Le trdelník, la tradition tchèque qui n’en était pas une
Son nom est quasi imprononçable par les étrangers. Mais il est la friandise favorite des touristes : le trdelník ou trdlo est apparu au centre-ville de Prague il y a une quinzaine d’années. D’abord quelque peu confidentielle, cette pâtisserie est désormais à tous les coins de rue, surfant sur la vague du « traditionnel » si prisé du public et des touristes, à la recherche d’« authenticité ». Mais le trdelník est-il réellement issu d’une tradition culinaire tchèque ? Et qu’est-ce qui fait courir les touristes après ce cylindre de pâte levée ? Tentative de réponse.
« Voici le traditionnel et touristique trdelník… »
Janek Rubeš est journaliste, il est aussi l’auteur de sympathiques vidéos mettant en garde les touristes contre les arnaques en tout genre au centre-ville de Prague. Avec son guide honnête de la ville (Honest Guide), il ne cherche pas à mener une guerre sans pitié contre le trdelník, mais plutôt à montrer aux visiteurs qu’il existe d’autres moyens, plus « authentiques » pour le coup, de dépenser leur argent.
Car il est impossible de les rater au centre-ville de Prague : toute personne s’y promenant, touriste ou habitant, les aura vues, ces petites maisonnettes en bois où, au-dessus de charbons de bois ardents, tournent des broches sur lesquelles sont enfilés les trdelník. Rien de plus simple que la recette de fabrication de cette pâtisserie qui n’est ni plus ni moins qu’une pâte levée : farine, lait, beurre, sucre, œufs et levure sont à la base de sa composition. Après cuisson, la pâte est enroulée en serpentins sur les broches et cuite une vingtaine de minutes. Celle-ci est ensuite roulée dans du sucre et de la cannelle, pour le trdelník de base. Servi dans une serviette en papier, le trdelník se mange idéalement chaud ou tiède.
Janek Rubeš explique comment cette pâtisserie est apparue dans la capitale tchèque :« Comme la plupart des choses qu’on voit au centre de Prague, c’est arrivé avec les touristes. A Prague, le business fonctionne de telle façon que quand quelqu’un voit que quelque chose marche bien, d’autres se mettent à le faire. Personnellement, je mets le trdelník au même niveau que les voitures pseudo-historiques qui promènent les touristes : il y en avait deux, elles sont maintenant 200 ! Pour le trdelník, c’est pareil. Et il se trouve que les enfants adorent ça, même les petits Tchèques. Tout le monde aime le trdelník. »
Et avec une recette aussi simple, des ingrédients si peu onéreux, et une préparation aussi rapide, rien d’étonnant que certains aient senti le bon filon pour en faire une attraction touristique majeure à Prague. Le trdelník se vend en général à partir de 60 couronnes (2,30 euros) voire plus. Le calcul est donc vite fait sur son caractère lucratif alors qu’un bout de pâte ne coûte guère plus que 5 couronnes. Car ces pâtisseries se vendent littéralement comme des petits pains. Respectivement tchèque et français, Kamila et Alexis sont deux étudiants à l’Université Charles de Prague : ils apprécient le gâteau, mais restent lucides sur le fait qu’il ne s’agit là que d’un attrape-touristes. Une petite arnaque goûteuse, en somme :
K : « J’aime bien le trdelník, j’en ai déjà goûté. Mais je ne crois pas qu’il s’agisse d’un gâteau traditionnel de Tchéquie. C’est quelque chose qui est plus une attraction pour les touristes et c’est quelque chose de cher. »A: « J’ai goûté le trdelník. Personnellement, j’aime bien. Quand je suis arrivé à Prague, on m’a dit que c’était une spécialité tchèque. J’ai d’abord goûté nature, puis au Nutella. J’ai apprécié, même si c’est assez gras. En fait, il y a deux écoles : chez ceux à qui j’en ai fait goûter, il y a ceux qui ont adoré et ont aimé le goût de cannelle et ceux qui n’ont pas apprécié parce que c’est trop gras. »
Aujourd’hui, le trdelník se décline en effet en diverses variantes : outre la cannelle, il peut être aussi aux noix, au chocolat donc, au miel, voire même, pour les plus aventureux, fourré d’une boule de glace. Cette version du trdelník sera consommée aux risques et périls du gourmand car la survie de manière intacte d’une boule de glace dans un tube de pâte chaud défie toutes les lois de la physique.
Une question demeure : le trdelník, vendu à coup de slogans sur ses origines tchèques et son côté traditionnel, est-il vraiment cette pâtisserie authentique ? En réalité, il serait originaire de Transylvanie. Et pour compliquer encore les choses, le trdelník aurait jadis été inventé par la minorité hongroise vivant dans cette région de Roumanie. De là, il aurait essaimé vers la Slovaquie, à Skalica plus précisément, une ville située à la frontière morave où il est fabriqué depuis le XVIIe siècle. D’ailleurs, le trdelník de Skalica bénéficie aujourd’hui d’une appellation d’origine protégée de l’Union européenne.Avec un peu de mauvaise foi, on peut donc estimer que le trdelník n’est pas une spécialité totalement inconnue en pays tchèques : disons qu’elle est davantage un héritage culinaire de l’empire austro-hongrois quand Tchèques, Slovaques, Hongrois et autres peuples vivaient dans un seul et même Etat. Un héritage qu’il aura donc été facile et avantageux, pour les besoins du commerce, de transposer à Prague, au XXIe siècle.