Le Centre tchèque de Paris entre tradition et renouveau
Comment renouveler et dynamiser les relations culturelles franco-tchèques ? Comment faire rayonner la culture tchèque en France, également hors de la capitale ? Les moyens – financiers notamment – dont dispose le Centre tchèque de Paris sont-ils à la hauteur d’une diplomatie culturelle de haut niveau. Toutes ces questions, et bien d’autres encore, Radio Prague les a posées au tout nouveau directeur du Centre, Jiří Hnilica, en poste depuis quelques mois à Paris après une longue période de trouble vécue par cette institution, référence de la culture tchèque en France.
Jiří Hnilica, vous êtes historien de formation, nous avons eu l’occasion de vous inviter à plusieurs reprises sur nos ondes dans le cadre de nos rubriques historiques. Je rappelle que vous êtes également l’auteur d’un livre marquant pour les relations franco-tchèques consacré à l’histoire des sections tchécoslovaques en France. Depuis la rentrée 2018, vous avez pris vos fonctions à la tête du Centre tchèque de Paris. Votre arrivée a mis fin à plusieurs mois de vacance à la direction de ce centre culturel. Vous êtes arrivé dans un contexte difficile suite à une polémique autour de la non-nomination de l’ancien directeur adjoint Jean-Gaspard Páleníček par le ministère des Affaires étrangères, alors qu'il avait remporté le premier concours. Une non-nomination qu’il avait évidemment contestée. Comment s’est faite la transition et dans quel état avez-vous trouvé le Centre tchèque de Paris ?
« Merci tout d’abord pour cette invitation qui m’honore et qui me donne l’occasion de parler pour la toute première fois non seulement en tant que spécialiste de l’histoire des relations franco-tchèque, mais aussi comme un médiateur culturel. Pour moi, très personnellement, c’est un important changement. Je suis un scientifique sorti de sa tour d’ivoire et qui doit désormais ‘se mouiller’ et être partie prenante de ces relations qu’il a toujours étudiées de l’extérieur. »« La période difficile qu’a vécue le Centre tchèque a commencé dès le lancement du concours. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a été répété plusieurs fois. Quasiment depuis ses débuts, le Centre tchèque a été associé à deux noms, Michael Wellner-Pospíšil et ensuite avec Jean-Gaspard Páleníček. En tant qu’étudiant faisant mes études à Paris, je voyais toujours le Centre tchèque de Paris comme le fief – dans le bon sens du terme évidemment –, de Michael et Jean-Gaspard, donc pour moi la continuité justement de cette direction était tout à fait naturelle. Des décisions qui dépassaient nos possibilités ont été prises, des décisions brusques et radicales qui ne sont pas toujours faites dans le meilleur intérêt de l’institution. »
« Quand on doit renouer avec une tradition aussi fertile, c’est toujours difficile. Parce qu’il faut, et ça a été dès le début ma conception, renouer dès le début avec ce qui était bien et trouver de nouveaux formats, que mes prédécesseurs ont certainement essayé de faire, mais n’ont pu le faire. Pour conclure : je suis arrivé dans une institution qui avait toujours une programmation, mais qu’il a fallu dynamiser après un an de ‘sommeil’. La métaphore que j’ai choisie, c’est celle de la belle endormie qu’il faut réveiller. »
Je le disais en introduction, vous êtes historien de formation. Quel a été le moment clé pour vous, celui où vous vous êtes décidé à répondre à l’appel à candidatures du ministère des Affaires étrangères ? Vous l’avez un peu esquissé, l’idée était de passer d’une tour d’ivoire à des choses très concrètes : la mise en œuvre des relations franco-tchèques.« C’est un hasard, comme souvent dans la vie. La décision est venue au café Týnská literární kavárna. Je m’y trouvais avec des amis français qui m’ont parlé de la situation du Centre tchèque. Je me suis dit qu’au bout de plusieurs mois de recherche infructueuse de candidats, pourquoi ne pas essayer moi-même puisque je suis spécialiste des relations franco-tchèques ? »
Avec quelle conception pour le Centre tchèque vous êtes-vous présenté à ce concours ?
« Il fallait tout d’abord réfléchir à l’adresse : le 18 rue Bonaparte. Le Centre tchèque à Paris, c’est d’abord un bâtiment, c’est un lieu de mémoire. C’est aussi une salle polyvalente, de concert, de spectacle, de rencontre. Mais c’est aussi un projet que je trouve excellent : le Paris-Prague Jazz Club. Et c’est également la médiathèque. Le bâtiment entier a été et reste une vraie adresse culturelle, une référence culturelle de Paris. C’est très différent par rapport à d’autres Centres tchèques dans le monde : tous n’ont pas le privilège d’avoir un bâtiment. »
« Dans mon projet, il était important de savoir sortir également de ces quatre murs. L’idée était de redynamiser l’institution avec de nouveaux formats des événements culturels, des formats qui mélangent par exemple la danse, la musique. Ce qu’on développe cette année, c’est la musique et les lectures, donc rendre hommage au texte, mais par d’autres biais que seulement la lecture. L’idée est de chercher d’autres moyens, avec par exemple des projections de lumières, et de proposer un programme moderne, de ne pas être uniquement une vitrine de la culture tchèque, mais de montrer aussi la création contemporaine. »
« D’où un autre point important de mon projet également : c’est offrir ce bâtiment à quelque chose que j’ai appelé ‘résidences’. Nous sommes ouverts. Le bâtiment peut servir à la création aussi. Récemment vient de s’achever la première résidence de l’atelier de la sculpture de l’école UMPRUM. Eva Koťátková et Dominik Lang y ont créé une nouvelle salle d’exposition parallèle et expérimentale. »
L’argent est comme toujours le nerf de la guerre. Le Centre tchèque a-t-il les moyens de ses ambitions ? Vous sentez-vous plus un manager ou bien votre travail reste-t-il créatif ?
« Je viens du milieu académique. C’est un milieu qui est vraiment sous-financé. Donc de ce point de vue-là, j’ai toujours travaillé avec très peu de subventions et pourtant, les projets peuvent se créer, et pourtant la culture peut vivre. Dans ma philosophie de vie, l’argent, on en trouvera toujours s’il y a des idées. Donc, je ne me plains pas. Mais c’est vrai que si on considère la culture comme une des forces de la diplomatie tchèque, alors oui, évidemment, on pourrait investir davantage, notamment en France qui est un pays culturel de niveau mondial. Donc, bien sûr, on pourrait faire plus avec plus d’argent, mais je ne me plains pas, car c’est la réalité et les beaux projets peuvent être créés de toute façon. »Passons au programme culturel du Centre tchèque qui vient de vivre une année de commémoration avec 1918 et 1968, et qui en a entamé une nouvelle avec le 30e anniversaire de 1989. Comment le Centre tchèque va-t-il refléter les 30 ans de la révolution de Velours ?
« Il y a une partie tout à fait officielle : on aura, en coopération avec le Musée national, une exposition plus ‘traditionnelle’, grâce à laquelle on pourra se souvenir de l’événementiel de l’année 1989. A Paris, mais je pense que c’est valable ailleurs en Europe, il ne faut pas seulement commémorer la révolution de Velours, mais aussi le contexte. Là où ce sujet peut parler aux Français, c’est quand on parle de la chute du mur de Berlin. L’idée est de montrer qu’à l’Est il y a du nouveau. Cela veut dire : démontrer que l’Europe centrale a une expérience importante, parallèle, et fondatrice pour le présent. C’est justement ce passage entre le passé et le présent qui est très important. »
« Très concrètement, nous invitons le groupe Plastic People of the Universe. Le groupe s’est séparé, recomposé, re-séparé et recomposé, mais le symbole existe ! On pourra voir une vraie légende vivante qui va se produire dans la salle Janacek. En ce qui concerne les autres commémorations de 1989, on a commencé dès le mois de janvier avec Jan Palach, avec une exposition consacrée aux adieux à Palach et Charles Aznavour, à Prague, pour ses obsèques. On essaye toujours de trouver un lien avec le public français. Le Centre tchèque est un pont. Le 10 avril, nous allons ouvrir une nouvelle exposition intitulée ‘Samizdat, la littérature interdite’. Une exposition est toujours une occasion de rencontres et de débats. Dans ce cadre, nous aimerions donc bien évoquer, la liberté ou le manque de liberté d’expression et le livre en tant que moyen d’expression d’une pensée libre. »Vous évoquiez votre volonté que tout ne se concentre pas au Centre tchèque lui-même, que l’intérêt c’est aussi de montrer la culture tchèque hors les murs. Quand on pense hors les murs, on peut aussi imaginer hors de Paris. Le Centre tchèque chapeaute également des événements dans le reste de la France…
« Nous avons en effet beaucoup d’événements ailleurs en France, et je m’en réjouis énormément. Aider à organiser des événements culturels tchèques à l’extérieur du Centre et de Paris, devrait être un des nouveaux rôles du Centre tchèque. Evidemment, du point de vue de l’organisation, c’est toujours plus compliqué : il y a les frais de déplacement, les partenaires régionaux dans lesquels il faut avoir confiance. Donc, il faut avoir un réseau et confiance dans plus de gens. C’est plus difficile que de se consacrer uniquement à ce qui se passe dans notre bâtiment. »« Il y a plusieurs très bons exemples de cela. Le 11 avril va commencer une grande rétrospective intitulée Imaginárium, 1000 m2 d’exposition à Colombes. Le théâtre L’Avant Seine a proposé au théâtre des Frères Forman d’y créer tout un univers imaginaire. On a eu la chance d’être présents au début de cette idée de faire cette grande rétrospective. Actuellement, le Centre tchèque accueille les artistes, aide à la promotion de l’événement, organise une visite pour l’école tchèque de Paris. On aura aussi une partie du décor au Centre tchèque même, sur la façade. Les gens vont donc rentrer dans le Centre tchèque comme s’ils entraient dans un monde imaginaire. C’est un exemple de ce type de coopérations : on soutient la présence des artistes, on peut les héberger, participer à leurs frais de déplacement etc. C’est notre rôle. »
« Autre très bel exemple : la présence de Libuše Jarcovjaková en tant que photographe ‘inconnue’ qui est invitée aux Rencontres d’Arles, le plus grand festival de photographie d’Europe. C’est une belle réussite personnelle pour Libuše Jarcovjaková, pour la culture tchèque. Grâce au réseau des Centres tchèques, nous pouvons la soutenir en ce qui concerne sa venue. Nous soutenons dans la mesure des moyens qui sont les nôtres la présence tchèque à l’extérieur de Paris. »
Si vous deviez faire un portrait-robot du visiteur-type du Centre tchèque, quel serait-il ?
« Ce ne sont pas des robots (rires). Je pense qu’il n’y a pas de typologie. Pourquoi ? Déjà nous avons un programme très varié, ce qui a d’ailleurs toujours été le cas à Paris, avec par exemple les rencontres jazz du vendredi. C’est une musique qui a déjà sa clientèle et nous sommes une vraie adresse, une référence. Nous organisons également des rencontres de musique classique, avec un goût très particulier pour la musique contemporaine. Donc c’est logiquement un public différent. Je dois dire ma surprise : il y a beaucoup moins de Tchèques de Paris qui viennent que quand j’étais étudiant et que je vivais à Paris il y a une quinzaine d’années. »Cela veut donc dire plus de Français ou n’importe qui habitant à Paris, en fait…
« Exactement. Il y a au moins un tiers de Tchèques, mais les deux tiers ce sont soit des gens curieux, soit des gens qui ont des racines tchèques mais ne sont plus tchécophones. Notre objectif, c’est de créer une nouvelle tradition : organiser des samedis destinés aux familles avec enfants, pour nous inscrire dans la vie du quartier. Grâce à cela, on peut avoir un public tout à fait nouveau, différent, qui s’habitue à venir au Centre tchèque. »