Dessine-moi un mouton… en réalité augmentée

L’exposition de Eliška Podzimková, 'Le Petit Prince'

Nous avons tous en tête l’image devenue icône du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry, ce petit blond ébouriffé épris d’une fleur et qui explore les étoiles avant d’arriver sur Terre. Mais si sa planète ressemblait en fait un peu à l’Islande, et si le Petit Prince se faisait cuire des œufs au plat sur un cratère de volcan ? À l’occasion de l’exposition interactive Malý princ – Le petit prince, qui sera ouverte jusqu’au 31 décembre à l’espace Vnitroblock, dans le quartier de Holešovice, à Prague, Eliška Podzimková nous explique comment elle a utilisé du lichen et une application de réalité augmentée pour revisiter les illustrations de cette œuvre légendaire.

L’exposition de Eliška Podzimková,  'Le Petit Prince'

« J’ai de sérieuses raisons de croire que la planète d’où venait le Petit Prince est l’astéroïde B 612, »écrivait en 1943 Antoine de Saint-Exupéry. Une supposition qu’il accompagnait alors d’aquarelles qui ont, depuis, fait le tour du monde, non seulement pour illustrer les centaines de traductions de l’ouvrage mais aussi sous forme de produits dérivés. Quoi qu’il en soit, l’exposition interactive Malý princ – Le Petit Prince, de l’artiste Eliška Podzimková, s’affranchit de toute référence visuelle aux illustrations d’époque de l’auteur-illustrateur.

Eliška Podzimková,  photo: Tomáš Vodňanský,  ČRo
Entre tente canadienne à explorer, renard à caresser et pierres de lave à manipuler, on y découvre le monde du Petit Prince avec tous les sens. Et l’exposition, conçue en parallèle de la parution récente, aux éditions Albatros, d’une nouvelle version tchèque de l’ouvrage à succès de Saint-Exupéry, en présente bien évidemment les illustrations. Des illustrations faites de photos retouchées et enrichies de dessins, une technique bien caractéristique des travaux d’Eliška Podzimková, et qui peuvent par ailleurs prendre une dimension supplémentaire grâce à l’application de réalité augmentée ARTIVIVE, que les visiteurs sont incités à essayer.

Eliška Podzimková nous explique comment elle a été conviée par les éditions Albatros à réaliser ces nouvelles illustrations du Petit Prince, un projet d’ailleurs rendu possible par le fait que plus de soixante-dix ans se sont écoulés depuis la mort d’Antoine de Saint-Exupéry et la publication de son œuvre, ce qui la rend désormais exploitable librement :

Photo: Albatros
« Les éditions tchèques de livres jeunesse Albatros ont ouvert une nouvelle collection de grands classiques qu’elles souhaitaient voir illustrés par des artistes tchèques. (…) Et moi, ils m’ont contactée en me disant que je ressemblais au Petit Prince ! Et qu’ils étaient curieux de voir ce que j’inventerais. Je tenais à ce qu’il y ait une exposition, car cela fait trois ans que je n’avais pas exposé. (…) Et puis lorsque j’ai appris l’existence de cette application, je me suis dit : oui, je veux faire une expo avec cette appli ! Les gens s’y promèneront avec leurs téléphones, ça sera drôle ! C’est vrai, on a tous ce fichu téléphone en main tout le temps, mais pourquoi ne pas l’utiliser pour quelque chose de nouveau, quelque chose qui ouvre un nouveau monde ? Bien sûr, je ne force personne à visiter l’expo en utilisant l’application, mais pour moi c’est un bonus, parce les technologies, ça m’amuse. »

Une planète en pierre de lave

L’exposition de Eliška Podzimková,  'Le Petit Prince',  photo: Vojtěch Tesárek
Avant même de commencer, Eliška Podzimková avait également une autre certitude : elle voulait illustrer cette œuvre à partir de clichés réalisés en Islande. Elle y a donc passé quinze jours à collecter non seulement des photos, mais aussi du sable, de la mousse, des cailloux et d’autres ressources naturelles, qu’elle a par la suite arrangés et retravaillés pour produire les illustrations et les installations actuellement exposées. Eliška Podzimková explique cependant qu’elle a volontairement évité de consulter les illustrations originales pendant ce travail :

« Je leur ai demandé de m’envoyer uniquement le texte, je ne voulais pas voir le livre. Et j’ai beaucoup écouté différentes versions de livres audio tchèques. On ne peut jamais oublier les illustrations originales, c’est sûr, mais je pense que j’ai bien fait de ne pas les regarder, parce que j’aurais été stressée et je me serais laissée influencer par son travail, ne serait-ce que pour ce qui est de choisir de mettre un dessin à un endroit ou à un autre. Par exemple, je n’ai pas dessiné le roi, qui est pourtant essentiel, puisque l’une des premières étapes a lieu sur la planète du roi… Mais je n’avais pas vraiment d’inspiration quant à la façon de le représenter, et donc j’ai décidé qu’il n’y serait pas, et que je préférais y faire figurer d’autres choses. »

Photo: Albatros

Une icône devenue kitsch

L’exposition de Eliška Podzimková,  'Le Petit Prince',  photo: Vojtěch Tesárek
Eliška Podzimková, qui affirme qu’elle n’aurait jamais osé s’attaquer à revisiter Le Petit Prince si les éditions Albatros ne le lui avaient pas proposé, est bien consciente que sa démarche ne plaît pas à tous. Les images de Saint-Exupéry font en effet partie de l’imaginaire collectif de générations entières, et puisqu’elles ont été réalisées par l’auteur lui-même, y toucher peut être vu comme un sacrilège. Cependant, si Eliška Podzimková revendique l’universalité du récit et le fait qu’il résiste au temps, elle estime que ce n’est pas le cas des illustrations qui l’accompagnent :

« Les illustrations du Petit Prince telles qu’on les connaît sont devenues kitsch ! Parce qu’on les voit partout, sur des agendas, sur des tasses… Les gens qui m’entourent, les personnes de mon âge y voient quelque chose de kitsch et sans intérêt. Et plus personne ne sait vraiment ce qu’il y a derrière. Et pourtant Le Petit Prince est génial parce qu’il est universel. (…) Donc j’ai voulu le montrer sous un autre jour. Et c’est vrai, nous proposons nous aussi des agendas, mais j’ose espérer qu’ils sont différents des autres ! »

Le contraste est en effet flagrant ! Et on peut imaginer que cette nouvelle approche, plus complexe et technologique, retiendra l’attention des nouvelles générations et les incitera à lire Le Petit Prince. Quoi qu’il en soit, cette exposition constitue une bonne occasion de (re)découvrir le conte philosophique d’Antoine de Saint-Exupéry à travers l’objectif et le crayon d’Eliška Podzimková. Un regard certes moins minimaliste que l’original, mais tout aussi magique. Et puis, comme le dit si bien le Petit Prince, « c’est véritablement utile puisque c’est joli. »