A. Finkielkraut : « Ce n’est pas la France qui a influencé Kundera, c’est Kundera qui a influencé la France »
Alain Finkielkraut faisait partie des auteurs invités à participer au Monde du Livre ce week-end à Prague. Le philosophe français a participé à un débat sur « l’intellectuel et son rôle dans la société » et également évoqué l’un des plus grands écrivains contemporains qu’il connaît bien: le Français d’origine tchèque Milan Kundera. Au micro de Radio Prague, il a d’abord évoqué leur première rencontre :
« Il est en plus celui qui m’a présenté Philp Roth. Donc j’ai eu la chance de connaître ceux que je considère comme les deux plus grands romanciers de la fin de la deuxième moitié du XXe siècle – c’est une des chances de ma vie. »
Comment pensez-vous que la France a influencé Milan Kundera ?
« Moi je crois que ce n’est pas la France qui a influencé Kundera, c’est Kundera qui a influencé la France. Kundera avait son œuvre à faire, il avait une représentation du monde déjà très fortement structurée avant son arrivée en France. Il l’a approfondie et ne l’a pas vraiment modifiée. En revanche, il a aidé les Français à penser autrement la littérature et même la politique, les enjeux de la géopolitique. Il a montré que le soviétisme et donc le communisme étaient autre chose qu’un conflit politique, qu’il y avait là un conflit de civilisations – thèse qu’il a développée dans cet article admirable de 1983 intitulé ‘Un Occident kidnappé ou la tragédie de l’Europe centrale’. »« Kundera a montré que ce n’était pas simplement une opposition entre totalitarisme et démocratie, mais que c’était l’Europe face à ce qui n’était pas l’Europe, à savoir la Russie soviétique. Un Occident kidnappé cela voulait dire que l’Europe centrale n’était pas l’Europe de l’Est mais avait été emportée vers l’Est par la violence de l’impérialisme russe. »
« Il a aussi donné du roman une vision tout à fait différente de celle qui prévalait dans la France du nouveau roman et du structuralisme. Selon lui, l’histoire du roman est la longue série des découvertes faites par le roman, donc le roman doit être conçu comme une longue investigation de l’existence. Cette vision, disons ‘réaliste’, n’était plus en vogue dans la France où il est arrivé. Il ne s’est pas du tout laissé influencer par le structuralisme et le néo-structuralisme mais les a ébranlés dans leurs fondations. Donc les choses se sont jouées à l’inverse : Kundera a eu une influence énorme sur une partie de la pensée française. »