Entre « Icons et Mythologies », la révolution en exposition
Depuis le 8 octobre dernier, la galerie GAMU, située à deux pas de l’église Saint-Nicolas dans le quartier de Malá Strana, propose une exposition gratuite intitulée Icons and Mythologies, consacré au phénomène de la révolution.
Dans le cadre de la 9ème édition du Fotograf Festival, organisé en collaboration avec le collectif franco-tchèque Bubahof, la galerie GAMU a ouvert ses portes à la commissaire d’exposition française Fabienne Bideaud. Celle-ci présente donc jusqu’au 10 novembre une exposition gratuite intitulée Icons and Mythologies qui s’inscrit directement dans le thème du festival Archeology of Euphoria : 1985-1995 autour de la transition politique qu’a connue la République tchèque. Fabienne Bideaud nous raconte la démarche artistique du festival dans laquelle son exposition prend place.
« La thématique résonne parce qu’il y a un directeur artistique qui a été invité par le festival de la photographie et qui lui-même a invité plusieurs commissaires d’exposition à organiser des expositions dans divers endroits de Prague. N’étant pas native d’Europe centrale ou de l’Est, mais d’Europe de l’Ouest, je voulais trouver une autre entrée par rapport à cette question, de la chute du mur et de ce qu’il s’est passé il y a trente ans. »
Le thème de révolution est décliné sous différentes formes de manière à surprendre et interpeller le spectateur souvent exposé à des images brutes et explicites qui renvoient à des évènements historiques. Violaine Lochu, performeuse française spécialisée dans le langage et invitée par Fabienne Bideaud lors du vernissage de l’exposition a en effet créé la surprise.
Sa pièce Babel Babel, inspirée de babils d’enfants recueillis dans des crèches semble parler à tous, au-delà des barrières de la langue humaine et raconter les prémices de la communication. L’artiste nous confie apprécier aller « vers des personnes qui ne parlent pas [sa] langue, soit des langues étrangères, mais aussi des langues non-humaines » et donc prendre plaisir à jouer devant des publics dont le mode de réception est différent car culturel. Une performance qui n’a donc pas manqué d’interpeller un public avant tout amateur de photographie. Mais qu’ils soient Tchèques ou non, tous ont pu profiter de la performance. Violaine Lochu nous explique pourquoi :
« En réalité, dans le langage, il y a seulement 25% de ce qu’on échange qui est de l’ordre de l’information et tout le reste sert surtout à faire du lien. Donc je crois que dans le babil il y a déjà une bonne partie du langage qui est de créer la relation. Donc oui, les enfants, quand on les écoute, ils ont énormément de choses à nous apprendre. En plus, jusqu’à sept semaines, un nourrisson est capable d’entendre toutes les langues du monde, d’entendre toutes les subtilités, on voit le cerveau qui s’allume de partout et après sept semaines, il perd cette faculté et va de plus en plus vers sa langue maternelle. »
Si l’artiste vocale française n’était que de passage à Prague, une de ses œuvres a élu domicile dans la galerie. Elle nous en parle :
« Dans l’exposition, je présente ‘Unchorus’ qui est une pièce sonore, un dispositif sonore. Dispositif sonore, j’utilise ce mot car c’est aussi comment cela prend place dans l’espace, comment on donne à voir le son en tant que plasticien. Ainsi Fabienne Bideaud m’a invitée à présenter ce dispositif sonore ‘Unchorus’ parce qu’il porte sur la notion de chœur révolutionnaire. »
Mais qu’est-ce qu’un chœur révolutionnaire aujourd’hui ? C’est la question que Violaine Lochu s’est posée alors que deux évènements concomitants ont secoué l’actualité. D’un côté, elle écoute plusieurs voix qui portent des revendications différentes lors des manifestations françaises et qui tendent à converger. De l’autre, elle assiste aux élections européennes et à la difficulté de s’accorder sur un modèle alors qu’elle ressent à la fois son identité européenne et la crise qui secoue l’Union. Un terreau riche pour Violaine Lochu comme elle nous l’explique :
« Et donc en face de cette actualité française et européenne, j’ai eu envie de réaliser ‘Unchorus. Ainsi, j’ai enregistré seize nationalités européennes me chanter des chants révolutionnaires. J’ai aussi demandé à chacun, avec un casque sur les oreilles, de me chanter un chant révolutionnaire de quelqu’un d’autre. Forcément, c’était complètement déformé parce que par exemple un Italien allait écouter un hymne révolutionnaire tchèque, sans comprendre la langue, sans connaître la mélodie et donc cela donne des choses complètement désarticulées. Donc c’est à la fois un questionnement et en même temps, peut-être que cette disparité de voix permet de former un nouveau chœur révolutionnaire. »
« Unchorus » consiste donc en un cercle d’enceintes qui semblent se répondre, mais parfois sans se comprendre. Une installation qui questionne le spectateur sur sa position face à celle-ci. Doit-on rester hors du cercle, simple spectateur, se mettre au cœur des voix, prêter l’oreille à un chant plutôt qu’un autre. Une chose est sûre pour Violaine Lochu, « Unchorus », ne laisse personne indifférent :
« En effet, elle invite le spectateur à s’immerger, donc à faire l’expérience de quelque chose. Ensuite, rejoindre la révolution… Je ne sais même pas si les voix portent la révolution parce que c’est une révolution qui babille, c’est une révolution qui se cherche. Je ne sais pas si on vit une période révolutionnaire ; peut-être plutôt une période prérévolutionnaire, car on ne sait pas encore contre quoi ou contre qui révolutionner. »
Des visions différentes de la révolution à travers des icônes et mythologies modernes qui se complètent tout au long de l’exposition. Fabienne Bideaud nous parle de trois figures qui ont inspiré les artistes exposés : Sun Ra, Patrice Lumumba et Angela Davis.
« Kapwani Kiwanga, elle, parle plutôt dans son travail de la question du post-colonialisme, de la domination sur le peuple afro-américain. Dans sa vidéo The Sun Ra Repatriation Project, elle traite de la question de l’afro-futurisme qui était un mouvement littéraire dans les années 1950 et qui a été repris par les arts visuels plus tard. Il consistait à créer une identité équivalente à celle de l’homme blanc et Sun Ra a même dépassé la question raciale puisqu’il se dit venir de Saturne. Et enfin, le travail de Martin Zet porte aussi sur la diffusion de l’information autour de la figure de Patrice Lumumba, activiste politique pour l’indépendance du Congo tué officieusement par le gouvernement belge qui commence à dévoiler la vérité sur le triste sort qu’a vécu cet homme politique. La question de la diffusion de l’information s’illustre dans sa comparaison entre les sources tchèques et anglophones de Wikipédia. »
Outre ces deux figures faisant l’objet d’une réhabilitation, Fabienne Bideaud nous parle d’un autre artiste tchèque, Zbyněk Baladrán. Celui-ci a choisi de parler de la figure d’Angela Davis, icône du mouvement des droits civiques aux Etats-Unis. Convaincue par le marxisme, elle finit par adhérer à une section du Parti communiste américain, le Che-Lumumba Club et crée la controverse en refusant à la fois l’intégrationnisme de Martin Luther King et le séparatisme des nationalistes. Une aubaine pour les pays soviétiques qui l’invitent à venir visiter l’URSS.
La Tchécoslovaquie n’est pas en reste puisqu’Angela Davis est interpellée en 1972 par une lettre ouverte de Jiří Pelikán, journaliste et homme politique tchécoslovaque. Celui-ci demande à la militante afro-américaine de réclamer la libération d’intellectuels tchèques enfermés par le régime. Zbyněk Baladrán appuie sur la question de la mémoire, pour confronter la position d’Angela Davis qui refuse la demande, et questionner le spectateur sur ce que l’on aurait fait à sa place. Son œuvre intitulée « Un pas en avant, deux pas en arrière » d’après une citation de Lénine, est une vidéo en 3D qui plonge le visiteur dans la modélisation d’un magasin IKEA comme métaphore d’une mémoire sans faille qui ne peut jamais vraiment oublier.
Pourtant certaines choses doivent être tirées de l’oubli comme l’ont fait les artistes tchèques Matěj Pavlík et Lucie Rosenfeldová. Autour d’images récupérées dans les archives communistes, ils reconstruisent le projet d’étudiants en 1989 qui avaient alors réalisé une vidéo de contre-information afin de tenir au courant les mineurs de l’entreprise Koh-i-Noor dans la ville de Most sur les évènements non communiqués par le régime. Des documents qui ont été confisqués à l’époque, enfouis, et que Pavlík et Rosenfeldová réactivent à l’occasion du 30ème anniversaire de la révolution de Velours. Entrecoupées de paysages de la région, on peut voir des scènes dans lesquelles les étudiants distribuent des tracts, des journaux, appellent à la solidarité et cherchent à avoir une discussion avec les mineurs, mais se heurtent avant tout à la méfiance et l’incrédulité des habitants.
Bien que la ville de Most ait participé aux événements de novembre 1989, il semblerait que le vent révolutionnaire n’ait pas soufflé avec la même intensité dans le reste de la région Rappelons que la ville la plus importante de la région fut ravagée pendant la Seconde Guerre mondiale et que son centre-ville historique fut entièrement rasé par les communistes dans les années 1970 afin d’y développer la production minière. Il faudra donc attendre la visite du président Václav Havel en février 1990 pour confirmer la révolution, à laquelle on avait, dans les mines de Most, peine à croire.