Josef Čapek, un artiste à l’écoute du langage de l’âme
« C’est dans l’art que l’âme se révèle le plus explicitement », a écrit Josef Čapek,exprimant ainsi l’essence de toute son œuvre. Peintre, écrivain, journaliste, essayiste, scénographe, Josef Čapek nous a laissé une œuvre d’une rare profondeur, d’une rare originalité et d’une rare concision. L’art était pour lui vraiment le langage de l’âme et son âme s’exprimait ouvertement, généreusement et sincèrement sur les choses essentielles de la vie.
Des frères qui s’inspirent mutuellement
La famille du médecin Antonín Čapek a donné à la culture tchèque trois personnalités importantes, les frères Josef (1887-1945) et Karel (1890-1938) et leur sœur Helena (1886-1961). L’âge tendre de ces trois enfants doués se déroule dans le cadre provincial de la Bohême du nord et c’est une enfance heureuse et riche en petits événements qui seront la source de leur inspiration pour le reste de leur vie. Helena évoquera cette période importante dans un livre de souvenirs intitulé Mes chers frères.Josef et Karel sont des êtres très proches, ils ont beaucoup de choses en commun, mais ils sont aussi des personnalités complémentaires. Tandis que le talent de Karel s’oriente vers la littérature, celui de Josef se manifeste surtout dans l’art pictural. Mais Josef est également un écrivain original, tandis que Karel est, entre autres, un excellent dessinateur. Ensemble ils entrent en littérature et ils écrivent ensemble plusieurs livres et pièces de théâtre. Avec le temps Karel deviendra un écrivain célèbre dans le monde entier et les chemins artistiques des deux frères se sépareront, mais ils resteront très liés l’un à l’autre jusqu’à la mort prématurée de Karel.
A la recherche de sa propre voie
Après avoir fréquenté pendant deux ans une école de tisserands, le jeune Josef est admis dès 1904 à l’Ecole des arts et des métiers à Prague. Son talent évolue et se développe encore davantage à l’Académie Colarossi à Paris où il étudie en 1910. Il suit les tendances de l’art moderne et subit l’influence du cubisme et de l’art primitif. L’historienne de l’art Pavla Pečínková constate cependant que le talent de Josef Čapek était trop fort et trop personnel pour se laisser subjuguer par des courants artistiques de son temps :« L’art moderne se caractérise par certaines tendances, par les mots en ‘-isme’. Il proclame la liberté mais il est modelé dans une certaine mesure par des programmes collectifs. Et Čapek a réussi à rester libre sans se soumettre à ces programmes collectifs. Je pense que c’est un problème universel de la création artistique. Evidemment Čapek était également un homme de son époque, il réagissait au cubisme et à l’expressionisme, on ne peut pas dire qu’il vivait en dehors du contexte de son temps, mais il en a su tirer une expression libre et une approche personnelle. La création était pour lui une nécessité intérieure et une mission, ce n’était pas une façon de s’assurer une position, de faire carrière ou de s’enrichir. Et cela lui donnait une grande liberté et fait la valeur de son œuvre. »La riche récolte des années de l’entre-deux-guerres
La période de l’entre-deux-guerres permet à Josef Čapek de développer et de mettre en valeur ses dons. Membre du groupe artistique Tvrdošíjní - Les Obstinés, il s’impose bientôt par l’originalité de son style. Ses premiers tableaux sont encore fortement marqués par le cubisme mais les formes angulaires de ses personnages s’arrondissent peu à peu et il évolue rapidement vers une expression qui n’appartient qu’à lui. Au début de cette période il est particulièrement attiré par les gens vivant en marge de la société. Sur ses tableaux défilent des clochards, des joueurs, des soulards et il réussit à les caractériser par des moyens extrêmement simples. Une ligne épaisse et expressive cerne ses personnages et de violents contrastes de lumière confèrent à ses toiles une tension dramatique et une atmosphère mystérieuse. Avec le temps, l’éventail de ses thèmes s’élargit, sa palette change mais la ligne épaisse, le jeu des contrastes et aussi la simplicité et l’économie des moyens resteront toujours les traits caractéristiques de sa création. Sur ses tableaux il n’y a rien d’inutile. Chaque élément y revêt la valeur de symbole.
Dans le monde des enfants
En 1923, sa femme Jarmila donne à Josef Čapek un enfant et c’est une forte impulsion qui change son existence. La galeriste Alena Potůčková évoque les conséquences de cet événement majeur dans la vie de l’artiste :« Sa fille Alenka était au centre de sa vie émotionnelle. Il a réussi à documenter son enfance par de nombreuses esquisses qu’il a développées par la suite dans toute une série de tableaux où les figurines d’enfants jouent des jeux de leur âge mais font partie en même temps de quelque chose qui les dépasse, je dirais d’un mouvement presque cosmique. Ils jouent et on voit à l’horizon un nuage immense ou de grands oiseaux noirs. Ces tableaux reflètent la pensée de Josef Čapek sur le monde, à la fois sur l’intimité de l’homme et aussi sur sa dimension cosmique. »
J’épie en moi ma mélodie intérieure
« Je cherche, je trouve, je perds, j’épie en moi ma mélodie intérieure. Cette mélodie qui se compose elle-même, et qui s’écoute elle-même, »
L’art contre la guerre
La période de l’entre-deux-guerres est malheureusement trop courte pour que Josef Čapek puisse déployer tous ses dons et tout son art. Déjà le nazisme ébranle les fondements démocratiques de la Tchécoslovaquie, cette patrie avec laquelle Josef Čapek se sent intimement et profondément lié. Il ne peut pas rester passif et réagit à l’expansionnisme allemand et à la menace de la guerre par plusieurs séries de tableaux réfléchissant l’angoisse de cette période sombre et appelant à la résistance contre le mal. En 1938 meurt son frère Karel Čapek dont la santé fragile flanche après une campagne haineuse lancée contre lui par les milieux fascistes, et le sort ne tardera pas à frapper Josef à son tour. Sa patrie est occupée et devient protectorat de Bohême-Moravie. L’écrivain Vladimír Doležal évoque les circonstances de l’arrestation de Josef Čapek qui est une des premières victimes des représailles organisées par les nazis contre les intellectuels tchèques dans le pays occupé :« Le premier septembre 1939 au matin commence l’opération Albrecht. C’est une action commune des services secrets allemands et de la gestapo. Les Allemands procèdent à l’arrestation de plusieurs centaines d’intellectuels, prêtres catholiques, membres de l’association de gymnastique Sokol et d’anciens membres des légions tchécoslovaques. Ce jour-là Josef Čapek participe avec ses amis, le député Karel Moudrý, l’historien Jan Slavík et autres, à une chasse à la caille. Lors de la chasse la gestapo écroue Karel Moudrý, puis sur le chemin de retour Josef Čapek est aussi arrêté. Il est d’abord transporté à la prison de Pankrác à Prague puis il est déporté au camp de concentration de Dachau où il retrouve son ami Karel Moudrý. »
Dachau, Buchenwald, Sachsenhausen et Bergen-Belsen
Dachau n’est cependant que la première station du chemin de la croix qui attend le peintre déporté. Il est bientôt transféré au camp de Buchenwald, puis à Sachsenhausen et finalement, trois mois seulement avant la fin de la guerre, il est envoyé au camp de concentration de Bergen-Belsen où finit son pèlerinage douloureux et ou s’achève aussi sa vie. Pendant toute la guerre, sa femme Jarmila fait d’innombrables démarches pour obtenir la libération de son mari, démarches qui resteront cependant vaines malgré les interventions de personnalités importantes dont le président Emil Hácha. Homme actif, Josef Čapek n’arrête cependant pas de créer même dans les camps de concentration et une partie de ses œuvres de cette époque sera miraculeusement sauvée par ses amis dans les camps. Il écrit et il continue à jeter sur le papier de petits dessins comme il le faisait avant la guerre. Pavla Pečínková apprécie beaucoup la valeur artistique de ces croquis que le peintre gribouillait en toute occasion :« Il les jetait dans un tiroir et en tirait parfois les motifs pour des œuvres plus importantes. Cependant, des milliers de ces dessins n’ont jamais été utilisés. Ces esquisses sur de petits bouts de papiers étonnent par leur force expressive et leur monumentalité, il ne s’agit pas de petits croquis à jeter. C’est une immense richesse dans laquelle se reflète la riche inventivité de Josef Čapek et sa façon de traiter la forme. Souvent il n’y a que quelques lignes, on dirait un gribouillage, et pourtant il y a le ciel, il y a une figure humaine et il en résulte un témoignage élémentaire sur l’homme. »Je veux être victime avec les autres
Josef Čapek succombe à une épidémie de typhoïde qui ravage Bergen-Belsen au printemps 1945 et qui continue même après la libération du camp. Selon certains témoins, Josef Čapek est encore en vie le 10 avril 1945, puis on perd sa trace. Il est probablement enterré dans une fosse commune avec d’autres victimes de l’épidémie. Sa vie et sa mort se sont accomplies selon le désir qu’il avait exprimé dans son livre Le Pèlerin boiteux :
« Je veux être victime avec les autres, je veux être vainqueur avec les autres. Je me réserve cette participation douloureuse et heureuse et je ne la vendrais pour aucun rêve et pour aucune illusion. »