Jean-Noël Jeanneney : « En période de guerre, comme aujourd'hui, l'important est de savoir si l'on parle vrai »
Le monde change et l'un de ses instruments de compréhension qu'est le journalisme également. « Les journalistes dans la guerre », mais beaucoup plus largement le rôle des médias, tel était le thème de la conférence-débat de ce lundi, à l'Institut français de Prague. Jean-Noël Jeanneney, historien, ancien président de Radio France, actuellement président de la Bibliothèque Nationale de France était invité comme spécialiste de la presse et des médias.
« En période de guerre, l'information circule exactement aussi vite mais la question est, comme aujourd'hui, de savoir si elle est juste ou si elle ne l'est pas. Qu'elle vienne deux heures ou quatre heures après, ça n'a pas vraiment d'importance, ce qui est important c'est de savoir si on parle juste et vrai. C'est un autre aspect de la réflexion, je crois, à savoir comment les journalistes, en temps de guerre, affrontent les difficultés particulières de cette situation. En particulier le conflit qui existe toujours entre leur désir de chercher la vérité et leur fidélité à leur pays, leur objectivité d'un côté, leur patriotisme de l'autre. Et ce n'est pas facile, car l'un et l'autre souci est tout à fait honorable. Je crois que ça a été le problème de la presse américaine pendant la seconde guerre du Golfe, avec des excès et des débordements dont elle a demandé qu'on l'excuse tout récemment. Elle s'est en quelque sorte accusée elle-même de trop d'emportement patriotique. »
Certains grands reporters de guerre - pensons à Jaromir Stetina en République tchèque, spécialiste du Caucase - passent parfois, à un certain moment de leur vie et de leur carrière, à la politique, comme si leur travail de journaliste aboutissait à une impasse. Jean-Noël Jeanneney :
« Il y a sûrement chez certains correspondants de guerre une lassitude au bout d'un certain temps, lassitude de l'horreur, lassitude du danger. C'est vrai aussi pour les photographes de guerre, profession tout à fait particulière. Ce sont des gens qui à un moment donné sont saturés d'horreur. Et tout à coup, la coupe déborde, ils n'en peuvent plus. Alors, ils peuvent devenir éditoriaux en chambre, ils peuvent se mettre à faire des photos de jolies filles, mais un certain nombre en effet ont envie d'arrêter, de s'arrêter avant de sauter sur une mine... »
S'il ne minimise pas la nouveauté de la période dans laquelle nous vivons, s'il ne réfute pas l'inédit du rôle et de la forme des médias actuels, il invite cependant à rester prudent. Néanmoins, il existe une manière d'échapper à l'écueil d'une opinion publique indifférente, désensibilisée ou au contraire prompte aux réactions passionnelles face à la surabondance d'images :
« En tant qu'historien des médias, je suis un de ceux en France qui n'a pas cessé de se battre depuis plusieurs dizaines d'années pour qu'à l'école, à l'université, on installe la discipline de l'analyse des images dans une position centrale. L'explication de texte, pour la réflexion de l'apprenti historien et, plus largement, de l'apprenti citoyen, est fondamentale. Apprendre à avoir du recul par rapport à ce qu'on écrit, regarder les textes non pas sous la lumière de midi qui écrase les formes, mais sous la lumière rasante du soir ou du matin qui met les reliefs en valeur. C'est la même chose pour l'image. Je ne sais pas pourquoi - peut-être à cause de sa modernité - on a renoncé à enseigner aux élèves et aux étudiants la réflexion sur l'image, or c'est la seule façon de les rendre libres par rapport au bombardement de la télévision et même par rapport à internet et tout ce que la toile nous apporte en mélange de choses vraies et de pantalonnades, de fariboles, d'absurdités. »