L’anniversaire de mort de l’étudiant Jan Opletal, prélude à la révolution de 1989
La République tchèque a entamé, ce lundi, une semaine de commémorations pour célébrer le 30e anniversaire de la révolution de Velours qui a marqué, en novembre 1989, la fin du régime communiste dans l’ancienne Tchécoslovaquie. De nombreuses cérémonies du souvenir qui se déroulent ces jours-ci font également référence aux événements de novembre 1939, où les nazis ont mené une violente répression à l’encontre des étudiants tchèques. Ce lundi 11 novembre, 80 ans se sont écoulés depuis la mort de l’étudiant en médecine Jan Opletal, devenu le symbole de ces représailles et de la résistance tchèque. C’est au nom de ce même Jan Opletal que les étudiants se sont rassemblés, le 17 novembre 1989, au centre de Prague, pour manifester leur volonté de vivre dans un pays libre et démocratique.
Originaire de la région d’Olomouc, en Moravie centrale, Jan Opletal est issu d’un milieu modeste. Attiré d’abord par un engagement au sein de l’aviation tchécoslovaque, il entre finalement à la faculté de médecine de Prague. En 1939, le jeune homme de 24 ans s’engage au sein de la direction étudiante de sa résidence universitaire. Il n’hésite pas à participer à l’importante manifestation organisée à Prague le 28 octobre, à l’occasion de l’anniversaire de la fondation de la Tchécoslovaquie indépendante. Ce 28 octobre 1939, Jan Opletal figure parmi des dizaines de milliers de personnes qui chantent l’hymne national dans les rues de Prague occupée par les nazis, en scandant les noms des anciens présidents Masaryk et Beneš.
Les forces de l’ordre allemandes tirent sur la foule qui se forme dans la rue Žitná, à proximité de la place Charles. Deux personnes sont touchées par les balles : l’ouvrier Václav Sedláček qui est mort sur place et Jan Opletal, blessé et transporté dans une clinique située non loin de là. Selon Zdeněk Vyhlídal, auteur d’une biographie de Jan Opletal, la police nazie l’a visé sciemment, en tant que potentiel leader des étudiants révoltés. Or, pour les historiens, l’étudiant a été une victime des tirs de sommation. Ancien président de l’Académie tchèque des Sciences, Václav Pačes se souvient :« A l’époque, mon père était chirurgien à la clinique qui a accueilli Jan Opletal. C’est lui qui l’a opéré. Mon père disait toujours que les blessures qu’il avait subies n’étaient finalement pas très graves. Mais comme il faisait assez froid ce jour-là, Opletal portait un manteau. La balle qui a traversé son manteau était recouverte des fibres du tissu épais qui ont entraîné une infection. Comme il n’y avait pas d’antibiotiques, Jan Opletal est mort quelques jours plus tard. S’il avait porté une simple chemise, peut-être aurait-il survécu. »
Ses obsèques sont célébrées le 15 novembre au petit matin et l’étudiant est inhumé le lendemain dans son village d’origine de Náklo, en Moravie. Le jour des funérailles, entre 2 000 et 3 000 personnes se réunissent dans plusieurs endroits à Prague, pour rendre hommage à Jan Opletal. De peur que d’autres protestations, plus massives, ne s’en suivent, les autorités nazies optent pour une opération coup de poing qui sera, pour le président sous le protectorat de Bohême-Moravie, Emil Hácha, l’un des pires moments de sa vie : dans la nuit du 16 au 17 novembre 1939, ils occupent des foyers universitaires à Prague, à Příbram et à Brno. Neuf étudiants, dont les noms ne seront publiés qu’après la chute du régime communiste, sont exécutés et quelque 1 300 déportés dans le camp de concentration de Sachsenhausen. L’historien Petr Koura explique :
« La propagande communiste a présenté plus tard ces étudiants comme des gens de gauche. Mais c’était faux, même si, après la guerre, certains de ces jeunes déportés ont effectivement adhéré au Parti communiste. Mais en 1939, la situation se présentait autrement : il y avait, parmi ces étudiants, des enfants de hauts fonctionnaires, des juges… Un avocat pragois réputé, le docteur Čeřovský, avait ses deux fils parmi ses étudiants arrêtés. Il est intervenu à plusieurs reprises auprès du président Emil Hácha pour obtenir leur libération. »Une vingtaine d’étudiants arrêtés le 17 novembre 1939, le jour où ont d’ailleurs étaient fermées toutes les écoles supérieures du pays, sont morts en camp de concentration. Les autres ont été libérés entre décembre 1939 et mars 1943. Certains d’entre eux qui ont choisi le chemin de l’exil ont contribué à ce que le 17 novembre soit proclamé en 1941, au Royaume-Uni, Journée internationale des étudiants.
Le 17 novembre 1989 au soir, environ 15 000 étudiants se réunissaient dans le quartier universitaire d'Albertov, à Prague, pour une marche en mémoire de la mort de Jan Opletal. Très vite, le rassemblement s’est transformé en mouvement de protestation contre le régime communiste. La marche a d’ailleurs été inaugurée par Miroslav Šárka, l’un des étudiants déportés à Sachsenhausen. L’historien Petr Koura ajoute :« Il a dit précisément : à l’époque comme aujourd’hui, nous nous réunissons pour retrouver la liberté. Il a été applaudi par les étudiants… En novembre 1989, les dirigeants communistes avaient très peur de ce parallèle avec le 17 novembre 1939. Ils savaient qu’une intervention violente contre les étudiants pourrait avoir des conséquences inimaginables pour eux. »