Classement RSF : en République tchèque, comme ailleurs en Europe, un affaiblissement généralisé de la liberté de la presse
L’organisation de défense de la presse, Reporters sans frontières a publié ce jeudi, comme tous les ans, son classement mondial de la liberté de la presse. Ce dernier est le résultat d’une évaluation réalisée à partir d’un questionnaire qui aborde plusieurs thématiques importantes qui sont autant d’indicateurs de la liberté de la presse dans un pays : pluralisme, indépendance des médias, environnement, autocensure, cadre légal, mais aussi transparence et qualité des infrastructures soutenant la production de l’information sont quelques-uns de ces critères. Cette année, la République tchèque a perdu six places, pour aller se classer à la 40e position du classement. Au micro de Radio Prague, Pauline Adès-Mével, directrice du bureau Union européenne-Balkans chez RSF, a expliqué les raisons de cette chute continue :
« Pour Reporters sans frontières, il y a plusieurs explications à la chute de la République tchèque dans le classement. Le climat n’est de toute façon pas bon depuis un moment en République tchèque, et Reporters sans frontières l’a dénoncé à plusieurs reprises. Il y a des événements marquants quand même. On rappelle que la vidéo du président tchèque brandissant un fusil kalachnikov factice avec la mention ‘Pour les journalistes’ avait vraiment marqué une étape en octobre 2017 et mit en place un certain contexte. Il y a une parole décomplexée qui vient des plus hautes sphères de l’Etat et qui donne une sorte de blanc-seing à tous et ouvre la porte à tous les excès. On a vu au moment de l’élection du président Zeman au début de l’année 2018 qu’un cameraman avait été agressé. Il y avait un climat spécial à son QG au moment de l’élection. Il y a eu d’autres atteintes aux médias : il s’en est pris à la télévision publique tchèque. C’est donc un climat général de méfiance à l’égard des médias, des journalistes. Et on voit un président désinhibé qui crée et entretient ce climat. »
Vous rappelez à juste titre tous ces événements visibles et médiatiques. En effet, Miloš Zeman s’en était pris à la télévision publique tchèque lors de son discours d’investiture pour son deuxième mandat. Est-ce qu’il y a des problèmes moins visibles, ou disons, moins médiatiques ? Je pense notamment aux problèmes de conflit d’intérêts liés aux Premier ministre Andrej Babiš.
« Absolument, ce sont aussi des affaires que nous suivons. On est évidemment informés du fait qu’il y a des tentatives d’intimidation du Premier ministre et patron de médias. Certains journalistes d’investigation ont dénoncé l’ingérence du Premier ministre dans la ligne éditoriale de certains titres phares. Ce sont des questions qu’on voit aussi se répandre également dans d’autres pays limitrophes. Mais clairement, le conflit d’intérêts entre le personnage le plus important de l’Etat, ou quasiment, soit le Premier ministre, et le fait qu’il détienne des médias, est clairement un problème. »Replaçons la République tchèque dans le contexte de l’Europe centrale et du groupe de Visegrád puisque vous parliez des pays limitrophes. La Hongrie vient de lancer une agence de presse appelée V4 Agency, censée concurrencer l’AFP et Reuters. C’est une agence directement téléguidée par le gouvernement Orbán. Si on regarde les dépêches de cette agence, on trouve des titres comme « La République tchèque. Trop d’étrangers ? ». Que vous inspire la création de ce nouveau média ?
« Nous avons regardé effectivement avec beaucoup d’attention ce nouveau média qui a vocation, dit le communiqué, à concurrencer les agences de presse internationale. A titre de curiosité, j’avais tapé le mot ‘migrant’ et l’occurrence revient 38 fois sur la page de garde de cette agence. Je pense que ça illustre bien le propos. En créant ce média à une période-clé, soit à six semaines des élections européennes, il y a clairement une volonté de créer un contexte et de véhiculer des idées populistes, celles du Fidesz de Viktor Orbán, de s’en prendre à ses ennemis réguliers : les migrants, les clandestins et l’‘invasion’ de ces populations. C’est clairement dangereux, c’est mauvais pour le pluralisme qui est déjà très mis à mal en Hongrie et nous surveillons de très près ce qui sera produit comme contenu par cette agence. »
Si on prend encore davantage de hauteur, ce qui est inquiétant et le classement le montre bien, c’est que dans l’Union européenne en général, une région a priori plus « vertueuse » en matière de liberté de la presse, cette dernière y est paradoxalement la plus menacée, en raison de la montée de ces populismes…
« Absolument, la liberté de la presse y est menacée. Cette année, nous nous sommes posés la question : ‘Est-ce qu’une digue a cédé en Europe ?’ au vu de l’affaiblissement de la liberté de la presse que nous dénoncions année après année. Il y a une érosion institutionnelle qui est incarnée par des pouvoirs en place très autoritaires. On a vu des meurtres, des tentatives d’assassinat, des menaces verbales et physiques se multiplier contre les journalistes européens, notamment contre les journalistes d’investigation, ceux qui enquêtent sur les réseaux criminels, sur la corruption, sur les fonds européens. C’est un certain type de journaliste qui est visé, des journalistes dont on ne veut pas qu’ils continuent à creuser, avec des moyens divers et variés. Le harcèlement judiciaire est également très présent, les pressions en tout genre, et bien sûr, le cyber-harcèlement. »