1989 et moi et moi et moi - David Černý : « Une longue et grande fête intensive ! »
David Černý est sûrement l’artiste tchèque le plus connu dans le monde aujourd’hui. Il est en tout cas celui que les Anglo-saxons aiment qualifier d’ « enfant terrible » de l’art contemporain en Tchéquie. Avant de se faire remarquer avec son char repeint en rose, sa carte satirique de l’Europe et autres bébés sur la tour de Žižkov, David Černý était étudiant et allait fêter ses 22 ans lorsque le mur de Berlin est tombé, le 9 novembre 1989. Une semaine plus tard, il participait à la manifestation étudiante organisée à Prague.
Au micro de Radio Prague Int. et dans son bar préféré, David Černý a raconté quelques uns de ses souvenirs.
« Le 17 novembre, j’étais bien sûr sur Národní třída, l’avenue Nationale. Ce n’est que grâce au hasard que je ne me suis pas fait tabasser par les forces de l’ordre… J’étais au premier ou au deuxième rang et j’avais une pancarte assez ambigüe sur laquelle j’avais écrit Svoboda (Liberté en tchèque). Evidemment c’était une feinte – je me suis dit que si les flics nous coffraient, on pourrait leur dire que, bien évidemment, c’est une pancarte pour le président Ludvík Svoboda et rien d’autre… »
« Mais c’est vrai que sur les images on me voit assez peu, parce que j’étais déjà assez aguerri et qu’à chaque fois que je voyais l’objectif d’un appareil photo je me retournais… Ensuite j’ai réussi à m’enfuir par la rue Mikulandská, en rentrant dans un immeuble où habitait un copain et que je savais ouvert. On était trois et on est monté sur le toit. Je me souviens que pour fuir on a dû sauter par-dessus le vide sur le toit d’un autre immeuble. C’est un souvenir étrange… Heureusement qu’au moment où ils ont commencé à matraquer en formant des corridors, on a réussi à rentrer dans un de ces immeubles qui n’étaient pas gardés. »
"Des autocars remplis de gars en uniformes et armés, prêts à intervenir"
« Et puis voilà, après ça… c’est une longue et grande fête intensive qui a commencé. Le samedi, on courait dans tout Prague, la grève a commencé le lundi à la fac des beaux-arts (UmPrum) mais on y passait quand même la plupart de notre temps. J’ai dû y rester quelques nuits aussi avec Marketa ma copine de l’époque. Ça a été une fête ininterrompue, je ne sais même plus si on a dormi ou non… Ce dont je me souviens bien en revanche, c’est que par la fenêtre on voyait, de l’autre côté du pont Mánes et près du siège du gouvernement, une colonne d’une vingtaine d’autocars. Il y avait de la lumière à l’intérieur, et avec la longue vue d’un copain on voyait dedans les gars en uniforme et armés, prêts à intervenir. Tout le monde le savait. Il y avait des grèves et des manifestations, mais tout pouvait encore dégénérer. Nous, on continuait à aller dans toutes les facs et universités pour peindre des affiches. »« Bien sûr, la mémoire humaine a tendance à éliminer avec le temps les souvenirs les plus mauvais. Mais c’est vrai que les dix premiers jours ont été complètement fous; personne ne savait comment cela allait se passer. Après l’annonce de la grève générale, les choses évoluaient de jour en jour, parfois même d’heure en heure. Il s’est passé à peine plus d’un mois entre le 17 novembre et l’élection de Václav Havel à la présidence de la République ! Je n’ai d’ailleurs jamais passé autant de temps à l’école, où je n’allais pas beaucoup d’habitude. En novembre-décembre, on y était tous, et c’est là que ça se passait… »