Médias : à Lidové noviny, le départ d’une journaliste de renom pose la question de l’influence d’Andrej Babiš

Petra Procházková, photo: Josef Horázný/ČTK

C’est une figure importante du grand reportage qui vient de claquer la porte du quotidien tchèque Lidové noviny : Petra Procházková quitte le navire après vingt-sept ans de bons et loyaux services, a-t-elle annoncé lundi. Un départ lié, d’après elle, à l’influence du Premier ministre Andrej Babiš (ANO), dont le fonds fiduciaire regroupe entre autres le groupe de presse Mafra, propriétaire du journal. Retour sur cette affaire et sur la carrière de cette journaliste de renom.

Petra Procházková,  photo: Josef Horázný/ČTK
S’il est une chose dont on peut être sûr, c’est que Petra Procházková n’a pas froid aux yeux. Et pour cause, elle s’est fait un nom grâce à ses reportages en zones de guerre, dans les républiques du Caucase nées de la chute de l’empire soviétique.

Au cœur de son travail de journaliste, la Tchétchénie a toujours tenu une place à part. Interrompant un certain temps sa carrière, Petra Procházková y a même fondé un foyer pour les orphelins de la guerre en l’an 2000 avant d’être renvoyée du pays par les autorités russes qui la jugeaient trop gênante. Au lieu de rentrer à Prague, elle est devenue correspondante en Afghanistan en 2001 et 2002, dès le début de l’intervention américaine.

Ses états de service donnent la mesure de son travail et de son sérieux. Elle a été ainsi distinguée par le prix František Kriegel, qui récompense le courage civique qui s’exprime sans se soucier ni des profits, ni des risques encourus.

En 1989, elle a été au cœur de l’équipe refondatrice du quotidien historique Lidové noviny, dont la publication s’était arrêtée pendant les années de communisme. La décision de Petra Procházková, qui estime l’indépendance du quotidien mise en péril par l’influence du Premier ministre Andrej Babiš, n’a donc pas été prise à la légère :

« Qu’un journal accepte de publier un article envoyé par le gouvernement lui-même, un papier qui n’a rien à voir avec le travail du gouvernement, qui est proposé afin de soutenir un homme politique avant une négociation importante, ce n’est plus une erreur. J’appelle ça, tromper les lecteurs ! »

Syrie,  photo: Ugur Can/DHA via AP/ČTK
Pour comprendre de quoi il retourne, il faut revenir sur une affaire qui agite le débat public ces deux dernières semaines, depuis le refus du Premier ministre Andrej Babiš d’accueillir cinquante orphelins syriens, comme cela avait été proposé par la députée européenne chrétienne-démocrate Michaela Šojdrová (cf. : https://www.radio.cz/fr/rubrique/faits/migrants-meme-orphelins-andrej-babis-nen-veut-pas). Une intransigeance qui a choqué jusque dans les rangs de certains politiques tchèques. La semaine dernière, le quotidien Lidové noviny a publié un texte attribué à la directrice et médecin auto-proclamée d’une organisation prétendument humanitaire et internationale, dont il n’existe aucune trace officielle hormis une inscription au registre du commerce et une adresse étrangement basée au même endroit que celle du Parti communiste de Bohême-Moravie. Cet article soutenant la position du Premier ministre dans l’affaire de l’éventuel accueil de ces orphelins syriens est à l’origine du conflit entre les deux parties. Petra Procházková :

« Le fond de l’affaire, c’est d’où nous provient cet article ? Il nous a été transmis par le gouvernement, par le Premier ministre Andrej Babiš. Il y a aussi pour moi la question du comportement qui a prévalu au journal, où on a plus ou moins cherché à camoufler l’affaire. Je n’ai aucune garantie que ce genre de choses ne se soient pas déjà produites auparavant et qu’elles ne se reproduiront pas à l’avenir. »

Le retrait de l’article incriminé et les excuses du rédacteur en chef Ištván Léko n’ont pas suffi à rassurer Petra Procházková. Sa décision de quitter le quotidien pourrait d’ailleurs faire des émules, puisque selon le site d’investigation Neovlivní.cz, la rédaction de Lidové noviny abriterait d’autres candidats au départ.

Andrej Babiš,  photo: Roman Vondrouš/ČTK
L’entrée en politique il y a quelques années du milliardaire Andrej Babiš, à la tête d’un empire industriel dans l’agroalimentaire et la presse, a, dès le début, fait craindre des problèmes de collusion et sinon de censure, à tout le moins d’autocensure dans les quotidiens concernés. Afin de ne pas contrevenir à la loi sur le conflit d’intérêts, l’ancien ministre de l’Intérieur, puis des Finances et désormais Premier ministre Andrej Babiš avait, l’année dernière, placé ses actions dans des fonds fiduciaires. Le groupe de presse Mafra, propriétaire du principal quotidien national Mladá fronta Dnes et de Lidové noviny, se trouve justement dans l’un de ses fonds. Pourtant, selon des informations de l’ONG Transparency International, Andrej Babiš contrôlerait toujours son groupe agroalimentaire Agrofert, dont la société Mafra est une filiale. L’organisation a récemment déposé une plainte, estimant que cette situation constituait une violation de la loi sur le conflit d’intérêts.

La concentration des médias est un des problèmes régulièrement pointés par les experts, et notamment par l’organisation Reporters sans frontières. D’ailleurs, son dernier classement mondial sur la liberté de la presse a vu la République tchèque chuter de onze places pour se retrouver à la 34e position sur 180 pays observés.