Patrick Chauvel : « En Libye, le témoignage des journalistes a pour la première fois servi à quelque chose »

Patrick Chauvel, photo: Radio Wave

Le reporter-photographe de guerre, écrivain et documentariste français Patrick Chauvel était cette semaine à Prague. Comme chaque année, il a animé un atelier de photoreportage à la Faculté des sciences sociales et présenté aux lecteurs tchèques son livre « Sky », qui vient de paraître en tchèque aux éditions Garamond. Il y a quatre mois de cela, Patrick Chauvel est revenu de Libye où il a filmé et photographié les combattants contre le régime du colonel Kadafi. Il a évoqué, au micro de Radio Prague, la particularité de ce conflit :

Patrick Chauvel,  photo: Radio Wave
« La particularité, c’est que ce sont les civils en armes qui se sont soulevés contre un pouvoir. C’est assez incroyable : vous avez des boulangers, des coiffeurs, des vieux, des jeunes, des très jeunes, des libraires, des pompistes, des gros, des minces, des gens très fatigués, des gens qui ne voient pas très clair avec des lunettes… Tout le monde se bat contre une armée professionnelle qui est celle de Kadafi. C’est émouvant, parce qu’ils sont très courageux… et désorganisés, ce qui est dangereux. Ils ne savent pas se battre. Ils sont très émotifs. Il est possible de reculer de 60 kilomètres dans la journée et d’avancer de 100 kilomètres le lendemain, de reculer à nouveau de 60 kilomètres dans l’après-midi… C’est vraiment curieux comme conflit. Mais en même temps, c’est fantastique et fascinant de participer à une révolution. Pour la première fois, il est évident que le témoignage de tous les journalistes, y compris les petits films qu’ont faits les Libyens, a changé la situation parce qu’il a provoqué une intervention de l’OTAN. Pour une fois, nous sommes certains d’avoir servi à quelque chose avec nos images. Lorsque l’OTAN est intervenue, les chars étaient dans les faubourgs de Benghazi et ils auraient tué entre 20 et 50 000 personnes en une après-midi. Cela s’est vraiment joué à quelques heures près. »

Etes-vous parti aussi dans les autres pays du « printemps arabe » ?

Patrick Chauvel,  photo: ČTK
« Oui, en Egypte et en Tunisie. C’était pareil, sauf qu’il y a eu moins de combats. En Tunisie, la police est intervenue contre la population, il y a eu des tirs et des morts. Cela ressemblait plus à une manifestation gigantesque, mais il n’y avait quand même pas de chars contre les civils. En Egypte, l’armée n’a pas bougé. Elle a observé la situation entre la police et la population et une fois qu’elle a compris que la population allait gagner, elle a choisi son camp. Les militaires égyptiens ont réussi, sans participer à la révolution, à rester amis avec le peuple et donc à garder le pouvoir d’une certaine manière. Ils sont toujours-là, ils ont juste changé les chefs. »

Quels sont vos projets pour les prochains mois ?

« J’ai la sécurité de l’emploi : il y a des guerres partout. Je pense que je vais essayer de passer en Syrie. Cela fait quand même un moment que les Syriens ont les bras tendus avec leurs téléphones mobiles pour faire des images. On dirait des gens qui appellent au secours, qui sont en train de se noyer. Il serait temps que l’on vienne les aider à faire des photos à leur place. Malheureusement, leurs photos sont, comme on dit en termes journalistiques, ‘non vérifiables’ et ‘non-indépendantes’. Bien sur qu’elles sont vraies, mais c’est à nous de faire des images maintenant, de prendre le relais. Mais c’est très difficile de passer, la frontière est fermée. »

Retrouvez Patrick Chauvel dimanche prochain, dans Culture sans frontières, où il évoquera son livre « Sky », ainsi que son exposition parisienne de photomontages « Peurs sur la ville ».