Le surréalisme d'Alena Nadvornikova
"Je crois que le surréalisme est aussi un mode spécial de fonctionnement de notre psychisme," dit Alena Nadvornikova, dessinatrice, poétesse et historienne d'art dont l'oeuvre démontre que le surréalisme n'est pas mort. Récemment, elle a présenté, au café de l'Institut français de Prague, son dernier recueil de poésies, un livre bilingue intitulé Anebo ne / Ou bien non. A cette occasion, elle a répondu aussi à quelques questions de Radio Prague.
Récemment, Jan Svankmajer a remarqué qu'on lui dit parfois que le surréalisme est depuis longtemps démodé. Comment cela se fait-il que le surréalisme renaisse toujours de ses cendres?
"Il faut ajouter aux mots de Jan Svankmajer qu'il s'agit surtout du surréalisme à Prague, c'est à dire du surréalisme en République tchèque et en Slovaquie, parce qu'on a aussi des membres slovaques. Franchement, je ne sais pas. Le surréalisme et les Tchèques, ça va bien ensemble, si je puis dire. Par exemple, les époux Svankmajer, Martin Stejskal, moi-même et Albert Marencin, nous sommes tous différents et nous sommes tous surréalistes. Le secret est peut-être dans la liberté, qui est très importante, et qui était tellement importante pour nous à l'époque de la normalisation, après l'invasion des troupes soviétiques en Tchécoslovaquie. C'est quelque chose qui est indispensable dans notre vie. Par exemple, on dit que les oeuvres de Jan Svankmajer sont un peu maniéristes, mais le secret du surréalisme réside dans le fait qu'il n'a pas de lois formelles, pas de lois exactes. Ce n'est pas un style, c'est un mode de vie."
Où vous situez-vous dans la grande pléiade des auteurs surréalistes, parmi tous ces écrivains, tous ces peintres? Est-ce que vous vous considérez comme l'héritière des premiers surréalistes tchèques, Vitezslav Nezval et autres?
"Vous savez, je les aime bien presque tous. Je l'ai dit récemment dans une interview, j'aime beaucoup Nezval. Mais il faut dire que Nezval était encore un pré-surréaliste, si je puis dire. Je suis une historienne d'art, c'est mon métier, j'ai enseigné l'histoire de l'art et l'esthétique à l'université. Je suis attirée par Toyen et par les autres classiques du surréalisme, même si mes propres dessins - et les visiteurs de l'Institut français ont pu le constater - ne sont pas du tout proches de ces classiques. C'est-à-dire que mes dessins, et aussi mes poèmes, sont purement automatiques. Je dessine et je fais des poèmes, des choses courtes, qui exigent un automatisme et un modèle intérieur. Je m'occupe beaucoup aussi de l'art brut, comme à l'époque Breton et d'autres artistes. Je peux dire donc que j'ai lancé à nouveau le dessin automatique."
"Des images absurdes, exprimées dans un langage austère, plein d'ordres et de raccourcis, jaillissent sur nous de la poésie d'Alena Nadvornikova, écrit Marie Langrova, auteur de la postface du livre. C'est une poésie qui surprend nos sensations encore en négligé, qui les pêche dans des nébuleuses enroulées grâce à des mots qui émergent subitement." Née en 1942, Alena Nadvornikova fait partie du groupe surréaliste tchèque déjà depuis presque trente ans. Elle enseignait à l'université, elle prépare et organise des expositions, elle dessine et elle écrit de la poésie dite automatique. "Alena Nadvornikova, attachée au surréalisme à la fois comme théoricienne et comme auteur, est loin de toute orthodoxie aveugle, dit le poète Petr Kral, qui a traduit en français le recueil Anebo ne/ Ou bien non. La confiance qu'elle a dans l'écriture automatique est tenue en laisse par un sens de la forme (et de sa participation active au message) au point que ses poèmes en acquièrent une transparence et une netteté cristallines."
Vous dites que votre poésie est automatique. Est-ce que vous pouvez quand même définir les sources de votre inspiration?
"Non, je ne peux pas. Vous savez, j'ai commencé à faire de la poésie assez tard. Bien sûr, j'écrivais des poèmes quand j'étais jeune, comme tout le monde, mais c'était des choses émotives, je pleurais comme tous les jeunes gens et les jeunes filles. Mais ce n'était rien du tout, je l'ai jeté tout de suite. J'ai vraiment commencé à écrire de la poésie après mes cinquante ans. Je voyageais dans le train, je faisais le trajet Prague-Olomouc, et les textes me venaient dans le rythme du train. Je les notais en marge des journaux et voilà, c'était mes premiers poèmes. Mon premier recueil s'appelle Rue de Paris Prague, ce qui est aussi mon adresse pragoise. Ce sont vraiment les choses que j'ai vécues, et que j'ai lues aussi parce que parfois, il y a des citations qui me viennent, que j'ai lue, que je connais et que j'ai déjà oubliées. Et cela me revient parce que ça forme mon propre monde. C'est la vie tout court, c'est idiot de le dire, mais jamais ce ne sont des choses qui sont préméditées. Jamais."