« Les Tchèques ne sont pas des anges innocents »
Des prêtres et laïcs d’une trentaine de communautés catholiques francophones dans le monde ont été réunis en septembre à Prague. Jésuite exilé en Autriche puis en France sous l’ancien régime communiste, le père Petr Kolář, qui a contribué à la formation de la paroisse francophone à Prague au tout début des années 1990, a grandement participé à l’organisation de cette rencontre. Avant cela, il avait répondu à quelques-unes de nos questions, comme celle par exemple relative à la place de l’Eglise aujourd’hui en République tchèque :
Les opposants en République tchèque à l’accueil de migrants en provenance de pays d’Afrique ou du Proche-Orient avancent souvent l’argument de la protection de la culture. Or, cette culture évoquée repose en grande partie sur une histoire religieuse et chrétienne. N’est-ce pas là un paradoxe ?
« Effectivement, tous ceux qui prêchent la fermeture des frontières aux réfugiés et migrants soutiennent soit Andrej Babiš, qui n’est pas tchèque mais slovaque, ou le chef du parti SPD qui est le plus opposé à l’immigration, Tomio Okamura, qui lui possède des origines japonaises… Je ne sais comment ils s’arrangent avec leur conscience : comment peut-on être opposé à l’accueil des étrangers quand on est soi-même un étranger ? »« Personnellement, j’ai vécu pendant huit ans comme réfugié politique en Autriche. La différence par rapport à aujourd’hui est que j’étais blanc et que je parlais un peu allemand. L’Islam, bien sûr, ce n’est pas la même chose, mais je pense que tout cela est vraiment exagéré. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je voterai pour les Pirates lors des élections communales (qui se sont tenues les 5 et 6 octobre derniers). Pourquoi ? Non seulement parce qu’ils ont un joli nom, mais aussi parce qu’ils ont déclaré que Prague comptait parmi les villes les plus riches en Europe et que donc nous étions tout à fait en mesure d’accueillir 5 000 réfugiés. Tout cela pour dire qu’il faut faire preuve d’un peu de bon sens. Je trouve épouvantable la position qui est celle d’un pays comme le nôtre. Regardez un peu les monuments à Prague : la ville doit sa beauté et sa richesse architecturale à la Bavière, à l’Espagne, à l’Italie ou à la France, mais il y a aussi des influences de l’Est… Si on retirait tout ce qu’ont apporté les étrangers, on se retrouverait comme sur un champ (il rit). »
Le chef de l’Eglise tchèque, le cardinal et archevêque de Prague Dominik Duka, proche du président Miloš Zeman, défend précisément sur le sujet de l’immigration une position qui n’est pas facile à accepter pour tous les chrétiens. Quel est votre regard sur ce point ?
« Je suis un des auteurs d’une revue qui s’intitule Universum (cf. : http://www.krestanskaakademie.cz/casopis-universum). C’est la revue de l’Académie chrétienne tchèque, dont le président est Tomáš Halík, professeur d’université. Dans le dernier numéro, j’ai réagi précisément à cette peur manifestée par le cardinal Duka, à travers laquelle il s’est rangé indirectement sous l’aile du président Zeman. Je ne critique personne, je dis simplement que les chrétiens sont, depuis le début, une organisation universelle. L’apôtre Paul, qui a probablement été le plus grand missionnaire de tous les temps, a dit qu’il n’y avait désormais plus de Grecs, juifs ou païens, mais que tous, hommes et femmes, étions frères dans le Christ. Quand le cardinal Duka se range derrière Miloš Zeman et Andrej Babiš en affirmant que se trouvent des gens potentiellement dangereux et des terroristes dans les groupes de réfugiés, bien sûr qu’il a raison, mais cela a toujours existé. Quand j’ai été responsable du groupe tchèque à Paris, certes il n’y avait pas de terroristes, mais des criminels, ça oui. Je considère que le rôle d’un évêque n’est pas de rappeler que figurent des criminels dans un groupe de gens, mais plutôt que le christianisme est universel pour encourager les gens à ne pas avoir peur et à ne pas se cacher derrière des discours d’hommes politiques ou d’affaires. Je sais ce que c’est que d’être réfugié et j’ai raccompagné à la frontière plusieurs criminels tchèques qui étaient expulsés par la police française. Tout cela pour dire que ce n’est pas à nous, Tchèques, de jouer le rôle des anges innocents contre les autres qui sont les méchants. Ce ne peut pas être vrai ! »« Le français me permet de vivre ma foi différemment »
Changeons donc de sujet : comment vit la communauté catholique francophone à Prague ?
« Je suis presque le co-fondateur de ce groupe. Le premier prêtre tchèque qui a célébré quelques messes à Prague après la révolution, dont j’avais d’ailleurs fait la connaissance à Paris, était quelqu’un de proche, d’abord de par nos origines. Nous n’étions séparés que par une petite rivière : lui était silésien et moi, morave. Je suis donc là depuis 1990. Jusqu’en 2005, je suis resté le seul prêtre francophone disponible à Prague. En tant que jésuite, je ne suis en effet pas impliqué dans une paroisse. Longtemps, jusqu’en 2003, ma principale activité a été la radio tchèque. Je passais alors les week-ends avec la communauté francophone. C’étaient des moments de ressourcement. J’ai profité de beaucoup de rencontres intéressantes avec tout un tas de personnes. J’étais presque le secrétaire du cardinal Jean-Marie Lustiger avant de quitter la France. On se voyait d’ailleurs à chaque fois qu’il venait en Tchécoslovaquie. Etre occupé du lundi au dimanche ne me dérangeait donc pas. »
« Mais j’ai pris ma retraite, fatigué, en 2006. Cela ne m’a pas empêché récemment de reprendre la responsabilité de cette communauté, y compris avec les touristes, dont certains veulent parfois faire baptiser un enfant ou se marier à Prague. Les gens viennent ici et se demandent ce qu’ils pourraient bien faire pour que leur séjour soit encore plus inoubliable… Je ne donne pas de noms, mais cela existe. En somme, cette communauté francophone fait partie de ma vie. Elle m’aide à vivre ma foi un peu différemment de ce que je connais en République tchèque et me permet de rester informé de ce qui passe ailleurs et ouvert sur le monde. »
Quelle est aujourd’hui la place du français dans l’Eglise tchèque ? Est-ce une langue qui attire encore ?
« Au début, j’étais préfet d’études chez les jésuites. J’ai donc envoyé trois étudiants successivement à Paris. Malheureusement, pour différentes raisons, dans aucun des cas, cela n’a été un bon choix. Personne parmi eux n’a été capable d’assumer les exigences du Centre Sèvres à Paris. Par contre, le cardinal Duka, quand il était encore évêque et provincial des dominicains, a envoyé plusieurs jeunes étudiants en France. Trois d’entre eux ici à Prague parlent aujourd’hui parfaitement le français. Malheureusement, ils ne veulent pas s’engager dans la communauté francophone, notamment dans la liturgie. Je peux le comprendre, car ce n’est pas très réjouissant à cause de l’importante rotation au sein de cette communauté. Il y a régulièrement des départs et c’est très difficile à supporter, car vous ne pouvez jamais rien construire de durable. Ce n’est donc pas par ce biais-là que le français va s’installer. »