Une édition spéciale Union européenne
Le retour en Europe. L'aboutissement des aspirations politiques tchèques des quinze dernières années. La fin définitive de la guerre froide. L'un des meilleurs événements dans la courte histoire de la République tchèque. La réalisation d'un rêve « impossible » pour toute une génération des Tchèques que la botte communiste avait contraint à se voir couper de l'Europe occidentale tel l'un des satellites du bloc soviétique... Dès ce 1er mai, la République tchèque, de concert avec neuf autres pays, est membre de l'Union européenne!
« En effet, sous le communisme, c'était le rêve impossible, inimaginable, presque. Ce slogan du retour en Europe et de l'entrée dans l'Union européenne a été l'un des slogans de la révolution de Velours, puis des premières élections libres de 90. Le chemin a été assez long, parfois douloureux, chaotique, et, aujourd'hui, les gens y entrent sans enthousiasme, mais beaucoup sentent que cette entrée ouvre une nouvelle étape dans l'histoire de la République tchèque. C'est en quelque sorte l'achèvement de la révolution de Velours... Il y a une exposition de photos organisée par la Communauté européenne à Prague qui date de 1968 jusqu'à nos jours. Je pense que le titre est très intéressant et quelque part, les « révolutionnaires » de 68, non seulement les réformateurs du régime communiste d'alors, mais tous les autres qui ont participé au mouvement du Printemps de Prague, sont heureux et satisfaits de ce que l'un de leurs aspirations se réalise - ce retour dans l'Europe ».
Pas de strass et paillettes, mais une joie sincère, des sourires, des yeux scintillants... Une fête conviviale à ciel ouvert, lumineuse et mélodique - c'est ainsi que les Tchèques de tous les âges ont célébré, dans la nuit de vendredi à samedi, leur retour au sein de l'Europe. Magdalena Segertova et Vaclav Richter, du centre de Prague...
Par un beau temps, des milliers d'europhiles tchèques et étrangers ont inondé, dès la fin de l'après-midi, les rues du centre historique. La fête européenne à Prague a été placée sous le signe des genres musicaux les plus variés : opéra à la soirée européenne au Théâtre national, rock et musique alternative sur les îles de Prague et enfin, mélodies traditionnelles sur la place de la Vieille-Ville, point névralgique de la fête. Le tic-tac de la fameuse horloge de la Vielle-Ville marque les dernières secondes de la vie de l'ancienne Europe. On les compte, on crie, on s'embrasse. A minuit, les yeux des Tchèques se lèvent. Au dessus de leurs têtes éclate un superbe feu d'artifice et flottent les drapeaux bleu-blanc-rouge et étoilé. La République tchèque a rejoint l'Union européenne et son Premier ministre, Vladimir Spidla, ne dissimule pas sa joie. Son discours est concis et optimiste."Une grande occasion nous a été offerte et nous en profiterons. Je vous souhaite la bienvenue dans l'UE ! Vive la République tchèque dans l'Europe, vive les défis futurs que nous relèverons !"
Le président de la République, Vaclav Klaus, lui, est à quelques dizaines de kilomètres de la capitale. Réticent envers l'Europe unie et soucieux de la sauvegarde de la souveraineté et de l'identité nationale, le Président endimanché n'a pas hésité à monter à pied plus de 600m, jusqu'au sommet du mont de Blanik. De cet endroit mythique, entouré de vielles légendes tchèques, il a adressé à la population un message encourageant, mais terre à terre :
"Bien des choses vont changer : certaines lois, règles, prix, impôts... Je voudrais surtout dire aux citoyens que ceci n'est pas la fin, mais le commencement. Il serait une erreur de penser qu'il ne faut plus rien faire. Au contraire. C'est une grande possibilité pour nous. Je voudrais souhaiter à tous les Tchèques qu'ils soient forts et sûrs d'eux-mêmes."Bien que l'émotion ait été forte, dans les premières minutes après l'élargissement, pour certains participants aux festivités, la vie dans l'Union est un saut dans l'inconnu. Retour sur la place de la Vielle-Ville.
"On espère une vie meilleure pour nos enfants, mais c'est tout. C'est une belle fête mais pour ce qui va venir après... On craint que la différence qui est entre nous et le reste de l'Europe soit trop importante. Pour l'instant, on ne peut pas vraiment voyager sans passeports, circuler tout à fait librement. Le marché du travail n'a pas été ouvert à tous. On trouve ça un peu discriminatoire. Et ce qu'on souhaite à notre pays ? Eh bien, beaucoup de prospérité..."
Et voici d'autres réactions à l'entrée du pays dans l'Union européenne. Le pianiste Radoslav Kvapil.
"Je crois qu'après le 1er mai, rien ne va vraiment changer. Mais cette tendance est importante. Espérons que le fait de se ranger parmi Etats européens forts et démocratiques va changer centaines habitudes des Tchèques. Je voudrais que notre législation devienne plus transparente, qu'il n'y ait moins de corruption, que notre pays soit plus civilisé."
Ondrej et Zdenek sont étudiants :
"Ca donne la perspective d'intégrer le continent européen économiquement, politiquement, et culturellement. Ce qui change pour moi personnellement, c'est qu'il y a des pays où je peux travailler et d'autres non. Et c'est peut-être plus facile de faire du business avec d'autres pays parce que tu paies plus de taxes. Un autre avantage est de pouvoir, si tu es au chômage en Tchéquie, essayer de chercher du travail, par exemple en Suède, et si tu ne trouves pas, tu touches toujours tes allocations tchèques."
Pour toi qui viens de finir la première partie de tes études, que va changer l'entrée de ton pays dans l'UE?
"Pour moi personnellement, ça va rendre beaucoup plus facile la poursuite de mes études en doctorat, soit en France soit ailleurs en UE. Je peux plus facilement demander des bourses. J'ai besoin de faire un séjour de recherches un Aix-en-Provence, parce qu'il y a des archives importantes, et désormais je peux demander des bourses plus facilement. Ce qui me gêne un peu, c'est le manque d'information de la part de notre gouvernement, il y a trop de désinformation. Je pense que les informations ne sont pas suffisantes. Il fallait mieux informer déjà avant le référendum. La campagne électorale, payée par notre gouvernement, n'était que de la propagande, et pas des informations sérieuses. On n'a pas dit que des gouvernements européens pouvaient encore changer leurs opinions et points de vue, comme l'a presque fait Tony Blair en Angleterre à propos de l'ouverture du marché du travail."
Alexandr Ort est historien :
"Je dois dire que je suis très heureux de devenir Européen de plein-droit parce que jusqu'à présent, mais étions Européens par contre conviction. Et je crois que notre fondation Georges de Podebrady pour la coopération européenne nous a donné une occasion de présenter notre européisme: en 1995 déjà, nous avons pour la première fois fêté, en tant qu'organisation non gouvernementale, la journée de l'Europe. Si vous posez la question qu'est-ce que nous attendons, nous sommes sûrs que nous sommes Européens depuis toujours, en tant que nation vivant au centre de l'Europe où toutes les différentes tendances politiques, diplomatiques et même militaires se croisaient. Nous sommes heureux, tous les Européens, que les visas aient disparu, je crois que c'est l'un des exemples qui peuvent nous donner le courage d'être persuadés que l'Europe peut se réaliser, avec certainement, certaines difficultés, mais je suis sûr qu'on va le faire."
Lucie Vernerova tient une entreprise :
"Notre entreprise offre des services dans le domaine du logiciel et du matériel. Je pense que l'Union, surtout la libre circulation des biens et des services, ainsi que la disparition des taxes de douane, nous facilitera le travail. Par exemple aujourd'hui, il est très facile d'acheter un logiciel : vous le téléchargez sur l'Internet, vous payez par carte et vous recevez un code de paiement par courriel. Mais s'il faut passer par la douane, la procédure est beaucoup plus compliquée."
Les gens de ton entourage, sont-ils ravis, eux aussi, de l'élargissement ? Tes parents, par exemple ?
"Je pense que tout le monde est favorable à l'Europe. On espère une amélioration des services et, dans notre entreprise, aussi le respect de la date d'échéance, c'est un grand problème en République tchèque. En ce qui concerne mes parents, ils sont jeunes d'esprit, ils ont un bon travail, ils voyagent et parlent plusieurs langues étrangères... Donc, forcément, ils sont pro-européens. Mais il y voient des avantages surtout pour nous, leurs enfants, et pour leurs petits-enfants."
M. Joël de Zorzi, ambassadeur de la France en République tchèque, a eu l'occasion de visiter nombre de villes et de régions tchèques et de parler à leurs habitants. Il connaît donc assez bien leurs sentiments par rapport à l'Union européenne.
« Effectivement, j'ai eu l'occasion de visiter la quasi totalité des régions tchèques. Je dois dire que c'était une expérience enrichissante de découvrir et d'écouter les réalités du pays, sa diversité, de constater que dans les régions, il y a aussi les inquiétudes. Jâi pu constater en même temps de la part des responsables la très forte volonté de prendre le train. L'Europe n'est pas seulement une Europe des Etats, mais aussi des régions, des citoyens ».
Que signifie pour vous le fait de vivre cet événement historique à Prague ?
« Je vais vous faire une confidence. En novembre 1989, j'était au cabinet du ministre des Affaires étrangères, lorsque nous avons suivi la chute du Mur de Berlin. Et je ne pensais pas que près de quinze ans après, je serais dans l'un de ces pays en train de célébrer l'entrée dans l'Union européenne. Donc, je crois, que l'on ne peut qu'être vraiment heureux une fois encore de la façon, dont l'histoire a évolué, même si nous aurons encore des difficultés. Mais ces difficultés, nous allons les régler maintenant ensemble ».
Les festivités marquant l'élargissement de l'Union européenne se sont déroulées, aussi, dans des régions limitrophes. Guillaume Narguet nous a téléphoné de Zittau, en Allemagne.
Sous les bords de la Neisse de Lusace, rivière née en République tchèque qui sort de frontières entre l'Allemagne et la Pologne, les voisins des trois pays célèbrent ensemble dans la joie et la bonne humeur l'élargissement de l'Union européenne, tout au long d'un week-end intitulé "Les heures étoilées de l'Europe." Pour marquer ce passage, deux ponts de bois ont été construits qui unissent désormais l'une à l'autre, les villes allemande, tchèque et polonaise de Zittau, Hradek nad Nisou et Bogatynia. Ces deux ponts, le chancelier allemand Gerhard Schöder et les Premiers ministres tchèque et polonais, Vladimir Spidla et Leszek Miller, les ont franchis ensemble, ce samedi midi, au cours d'une promenade symbolique de chaque côté de la frontière. Avant cela, vendredi soir, peu avant qu'éclatent, en même temps, à minuit, trois feux d'artifice grandioses, l'ancien chancelier allemand Helmut Kohl avait rappelé que l'Europe est une grande famille dans laquelle la violence n'avait pas sa place. Des propos qui étaient également ceux de Vladimir Spidla, au moment de s'adresser aux citoyens européens réunis sous les drapeaux étoilés. Mais tant à Zittau, qu'à Hradek et Bogatynia, on n'a pas attendu ce 1er mai pour mettre en application l'idée européenne et se rapprocher les uns des autres. Depuis 1989, et la réouverture sur le monde de leurs pays, les trois villes situées dans l'eurorégion Neisse n'ont jamais cessé de collaborer toujours plus étroitement dans un partenariat triangulaire aussi bien économique que culturel ou touristique. Tous sont convaincus que leurs échanges et projets communs les aident à surmonter les obstacles qui se dressent devant eux sur la longue route que représente l'unification de l'Europe. Des podiums ont été installés pour l'occasion de chaque côté de la rivière Neisse sur lesquels se succèdent des artistes, troupes de théâtre, ensembles musicaux et folkloriques des trois pays, tout cela sous un soleil rayonnant et au grand plaisir d'une foule bonenfant conscient de l'importance du caractère historique du moment et jamais las de lever le verre et trinquer à l'amitié européenne."Des manifestations en masse contre l'adhésion de la Tchéquie à l'Union européenne n'ont pas eu lieu, dans le pays. Des voix qui se sont levées contre y ont pourtant retenti, notamment à Prague.
"Ceci est une action organisée par la CSAF, la fédération anarchiste tchéco-slovaque, pour participer au mouvement mondial du 1er mai." Cette voix est celle de Tereza, l'une des représentantes de la fédération anarchiste tchéco-slovaque, qui organise traditionnellement une manifestation le 1er mai. Cette année, cependant, le 1er mai est avant tout la date historique de l'adhésion de la Tchéquie à l'UE. Qu'en pensent les anarchistes tchèques?"Nous sommes contre tous les blocs de pouvoir, donc nous sommes également contre l'UE. Nous espérons rassembler 200 à 300 personnes et notre principal slogan est : Contre l'Etat capitaliste, et pour la liberté et l'auto-gestion."
Le parti communiste de Bohême et de Moravie a lui aussi célébré la fête du travail, sur la pelouse du parc Letna, où près de 4000 personnes se sont rassemblées. Quelques jeunes hostiles aux communistes sont intervenus pour troubler ce rassemblement avec des banderoles sur lesquelles on pouvait lire "Attention, ils ont du sang sur les mains." Cela n'a pas empêché le président du parti de présenter ses candidats aux élections européennes tout en prononçant un discours aux accents anti-européens. Miroslav Grebenicek:"Le Parti Communiste de Bohême et de Moravie a exprimé éclairement que le pays n'était pas prêt à intégrer l'UE sur le plan économique, et que l'adhésion telle qu'elle a été négociée par le gouvernement est désavantageuse pour la majorité des citoyens tchèques."A la différence de la plupart des partis frères jadis au pouvoir dans les pays satellites de l'URSS, le PC tchèque n'a jamais renoncé ni à son nom, ni à sa ligne politique. Il conserve une audience importante. Aux législatives de 2002, le KSCM est devenu le 3e parti du pays, avec 18,5% des suffrages.
Et que pensent de l'entrée de la Tchéquie à l'Union européenne les plus petits ? Des enfants de parents tchéco-français ou franco-tchèques, au micro d'A. Rosenzweig.