Quand l’intelligence artificielle réveille une pièce inachevée de Dvořák…
Qu’elle traite nos données personnelles sur les réseaux sociaux ou qu’elle soit source d’espoirs pour les progrès de la médecine, l’intelligence artificielle est partout. Avec sa start-up Aiva, Pierre Barreau ouvre à l’intelligence artificielle les portes de la musique. Son logiciel vient de composer la fin d’une symphonie qu'Antonín Dvořák n’avait pas terminée.
C'est l'histoire d'un morceau de piano baptisé malicieusement « from the future », une création inspirée du travail du compositeur tchèque Antonin Dvořák, et signée Aiva, une intelligence artificielle.
Aiva, c’est le projet de Pierre Barreau, un français qui a monté sa start-up au Luxembourg. Il développe un logiciel capable d’analyser des partitions musicales et de s’en inspirer pour créer des compositions originales… ou pour écrire la fin d’une pièce que Dvořák n’aurait pas terminée…
« Aiva c’est un logiciel destiné aux créateurs de films, jeux vidéo, publicités... On a aussi une partie du logiciel dédiée directement aux compositeurs, parce qu’on pense que l’intelligence artificielle peut servir d’outil à la création pour des compositeurs qui ont énormément de musique à créer en peu de temps.- Pourquoi avoir voulu mélanger intelligence artificielle et musique ?
Je viens d’une famille de musiciens : mon père produit des musiques de film, ma mère est chanteuse, moi je fais de la musique depuis tout jeune, j’ai baigné dans cet environnement. J’ai également étudié l’informatique à Londres, et dans l’équipe d’Aiva, on est tous musiciens et ingénieurs. J’ai également regardé le film de science-fiction Her dans lequel une intelligence artificielle compose une œuvre de musique. J’ai trouvé l’idée passionnante, et j’ai décidé de créer Aiva. »
Dans le film Her, réalisé par Spike Jonze en 2013, Theodore tombe amoureux de Samantha, une intelligence artificielle. Elle écrit pour lui un morceau de piano envoutant, composé par le groupe Arcade Fire.
Avec Aiva, l’histoire est moins romantique que dans le film : Pierre Barreau nous explique comment l’intelligence artificielle se nourrit des règles, des motifs qui structurent la musique de Dvořák, pour imiter son style avec précision.
« La musique a effectivement un aspect magique, concède Pierre Barreau, elle nous fait ressentir des émotions… Mais elle a aussi un aspect très mathématique et ordonnée, car la bonne musique suit une logique très précise. Aiva va regarder la mélodie, les accompagnements musicaux, l’orchestration, le rythme, et va essayer de trouver des points communs, des règles qu’on peut appliquer à la musique entière, et c’est comme ça qu’elle va apprendre à composer de la musique originale. »
Mais alors, Aiva pourrait-elle tromper un spécialiste de Dvořák ?
« Je ne peux répondre sans dire que je n’ai pas fait le test auprès d’un spécialiste de Dvořák. Je pense honnêtement qu’il pourrait faire la différence, puis qu’il connaîtrait parfaitement le répertoire. En revanche, ce qu’on a fait, c’est qu’on a testé Aiva sur des professionnels qui ne savaient pas qu’ils étaient testés. On leur a montré des partitions réalisées par Aiva, et certains chefs d’orchestre ont demandé à rencontrer le compositeur ! A partir de là, je pense qu’on peut dire que l’intelligence artificielle peut composer des choses plaisantes.Après, il faut se souvenir que l’appréciation de la musique est toujours subjective. Si on préfère Beethoven à Dvořák, on aura tendance à dire que Dvořák est un meilleur compositeur. Alors que fondamentalement ce sont tous les deux d’excellents compositeurs. Donc nous ne sommes pas là pour dire qu’Aiva est meilleure que tous les compositeurs existants. »
Dans Les curiosités esthétiques, recueil d’essais et de critiques artistiques de Baudelaire, paru en 1868, le poète a des mots très durs à propos de la photographie. Pour lui, cette incursion de « l’industrie » dans le domaine de l’art « ruine ce qui pouvait rester de divin dans l’esprit français ». La technique devrait, selon lui, rester « la servante, la très humble servante » des arts…
Alors la photographie d’il y a deux siècles serait-elle l’intelligence artificielle d’aujourd’hui ? Nous avons demandé à Pierre Barreau s’il ne craignait pas une levée de bouclier comparable…
« Il y a certaines personnes à qui ça ne plaît pas. En général, c’est une minorité. Fondamentalement, ça ne me gêne pas qu’on se pose des questions, qu’on s’interroge… Après, je pense que le problème c’est qu’on oublie que l’intelligence artificielle n’est pas aussi douée que ce qu’on pense.Par exemple, quand on parle d’intelligence artificielle, on pense à Terminator, aux robots humanoïdes capables de penser et d’avoir des émotions, alors qu’au stade actuel de l’IA, celle-ci doit être supervisée par un humain. Donc même si Aiva compose de la musique originale dans le style de Dvořák, il y a quand même un humain qui doit jouer la musique, mais aussi qui doit donner les bonnes partitions pour l’entrainement d’Aiva, qui doit évaluer si la musique est bonne ou mauvaise, faire des choix…
L’analogie avec la photographie est une bonne analogie. Au départ, on disait que la photo n’était pas un art. Maintenant, on a des concours de photo, les photographes sont des gens très réputés. C’est la même chose avec le cinéma. On peut faire du mauvais cinéma, mais on peut faire du cinéma de très bon goût. Tout dépend de notre façon d’utiliser la technologie. Du moment qu’on l’utilise comme aide à la création, je pense qu’il n’y a pas de souci à se faire. »
Une dernière nouvelle qui ne devrait pas trop plaire aux plus rétifs à l’intelligence artificielle, les créations d’Aiva bénéficient désormais d’une reconnaissance de la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique). Les créateurs peuvent désormais toucher des droits sur les compositions réalisées avec l’aide d’Aiva. Une reconnaissance importante pour Pierre Barreau. Selon lui, cela consacre sa vision des choses selon laquelle l’intelligence artificielle peut être une aide précieuse à la création.