Visegrad : « Encore une fois dans une configuration 2+2 après les scrutins polonais et slovaque »
Ce mercredi se déroule à Prague le sommet présidentiel du groupe de Visegrad, que la Tchéquie préside cette année. Petr Pavel reçoit au Château les présidentes slovaque et hongroise ainsi que son homologue polonais. Après les récents scrutins en Slovaquie puis en Pologne, la donne a quelque peu changé dans ce groupe de quatre pays d’Europe centrale, avec une orientation pro-européenne en passe d’être amorcée à Varsovie, tandis que le revenant de la politique slovaque, Robert Fico - qui sera à Prague vendredi -, vient d’obtenir la confiance du parlement et met déjà la pression sur médias et ONG à Bratislava. Eric Maurice est le responsable du bureau de Bruxelles de la Fondation Robert Schuman.
« Le changement, qui reste à être accompli mais qui est en cours en Pologne, est très symbolique, parce que c’est le plus grand pays de la région. Le retour au gouvernement de Donald Tusk, qui a été Premier ministre très européen puis président du Conseil européen, est celui d’une figure qui a une légitimité politique à Bruxelles et à Varsovie après sa récente victoire électorale. »
« De ce point de vue-là, le résultat en Pologne a plus que compenser le résultat électoral à Bratislava. Et lorsqu’on regarde aujourd’hui le groupe de Visegrad on se retrouve encore une fois avec une configuration ‘2+2’ : deux Etats problématiques et deux Etats avec lesquels on peut mieux travailler, du point de vue de Bruxelles. »
« La Slovaquie : on voit que les premiers gestes et les premières déclarations de Robert Fico sont évidemment problématiques. Depuis quelques années, des outils ont été mis en place au niveau européen pour répondre aux défis posés à l’état de droit, notamment la conditionnalité budgétaire, mise en œuvre envers la Hongrie et la Pologne. Ces outils là seront probablement utilisés vis-à-vis de la Slovaquie si le besoin se fait sentir. »
« Pour la République tchèque, c’est vrai que le gouvernement a bien géré la présidence du Conseil de l’UE au second semestre 2022. L’élection de Petr Pavel à la place de Zeman a aussi été un message politique très fort, il est dans le dialogue avec les institutions. La Tchéquie a un rôle à jouer à l’intérieur du V4 et dans la continuité de cette présidence du Conseil pendant laquelle elle a montré qu’elle pouvait participer de manière constructive au débat européen et a aussi montré qu’elle savait gérer les processus législatifs, les crises et la continuité entre les présidences, avec la présidence française qui la précédait et avec la suédoise qui lui succédait. »
« Je pense qu'il est important politiquement pour Prague de continuer sur cette lancée et de montrer qu’en Europe centrale et orientale il n’y a pas que Viktor Orban et Robert Fico, qu’il y a aussi des gouvernements qui travaillent sérieusement et qui respectent les règles du jeu – c’est important. »
Věra Jourová en passe de quitter Bruxelles
Le mandat de l’actuelle Commission européenne touche à sa fin. Vice-présidente de cette Commission, l’eurocommissaire tchèque Věra Jourová a reçu un prix lors du Sommet de Prague la semaine dernière. Quel bilan dresser de ses dernières années passées au poste de Commissaire européenne pour les valeurs et la transparence, un poste loin d’être évident à cause des problèmes que vous évoquiez en Hongrie et Pologne, à cause aussi de celui qui l’avait proposée à Bruxelles, l’ancien Premier ministre Andrej Babiš, lui aussi en porte à faux avec les institutions européennes ?
« Věra Jourová est une figure très sympathique, mais cela ne suffit pas. Elle a eu des sujets très sensibles à gérer et elle l’a fait d’une manière à la fois très politique et très humaine. Elle porte un discours très ancré dans son histoire personnelle et dans l’histoire de son pays, ce qu’elle a rappelé en recevant son prix à Prague. Sur ces questions d’état de droit, d’indépendance de la justice ou de liberté des médias, elle a une voix qui porte notamment parce qu’elle porte cette histoire. De ce point de vue-là elle parle pour toutes les anciennes dictatures d’Europe qui aujourd’hui veulent maintenir ces libertés fondamentales et les valeurs européennes. »
« Sur l’état de droit, si on compare avec son prédécesseur néerlandais Frans Timmermans, qui a géré l’arrivée au pouvoir du PiS à Varsovie, c’était impossible de lui reprocher à elle d’être une Occidentale venant faire la leçon à l’Europe centrale et orientale. C’était donc une force et un bon stratagème de la part d’Ursula von der Leyen de lui donner ce portefeuille. »
« Věra Jourová a aussi agi sur la régulation des plateformes, avec l’eurocommissaire français Thierry Breton notamment, sur le paquet de défense de la démocratie – un ensemble de mesures cruciales pour l’UE qui reste à mettre en œuvre – et elle a posé les vrais problèmes, sans reculer devant les controverses inhérentes à ces sujets. Essayer de réguler tout ce qui a trait à l’information ou à l’activité des partis politiques est toujours très sensible, mais elle l’a fait d’une manière non naïve. C’est quelqu’un qui va manquer à la Commission européenne, humainement et politiquement. Que peut-elle faire après ? S’engager politiquement en Tchéquie ? »
Et pour lui succéder ? Y a-t-il des personnalités tchèques avec le vent en poupe à Bruxelles ?
« Disons que les Tchèques les plus connus à Bruxelles sont des eurodéputés, notamment Dita Charanzová, vice-présidente du Parlement européen. Mais elle est aussi issue du mouvement ANO d’Andrej Babiš. Elle a pris ces distances avec lui mais c’est tout le défi pour un gouvernement : faut-il choisir une personne d’une couleur politique différente mais qui a déjà une expérience à Bruxelles et peut peser à la Commission ou bien faut-il choisir quelqu’un de sa propre couleur politique et qui risque d’obtenir un portefeuille relativement peu important ? Je n’ai aucune idée de qui pourrait être le prochain eurocommissaire tchèque à l’heure actuelle. »
Parmi les principaux candidats au poste de futur Commissaire européen, la presse tchèque a évoqué plusieurs noms ces dernières semaines, dont celui de Jozef Síkela, actuel ministre de l’Industrie et du Commerce, Danuše Nerudová, économiste candidate à la dernière élection présidentielle ou encore Jiří Šedivý, ancien chef d’Etat-major de l’armée.