Une histoire de famille à l’afghane dans les cinémas tchèques… et bientôt français
Herra est une jeune femme d’origine tchèque qui, par amour, décide de tout quitter pour suivre en Afghanistan celui qui deviendra son mari, Nazir. Son regard de femme européenne et son expérience des différences culturelles et générationnelles est le fil conducteur du film d’animation « Moje slunce Mad », qui a obtenu le prix du jury du festival du film d’animation d’Annecy 2021, et qui sort jeudi 21 octobre dans les salles de cinéma tchèques, avant une sortie – sous le nom de « Ma famille afghane » – dans les salles françaises début 2022.
Helena abandonne son quotidien banal à Prague pour se marier avec Nazir à Kaboul, en Afghanistan. Cette nouvelle vie dans un environnement si différent commence avec un nouveau nom : Herra. Mais les rêves de vie d’Herra ne deviennent pas réalité, et l’adaptation aux nouvelles règles de vie n’est pas toujours facile. Herra cherche tant bien que mal à se faire une place dans ce nouvel univers, lorsqu’un petit garçon nommé Mad fait son apparition dans sa vie. Il semblerait que le bonheur n’est pas toujours là où l’on attend…
C’est le scénario du film « Moje slunce Mad » – « Ma famille afghane » de la réalisatrice Michaela Pavlátová, qui s’inspire du roman de la journaliste Petra Procházková « Frišta » (2004).
Il a fallu 5 à 6 années de travail pour voir ce projet de coproduction franco-tchéco-slovaque aboutir. La production en elle-même a occupé pendant environ 3 ans une équipe de quelques 35 animateurs en Tchéquie ainsi qu’une dizaine de personnes dans les studios Gao Shan basés à La Réunion. L’un des producteurs tchèques, Petr Oukropec, de la société de production Negativ – qui s’était déjà fait remarquer avec le film d’animation « Alois Nebel » (2011) – voyait comme une évidence le travail en coproduction avec la société française Sacrebleu, avec laquelle il avait déjà travaillé sur le court métrage animé de Michaela Pavlátová « Tram » (Cristal du meilleur court-métrage d’animation au festival d’Annecy 2012). En effet, ce projet de long métrage impliquait des compétences plus importantes, et Petr Oukropec fait remarquer que non seulement les Français sont « plus expérimentés en la matière », mais aussi qu’il existe, en France, un véritable « marché des films d’animation ». D’ailleurs, après sa sortie le 21 octobre en République tchèque, le film « Ma famille afghane » sortira dans les salles françaises dès début 2022. Dans l’hexagone, les spectateurs les plus impatients pourront toutefois voir le film dès novembre à Nantes, dans le cadre du Festival des 3 Continents.
Si la situation en Afghanistan fait imprévisiblement de ce film d’animation un sujet très actuel, la réalisatrice Michaela Pavlátová rappelle que c’est dès 2004 que l’autrice avait écrit le roman dont le film est adapté. De plus, pour elle, « ce film est avant tout à propos d’une histoire de famille. Même s’il est évident que qu’un film qui a lieu dans un environnement aussi agité et dangereux que l’Afghanistan a forcément un sens politique. La vie là-bas est infiniment plus influencée par les événements extérieurs. »
Pas une autobiographie, mais…
L’autrice du roman « Frišta », Petra Procházková, est une journaliste tchèque connue notamment pour ses reportages et son engagement humanitaire en Afghanistan ainsi que dans les zones de guerre du Caucase auxquelles l’écroulement de l’URSS a donné naissance. Si elle a donc une expérience personnelle et professionnelle de l’Afghanistan, Petra Procházková précise cependant que le roman « Frišta » n’est pas une autobiographie :
« Le livre est le résultat de plusieurs de mes expériences, mais il n’a pas grand-chose d’une autobiographie. Il se compose de nombreuses histoires de mes amies, proches et parentes. Pour le film, l’histoire a dû être condensée, les petites histoires parallèles ont été élaguées. Les changements les plus importants entre le livre et le film sont survenus au niveau du personnage principal, de russe, elle est devenue tchèque, et donc beaucoup de gens ont commencé à penser qu’il s’agissait de moi, plus qu’avec le livre. Le seul personnage authentique et réel du livre, c’est le grand-père. C’est incroyable, mais Michaela est parvenue à le dessiner de façon très fidèle à la réalité. »
La différence la plus importante entre le livre de Petra Procházková et le film de Michaela Pavlátová est donc la nationalité du personnage central. En effet, si Helena est russe dans le roman, elle est tchèque dans le film. Michaela Pavlátová explique en quoi cette modification proposée par l’auteur de l’adaptation, Ivan Arsenjev, ne lui semble pas importante en soi :
« Dans le scénario original proposé par la société de production, le personnage principale était déjà une Tchèque. J’ai également lu le livre, mais pour moi, ce n’était pas important, qu’elle soit russe ou tchèque… Ce qui était important, c’était qu’elle soit originaire de nos contrées, au sens large, qu’elle vienne du monde occidental, et qu’elle commente ses expériences sur la base de sa connaissance de la société occidentale. Il faut préciser qu’à travers le regard de l’héroïne, il s’agit de notre regard de Tchèques sur l’Afghanistan. Certains objecteront peut-être que la vie est beaucoup plus dure, plus terrible, là-bas. On a reproché au film d’être un peu trop comme un conte de fées ; en même temps, ce film n’a pas pour objectif de montrer l’Afghanistan, mais il vise à montrer l’expérience qu’en a l’héroïne tchèque. D’où une certaine simplification. »
Michaela Pavlátová n’a pas réalisé uniquement des films d’animation, mais c’est ce type de création qui est la plus naturelle pour elle, et qui lui procure le plus de plaisir. Ce qui a motivé son choix du récit adapté du roman « Frišta », c’est qu’elle voulait une histoire avec une femme intéressante et forte en tant que personnage principal. De plus, elle voulait prouver que le cinéma d’animation pouvait être utilisé même pour raconter des histoires complexes, avec plusieurs niveaux, comme dans un film classique.
De l’anglais, du tchèque, du dari…
Elément qui mérite également d’être noté : le film existe non seulement en version tchèque, mais aussi en version internationale, pour laquelle le doublage de chacun des personnages a été réalisé par un seul et même acteur dans les différentes langues du film. Michaela Pavlátová :
« Dans la version internationale, chaque personnage parle la langue qu’il parlerait en vrai : et donc on entend de l’anglais, du tchèque, du mauvais anglais, du mauvais tchèque, du bon dari, du mauvais dari, en fonction de si la personne parle sa langue maternelle ou non. Personnellement, je n’ai pas de préférence entre les deux versions. La version tchèque a également des sons, des voix afghanes, au marché, à l’école, etc… Ils confèrent une atmosphère afghane au film, même si les dialogues sont en tchèque, ce qui est plus facile à suivre pour le spectateur tchèque. ».
En ce qui concerne les graphismes du film « Moje slunce Mad », Michaela Pavlátová explique qu’elle avait tout d’abord créé des personnages très stylisés, car c’est le style d’illustration qui lui est proche, mais elle a craint qu’ils ne soient pas vraiment crédibles aux yeux des spectateurs. Elle a donc essayé de les rendre plus réalistes, mais ce n’était plus vraiment son style, et cela s’est avéré très difficile à animer. Le résultat final est donc un compromis entre stylisation et réalisme. Ainsi on appréciera le rendu très fidèle des émotions sur les visages des personnages, dont les lignes nettes contrastent avec les arrière-plans d’apparence presque aquarellée.
De par leur richesse et leur complexité, les personnages de « Moje slunce Mad » méritent d’ailleurs qu’on s’y arrête quelques instants : loin des classiques dessins animés-contes de fées manichéen, dans ce film, personne n’est tout noir ni tout blanc. Au contraire, c’est la psychologie complexe de chacun qui les rend intéressants, qui fait que l’on peut – dans certaines situations – s’y identifier. Ainsi le grand-père, qui aime se présenter comme progressiste et ouvert d’esprit, cache pourtant aux Américains que les femmes de la famille sont enfermées loin de leurs regards ; Herra, elle, est tour à tour forte et soumise, rebelle et tolérante ; quant au mari d’Herra, Nazir, il est partagé entre les valeurs traditionnalistes liées à sa culture et la fierté qu’il ressent pour sa femme européenne.
Le petit garçon qui devient le fils adoptif d’Herra et de Nazir, Mad, est sans doute le personnage le plus « pur » de tous. Avec sa sagesse d’un autre âge, il joue un rôle de médiateur dans la famille afghane d’Herra. De par sa différence, il semble venu d’un autre monde, tout comme Herra. Tout comme elle, d’ailleurs, il a du mal à trouver sa place, et c’est ce qui les rapproche. Mad est extrêmement touchant, comme nous le dit Petra, une jeune Tchèque qui a déjà eu l’occasion de voir le film Moje slunce Mad :
« Mon personnage préféré, c’est Mad, parce qu’il est mignon, ouvert et honnête. Il a bon caractère. J’ai aussi aimé le fait que le film montre la vie telle qu’elle est vraiment là-bas. Les problèmes, la société, les valeurs culturelles et sociales, là-bas. Et en quoi c’est différent des valeurs européennes. »
Un message de tolérance et d’universalité des valeurs
Mettant en évidence le respect et l’acceptation de ce qui est autre au sens large, mais aussi la difficulté de mettre en pratique la tolérance de l’autre en dépit des convictions et expériences personnelles, ce film se veut une leçon de valeurs universelles, selon Michaela Pavlátová :
« Ce que j’aimerais, c’est que ce film continue, avec ses émotions, à prouver que les films d’animation ne sont pas forcément uniquement pour les enfants et ne doivent pas nécessairement finir bien. Et plus important encore, pour moi et pour tous, ça serait que les gens réalisent que dans d’autres endroits du monde vivent des gens qui nous ressemblent, d’une façon ou d’une autre, bien plus qu’on ne le pense. Que la famille, la communauté et l’amour, ce sont des valeurs partagées par bien d’autres nations. »