Le trimestriel Pritomnost porte un regard critique sur le présent tchèque

Pritomnost (Le Présent)

Le trimestriel tchèque Pritomnost (Le Présent) fête, cette année, ses quatre-vingts ans d'existence. Fidèle à sa tradition, cette revue « intellectuelle » aime présenter des commentaires et des réflexions qui se veulent plus initiées et plus profondes que tout ce que l'on peut lire dans la presse quotidienne. Dans une analyse des trois premiers mois de l'année 2004 en République tchèque, publiée dans la dernière édition de Pritomnost, le journaliste Jan Urban se penche sur l'évolution du pays, quelques jours avant son entrée dans l'Union européenne. Le titre de l'article La marche vers l'Europe en passant par Waterloo laisse à deviner qu'il la voit d'un oeil plutôt sceptique.

Waterloo pour Jan Urban, c'est avant tout la récente présentation à Bruxelles de Milos Kuzvart en tant que commissaire européen de la République tchèque. Une présentation maladroite et malheureuse, une démarche diplomatique déplorable à laquelle seul le choix rapide de son remplaçant, Pavel Telicka, a pu remédier... L'article ne se penche pas uniquement, pourtant, sur les aspects politiques de la vie en Tchéquie.

« Le quotidien Lidove noviny est le seul à avoir évoqué le 60e anniversaire de l'anéantissement du « secteur familial » du camp de concentration d'Auschwitz »,écrit Jan Urban, qui rappelle que seuls 1294 des 17 500 Juifs tchèques qui y était détenus ont survécu, à la fin de la guerre. Selon lui, cela voudrait dire que le plus important assassinat en masse de citoyens tchécoslovaques dans l'histoire de l'Etat ne mérite même pas d'être évoqué aujourd'hui. En même temps, ajoute-t-il sur un ton ironique, les télévisions publique et commerciales n'ont pas manqué de donner un large espace à des sketchs humoristiques, à l'occasion de la Journée internationale des femmes, le 8 mars. La fête, qui était bien sûr chère au régime communiste, a été pour ainsi dire réhabilitée par les députés tchèques qui l'ont récemment approuvée en tant que journée importante de l'Etat.

« Les icônes et les producteurs de l'industrie du showbusiness tchèque se sont en effet bien portés, cet hiver encore », écrit Jan Urban. Un exemple pour tous : le feuilleton télévisé sur le commandant Zeman, une vitrine de la propagande communiste ayant pour protagoniste un membre « héroïque » de la Police d'Etat, est rediffusé en « prime time » par la chaîne privée Prima, après avoir été diffusé, il y a peu, par la Télévision tchèque publique. Il rappelle dans ce contexte l'indignation et l'argument de taille des victimes du régime communiste selon lequel si, quinze ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, donc en 1960, on avait voulu diffuser en Allemagne un feuilleton mensonger de l'époque du IIIe Reich, ayant pour protagoniste un membre des SS persécutant les antifascistes, la société allemande ne l'aurait pas permis.

Le divertissement par-dessus tout, conclut Jan Urban dans les pages de la revue Pritomnost... « Les politiciens ont bien compris l'importance de l'industrie du divertissement. Dans cette logique, l'ODS, premier parti de droite dans le pays, et la Police de la RT annoncent la création de leurs propres groupes de musique pop... On n'a pas réussi à trouver des fables ou des dieux en lesquels on pourrait croire. Ce qui reste donc, c'est la banalité - son dieu s'appelle la distraction ».

« Jamais encore de son vivant, Vaclav Havel ne s'était si peu consacré à l'écriture, comme il le fait aujourd'hui. On le voit tristement désemparé, dépourvu d'autorité et arrivé à la conclusion que, dans l'actuelle politique tchèque, le caractère et la fidélité ne sont pas à même de concurrencer les valeurs médiatisées », peut-on lire, toujours, dans les pages de la revue Pritomnost.

Il est vrai que Vaclav Havel peut décevoir, en quelque sorte, tous ceux qui espéraient qu'il allait beaucoup écrire dès l'expiration de son mandat présidentiel, mais aussi compte tenu du fait que ses textes parus depuis, à l'exception de quelques interventions prononcées par lui-même ou lues en son absence, dans le pays ou à l'étranger, se font rares. L'une des réponses possibles est que l'intérêt prioritaire de l'ex-président tchèque va ailleurs : vers l'engagement en faveur des dissidents, à Cuba notamment.

On sait bien que Vaclav Havel est très attentif, aussi, au respect des droits de l'homme en Birmanie. A noter qu'il vient de lancer une déclaration demandant la libération des dissidents birmans, avec à leur tête Aung San Suu Kyi, 59 ans, prix Nobel de la paix, maintenue en résidence surveillée depuis 2003.

Pour donner du poids à son initiative, Vaclav Havel a réuni les signatures de quatorze hommes et femmes de lettres, lauréats du Prix Nobel, dont Günter Grass, Claude Simon, Imre Kertesz, Czeslaw Milosz, Toni Morrison, ou encore Wole Soyinka.

Vaclav Havel a présenté le texte de sa déclaration, ce mercredi soir, au théâtre Archa de Prague, où il a participé à la cérémonie d'ouverture du festival Jeden Svet - Un monde, consacré justement au respect des droits de l'homme. La cérémonie terminée, Vaclav Havel est immédiatement reparti vers un centre balnéaire où il est en cure.

Le quotidien MfDnes fait remarquer qu'une prochaine apparition de Havel en public est prévue pour le 10 mai prochain. Devant les caméras de télévision, il parlera de femmes et discutera avec trois jeunes comédiennes tchèques... La projection d'un documentaire sur les films de dissidents cubains emprisonnés qui sont, comme on l'a dit, au centre de la préoccupation de Havel, accompagnera l'émission.