'a pas tardé à réagir. Sur ordre personnel de Hitler, les écoles supérieures tchèques ont été fermées. Les nazis ont pris d'assaut la cité universitaire Hlavkova kolej. Neuf étudiants ont été exécutés, 1200 envoyés dans des camps de concentration.C'est justement cette mémoire de 1939 qui était décisive pour les organisateurs de la manifestation du 17 novembre 1989, dont Martin Mejstrik:
"Nous autres, nous étions profondément conscients du courage de ces étudiants qui avaient manifesté leur opposition à l'occupation du pays. Lorsque je participais à la préparation de la manifestation estudiantine, je me suis longuement intéressé à l'avance à celle de 1939. C'est un grand réconfort que de lire des destinées des étudiants d'alors. Bien évidemment j'avais admis l'idée que notre action pourrait se terminer mal, mais au moment où nous avons décidé, avec mes amis de la faculté, de lancer une grève, lors de la nuit du 17 novembre, les jeux étaient faits, et je savais qu'il fallait aller jusqu'au bout, même au prix des sacrifices..."
La manifestation du 17 novembre 1989 commémorant les événements tragiques d'il y a 50 ans a été préparée par le conseil des écoles supérieures - organe officiel des étudiants, mais aussi par les structures illégales d'étudiants indépendants. Finalement, il a été décidé d'organiser une seule manifestation. Martin Mestrik explique:
"La structure illégale qui a eu une part majeure dans l'organisation du 17 novembre s'appelait STUHA - abréviation de Mouvement estudiantin -, et elle se référait au legs de tout ce que les étudiants tchécoslovaques avaient fait, pendant tout un siècle: en 1939, en 1948, en 1968..."Les dirigeants communistes se sont retrouvés dans une situation sans issue: pour des raisons politiques, ils ne pouvaient pas interdire la tenue d'une manifestation rendant hommage à l'opposition antinazie de 1939. D'un autre côté, ils ne voulaient pas prendre le risque de la transformer en une protestation contre le régime. Par un ordre du ministre de l'Intérieur Frantisek Kincl, l'état d'exception a été décrétée dans Prague ce 17 novembre 1989.
La manifestation, dans l'aire universitaire d'Albertov, a commencé par un discours de Martin Klima, représentants des étudiants indépendants, qui a déclaré: "La défense de la liberté - dimension fondamentale de la vie humaine, la défense de la fierté nationale - voilà le message des manifestations estudiantines des temps de l'occupation nazie. Aujourd'hui, nous ne voulons pas que commémorer, avec piété, ce legs, c'est le présent et plus encore, l'avenir, qui est en jeu." Son discours a été accompagné d'applaudissement et de cris: liberté. Le moment décisif s'est produit à la fin du rassemblement. Les organisateurs ont dû déployer tous les efforts pour détourner la foule, décidée à aller sur la place Venceslas, et la diriger vers la colline de Vysehrad. Ils ne pouvaient pourtant pas empêcher qu'environ 50 000 participants continuent vers la place Venceslas. Or deux cordons des forces de l'ordre les attendaient, à l'avenue Narodni. Les étudiants ont été invités à se disperser. Mais toutes les issues étaient hermétiquement fermées par les boucliers des bérets rouges. Les manifestants ont gardé leur calme. Assis par terre, les bougies et les fleurs à la main, ils scandaient: nous avons les mains nues... Après 20 h 30, les cordons ont serré la masse et relâché les gens par des issues étroites à coups de matraques violents. Une commission d'enquête indépendante et que composaient des médecins a indiqué, plus tard, que l'intervention policière a fait 568 blessés."Est-ce par manque de prudence ou d'expérience ou grâce à leur courage que c'était, une fois encore, les étudiants qui n'ont pas hésité à agir, devenant un catalyseur des événements qui allaient suivre", dit Martin Mejstrik, et de continuer: "Le fait qu'ils aient été battus, a mobilisé beaucoup de gens qui, autrement, ne faisaient qu'attendre l'évolution future des choses."
De l'avenue Narodni, des étudiants sont allés au théâtre Realisticke pour informer les acteurs de ce qui s'était passé et pour leur demander une aide. Le lendemain, l'ambiance dans le pays a été tendue. Les événements de la veille ont produit une forte impression sur le psychique des citoyens. Ceux qui étaient présents au rassemblement, étaient effrayés par la brutalité des forces de l'ordre, les autres à l'idée qu'on a battu des enfants. Les gens commençaient à se rassembler spontanément dans les rues. Une grève de protestation des étudiants et des acteurs a été lancée. La Charte 77 s'est réunie et a demandé le départ de dirigeants communistes responsables de cette intervention brutale. Entre-temps, la nouvelle de la mort de l'étudiant Martin Smid se propage. Bien qu'elle se soit avérée non-fondée, elle a eu un effet d'amorce. Les événements se sont transformés en mouvement que plus personne ne pouvait arrêter.
Le 25 novembre, plus de 800 000 personnes se sont rassemblées à l'esplanade de Letna, à une manifestation rassemblée par le Forum civique. Ce soir même Vaclav Havel apparaît pour la première fois à la télévision avec la déclaration suivante: "Notre objectif est qu'on puisse vivre bien dans ce pays, que les gens se redressent, qu'ils retrouvent leur dignité et se dégagent de cette drôle d'idéologie qui leur était inculquée pendant plus de 20 ans."Lundi, le 27 novembre, à midi, les sirènes sonnent la grève générale. Son slogan - la fin du gouvernement d'un seul parti. Le mercredi 29 est une date historique: l'assemblée fédérale vote la modification de la Constitution. Le passage sur le rôle dirigeant du parti communiste est désormais supprimé. La pression monte. Le 3 décembre Ladislav Adamec, premier ministre, présente le projet d'un gouvernement remanié composé de 15 communistes, 3 sans partis, un membre du parti populaire et un socialiste. Le Forum civique refuse de le soutenir. Le 4 décembre, les manifestations en signe de protestation contre la composition du cabinet sont organisées à Prague, Bratislava et d'autres villes. Karel Kryl et Marta Kubisova, chanteurs interdits par le régime, chantent du haut du balcon de la maison d'édition Melantrich, place Venceslas. Le 7 décembre, le chef du dernier gouvernement communiste donne sa démission et le 10, le président Gustav Husak abdique. Le 29 décembre 1989, Vaclav Havel est élu président de la République.
Quel sens à la commémoration de l'anniversaire du 17 novembre 1989 ? Selon Martin Mejstrik, la jeune génération n'en sait plus grand chose, elle confond Jan Opletal et Jan Palach. D'une part, c'est un bon signe de ce que la liberté et la démocratie sont une évidence. D'autre part, c'est un reproche aux écoles de ne pas rappeler, comme il faut, ces tournants. Ne pas apprendre à la plus jeune génération que la liberté est une chose pour laquelle il faut souvent lutter, serait une légèreté...