Le commissaire Maigret à Prague
Au début du XXIe siècle, le roman policier ne perd rien de sa popularité. Le polar se développe, se transforme, s'étend à d'autres genres littéraires. Le cinéma et la télévision s'alimentent avec gourmandise de littérature policière, mais cette influence n'est pas unilatérale. On s'aperçoit que le roman policier, lui aussi, subit une forte influence du cinéma, de la vidéo et de la bande dessinée.
Pour attirer l'attention du public sur le roman policier et ses métamorphoses, l'Institut français de Prague organise, au cours du mois d'avril, une série de manifestations, de lectures, de rencontres avec des auteurs, des traducteurs et des éditeurs. Parmi les invités figurent Brigitte Aubert, Dominique Manotti, Alain Demouzon. Et ce n'est d'ailleurs pas la première manifestation de ce genre présentée, ces derniers temps, par l'Institut français. En octobre dernier, un hommage y avait été rendu à Georges Simenon avec "La nuit Maigret". On a évoqué le célèbre commissaire et son père spirituel, Georges Simenon, auteur d'innombrables romans policiers. On a lu des passages choisis des livres de Simenon, on a projeté des extraits des films basés sur ses livres, on a assisté à un récital de chansons et on a goûté aux plats préparés selon les recettes de Mme Maigret et aux vins préférés du commissaire.
Parmi les participants, il y avait aussi Josef Cermak, un des artisans de la nouvelle édition des romans de Georges Simenon traduits en tchèque. Il s'interroge sur les raisons de la popularité du commissaire Maigret et de Georges Simenon en Tchéquie : "La raison principale est que Simenon est un excellent auteur et qu'on le connaît dans ce pays depuis les années trente. On a publié avant et après la guerre plusieurs romans de Simenon. Malheureusement, il y avait aussi des pauses très désagréables. Entre 1948 et 1964, il était pratiquement impossible de publier chez nous des romans policiers, en général, parce que cela ne correspondait pas à la politique du Parti communiste et à l'esthétique du réalisme socialiste." C'était d'autant plus déplorable que le niveau littéraire des romans de Simenon, comme on le sait, est très élevé. C'est tout simplement de la bonne littérature. Josef Cermak en est convaincu: "Ce qui est, d'après moi, un signe de qualité, c'est quand la figure principale est plus importante et plus connue que le nom de l'auteur. C'est aussi le cas de Simenon. Si vous interrogez les gens dans la rue, ils connaissent mieux Maigret que Simenon. C'est aussi le cas d'autres personnages de grands auteurs - Sherlock Holmes et Arthur Conan Doyle, Hercule Poirot et Agatha Christie, etc." Depuis les années soixante, on continue à traduire et à publier en Tchéquie les romans de Simenon. Le commissaire Maigret est donc présent dans les librairies tchèques, mais on le voit aussi à la télévision et, parfois, on peut même le voir dans les rues de Prague. Si vous avez de la chance, vous pouvez le rencontrer au milieu d'une flopée de cinéastes dans les recoins pittoresques de la Vieille-Ville. Il ressemble étonnamment à Bruno Crémer. Costume noir, inévitable cigare à la main, Bruno Crémer est une véritable réincarnation du célèbre commissaire. Je l'ai rencontré entre le tournage de deux séquences d'un film et il a bien voulu répondre à mes questions :
On vous trouve en plein tournage d'un film, de quoi s'agit-il, de quel film s'agit-il?
Est-ce que les rues et les intérieurs de Prague correspondent aux décors dont vous avez besoin pour ce film?
"Oui, parce que le monde de Siménon, le monde de ses romans, le monde de Maigret, est un monde qu'on peut situer dans les années cinquante. La plupart des histoires se passent à Paris, mais à Prague il y a des coins qui peuvent parfois évoquer aussi une ville des années cinquante, ce qui émane de Prague dans certains quartiers peut avoir le même charme que certains quartiers de Paris."
Dans le passé, plusieurs acteurs célèbres ont joué le rôle de Maigret. Est-ce que vous avez donné à votre Maigret quelque chose de spécial?
"Oui, j'ai complètement révolutionné Maigret, n'est-ce pas ... (Rire.) Non, j'ai eu la chance, si je puis dire, de pouvoir de ne pas être influencé par les autres interprétations parce que je n'en ai vu aucune. Alors je suis arrivé avec un oeil neuf. J'ai essayé, et c'est peut-être particulièrement à moi, j'ai essayé de le rendre plus intemporel, de lui donner un caractère un peu mythique, plus proche d'une psy que d'un policier. C'est un peu le médecin des âmes. Alors, le côté naturaliste, le côté que lui donne Simenon quand il le décrit chez lui, tout cela, on l'a gommé. Tout cela date un peu, tout ce côté, pas misogyne, mais paternaliste un peu, macho, lorsque Simenon décrit les rapports de Maigret avec sa femme. Les femmes ont beaucoup évolué. Donc, on ne s'est pas beaucoup attaché à tout ce côté-là, et on garde de Maigret sa passion, son don extraordinaire de psychologue qui exerce son métier avec une sorte d'intuition et de créativité. C'est ce côté-là de Maigret vers lequel je suis allé."