29 février 1920 : le droit de vote est accordé aux femmes tchèques
Il y a cent ans de cela, la Tchécoslovaquie devenait un des premiers pays en Europe à accorder le droit de vote aux femmes. Ce droit, ainsi que celui d’éligibilité, est reconnu par la Constitution tchécoslovaque, adoptée le 29 février 1920 par l’Assemblée nationale. Les femmes françaises ont dû attendre 1944 pour l’obtenir et 1945 pour l’exercer pour la première fois.
Cet octroi du droit de vote aux femmes, sans restriction quelconque, est un des aspects les plus modernes du jeune Etat tchécoslovaque, fondé en octobre 1918. Comme le rappelle l’historien français Alain Soubigou, cet Etat, tourné vers l’Occident, a été construit sur des bases complètement nouvelles en Europe centrale, avec des valeurs démocratiques insufflées par le président T. G. Masaryk :
« Il y a toute une série de signes qui fonctionnent pendant l’entre-deux-guerres ; à mon avis le plus important c’est le droit de vote donné aux femmes sans aucune restriction ni d’âge, ni de mariage. »« Les femmes tchécoslovaques, comme les femmes polonaises et allemandes, obtiennent le droit de vote immédiatement à la sortie de la Première guerre mondiale. Non seulement le droit de vote, mais aussi le droit d’être élue. Il y a des femmes sénatrices dans l’entre-deux-guerres en Tchécoslovaquie. (…) Sur le plan du droit des femmes, du multipartisme, de la régularité des élections, on peut dire que la Tchécoslovaquie était une démocratie modèle dans l’entre-deux-guerres, avec l’appui de la France. »
Ce même Vojta Náprstek a proposé probablement pour la première fois en public d’élargir le droit de vote aux femmes : c’était en 1887, lors d’une réunion du conseil municipal de Prague. A la charnière des XIXe et XXe siècle, la lutte pour le droit de vote devient une priorité pour le mouvement féminin tchèque, comme nous le raconte Jitka Gelnarová, historienne au Musée national :
« Au début des années 1890, les femmes activistes de Brno, proches du Parti social-démocrate, ont commencé à éditer à Brno, un périodique intitulé ‘Ženský list’, Le journal des femmes. Ainsi, le droit de vote pour les femmes est devenu un thème politique. La social-démocratie a été le premier parti à mentionner le droit de vote pour toutes les femmes, y compris les ouvrières, dans son programme. »
« Ce qui est typique pour ce mouvement tchécoslovaque qui a réuni les femmes de toutes les classes sociales, c’est qu’il n’a pas organisé de grandes manifestations, comme ce fut le cas en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis. Ici, les femmes se réunissaient en petits groupes, discutaient, écrivaient des pétitions et envoyaient des lettres aux députés. Cela est dû au contexte : la législation austro-hongroise était très compliquée. En fait, certaines femmes avaient le droit de vote sous certaines conditions, d’autres ne l’avaient pas… On cherchait tout le temps une lacune dans les lois pour pouvoir accorder le droit de vote à toutes les femmes. »Peu à peu, l’égalité avec les hommes est revendiquée par une nouvelle génération de femmes tchèques et slovaques, de plus en plus émancipées. On écoute l’historienne Marie Bahenská de l’Institut Masaryk de l’Académie des Sciences :
« Le principal argument des opposants à l’octroi du droit de vote aux femmes était que les femmes, certes, paient des impôts, mais ne participent pas à la défense du pays. Puis, on soulignait sans cesse le rôle traditionnel de la femme dans la société. La situation a changé au début du XXe siècle, avec la fondation du Comité pour le suffrage des femmes et avec l’arrivée de la nouvelle génération constituée de nombreuses femmes institutrices et de les jeunes femmes diplômées de nouvelles écoles secondaires. Pour elles, pouvoir voter était le dernier pas à franchir vers une égalité absolue avec les hommes. »
Electrices et éligibles, les femmes tchécoslovaques accèdent au Parlement dès les élections législatives de 1920. Comment ont-elles profité de leur nouveau statut ? Jitka Gelnarová :
« Participer aux élections était automatique pour elles. Les femmes tchèques étaient aussi nombreuses que les hommes à se déplacer aux urnes. En tant que députées, elles se sentaient un peu comme les porte-paroles des femmes et se consacraient aux sujets qui leur tenaient au cœur : c’était par exemple la réforme du Code civique de 1811, très discriminatoire à l’égard des femmes ; ou encore l’harmonisation de la vie familiale et professionnelle, des sujets comme la légalisation de l’interruption de grossesse et la problématique de la prostitution. »Une exposition consacrée au centenaire du suffrage des femmes en pays tchèques se tient jusqu’en janvier 2021 au Mémorial national de Vítkov, à Prague. Elle présente, entre autres, le parcours hors du commun de Františka Plamínková, ainsi que d’autres Tchèques qui ont bataillé pour obtenir l’égalité avec les hommes.