France/Visegrad : une incompréhension mutuelle qui dure ?
A l’occasion de la conférence Forum 2000 qui se déroule en ce moment le Français Nicolas Tenzer était cette semaine à Prague. L’occasion de poser au président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique (Cerap) quelques questions sur les relations qu’entretient la France avec les pays d’Europe centrale (et orientale) - des relations qui selon lui ne sont pas parties sur de bonnes bases après la chute du communisme :
« Je pense qu’il y a eu une faute originelle dès les révolutions. Nous n’avons pas suffisamment accueilli de jeunes universitaires, intellectuels prometteurs dans ces pays, qui sont allés aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne. Je me rappellerai toujours que juste après la chute de Ceausescu en Roumanie, le chef de la TV roumaine avait désespérément demandé des programmes à ses homologues de la TV française, mais le dossier s’est perdu dans des circuits administratifs compliqués, donc il a pris des programmes d’autres pays. »
« Plus profondément, je crois que nous n’avons pas véritablement compris en France ce que signifiait ces révolutions. Il y a eu une absence d’empathie intellectuelle qu’on retrouve malheureusement encore aujourd’hui. Je trouve que beaucoup de dirigeants, politiques, analystes français ont finalement très peu d’empathie envers ce que Milan Kundera appelait ces ‘petites nations’, mais considèrent plutôt les grands Etats comme le centre de la géopolitique. Ils n’ont pas vu que ces mouvements de libération étaient aussi importants pour l’Europe que la création de la communauté économique européenne telle qu’elle s’appelait en 1957. Je pense qu’on a manqué cela et qu’on paye aujourd’hui cette absence de compréhension. »« Je crois aussi que nous n’avons pas suffisamment investi en termes médiatiques. On se rappelle aussi le mot de Chirac qui avait quasiment injurié ces pays qui selon lui ‘avaient manqué l’occasion de se taire’ à propos de la guerre en Irak. Il avait complètement oublié qu’il y avait une solidarité fondamentale avec les Etats-Unis parce que les organisations américaines étaient présentes du temps du communisme ! Sur le plan médiatique, ils irriguaient avec Voice of America ou Radio Free Europe et puis il y avait surtout un soutien actif des dissidents, de la société civile. Nous, Français, nous avons plutôt joué du côté ‘du manche’, du côté des oppresseurs plutôt que des oppressés. »
Comment faire évoluer cette situation ?
« Il faut essayer, tant ici qu’en France, de retrouver ces valeurs qui ont inspiré les fondateurs des mouvements comme la Charte 77 et Solidarnosc qui ont abouti aux révolutions. Du côté français, il faut être totalement intransigeant vis-à-vis des Etats, notamment le régime de Poutine, qui bafouent les valeurs de liberté et de droits, qui veulent détruire l’ordre international quitte à commettre des crimes de guerre comme le fait la Russie en Syrie. Nous devons considérer que tous les combats pour la liberté méritent un soutien actif. Il faut arrêter la diplomatie tiède qui ménage l’oppresseur. »
« Du côté de l’Europe centrale, il faut bien comprendre qu’on ne peut pas, comme le fait par exemple la Pologne, à la fois alerter sur les menaces russes et dans le même temps prendre exactement les mêmes valeurs que Poutine comme référence quant à l’indépendance des médias, l’indépendance de la justice, l’ouverture de la société ou la liberté d’expression et d’orientation sexuelle. Un certain nombre de ces Etats de la région sont dans une contradiction intellectuelle qui, à moyen terme, menace leur existence historique. »