Les derniers jours du poète Robert Desnos à Terezín sous la plume d’Ysabelle Lacamp
Au début de l’année, la romancière française Ysabelle Lacamp a publié aux éditions Bruno Doucey, Ombre parmi les ombres, récit romancé des derniers jours du poète Robert Desnos mort à Terezín au terme d’un long périple de camp en camp. A travers la rencontre fictive de Robert Desnos mourant avec un jeune Juif tchèque qui a miraculeusement échappé à la mort, Ysabelle Lacamp dresse un portrait de Desnos qui, au crépuscule de sa vie, retrouve son identité de poète, mais retrace aussi dans le même temps l’histoire de ce camp de concentration pas comme les autres, où envers et contre tout, l’art et une forme de liberté survécurent à la barbarie. Au micro de Radio Prague, Ysabelle Lacamp est revenue sur la genèse de son roman :
Robert Desnos est né le 4 juillet 1900 à Paris. Né avec le siècle, selon l’expression consacrée, il en fait aussi partie pleinement et en connaît les moments-phare, qu’ils soient d’ailleurs plaisants ou terribles. Cet autodidacte, jeune poète débutant, se retrouve bientôt dans les cercles surréalistes de l’entre-deux-guerres et il est un participant enthousiaste et engagé à toutes les expériences littéraires et « paranormales » qui caractérisent la création de ces nouveaux révolutionnaires du verbe.
Pour faire revivre cette période passée, alors qu’il est en train de mourir, et pour confronter cette époque à l’épouvantable réalité de Terezín, Ysabelle Lacamp convoque un personnage fictif, un jeune adolescent du nom de Leo Radek qui assiste aux derniers jours de Desnos :
« Leo Radek est un personnage totalement fictif, mais inspiré des quelques témoignages des rares enfants survivants de Terezín. C’est comme si Leo Radek était une sorte d’alter ego de Desnos. Leur conversation est intime, cet échange a lieu après une sorte de reconnaissance fulgurante, immédiate entre ces deux êtres. Il ne faut pas oublier que Desnos n’a jamais eu d’enfants. Même s’il est connu pour avoir laissé des poèmes pour les enfants. Ce n’est qu’une toute petite partie de son œuvre mais en France on le connaît toujours parce qu’on l’étudie à l’école. Ce jeune garçon va lui raconter Terezín. Et Leo Radek, qui admire Desnos, va petit à petit découvrir sa vie. Ce qui est relaté ici, ce sont les derniers jours, le dernier mois de la vie de Desnos. Il est atteint du typhus donc en proie à des rêves éveillés, lui qu’on a surnommé le ‘dormeur éveillé’. Pendant la période surréaliste, il était connu comme le plus doué de ceux qui arrivaient à produire pendant des sommeils hypnotiques. Il y a un côté étrange et assez cynique d’imaginer qu’il est mort du typhus et dans cette recrudescence de rêves. Mais cette fois, c’étaient des rêves pour échapper à la réalité. »Tout poète qu’il est, Robert Desnos, mobilisé dès 1939, est convaincu de la nécessité de lutter contre le nazisme. Après la défaite de la France, il s’engage très vite dans la Résistance, et c’est en raison de ces activités qu’il finit par être arrêté le 22 février 1944 :
« Robert Desnos est arrivé le 8 mai 1945, au moment de la libération du camp de Terezín par les Russes. Il n’a donc pas pu se frotter à l’effervescence artistique de Terezín, à la spécificité de camp de transit, à cette énorme supercherie, puisque les nazis s’en servaient comme une sorte de camp-vitrine, pour faire passer aux yeux du monde l’image d’un soi-disant ‘ghetto-paradis’. Desnos y arrive au terme au terme d’une longue marche de la mort, après un an de camps puisqu’il est allé à Auschwitz, Buchenwald, Flossenbürg et Flöha. Il arrive épuisé à Terezín, mais a priori en homme libre. Et là, il va y mourir du typhus. »
Terezín est, comme on le sait bien aujourd’hui, un camp de concentration très spécial : les nazis voulaient en faire une sorte de camp-modèle, pour donner le change aux yeux du monde. Camp de transit avant Auschwitz, c’est aussi là que furent déportés de nombreux musiciens, écrivains, compositeurs et créateurs juifs (et non-juifs) pendant la Seconde Guerre mondiale, lui donnant la réputation de « camp des artistes ». Des œuvres d’art ont même été composées dans ce camp, signe que même au plus près de l’horreur, la lumière de l’espoir pouvait briller à travers l’art. Terezín a été aussi le lieu d’une effervescence inouïe au sein de la petite communauté des enfants du ghetto : c’est là qu’entre 1942 et 1944 fut fabriqué de manière artisanale le magazine littéraire clandestin Vedem (Nous menons) par un groupe d’une dizaine d’adolescents, qui, pour échapper à l’ignoble et l’inhumain, s’étaient créé la petite république imaginaire de Skid.Tout ceci, comme le rappelle Ysabelle Lacamp, Robert Desnos ne l’a pas su, mais il est presque troublant de s'imaginer que le destin du poète se termina de manière funeste précisément dans ce camp si particulier. Matricule 53236, Robert Desnos aurait pu mourir dans l'anonymat le plus complet, n'était un événement extraordinaire survenu pendant les dernières heures de son existence. Ysabelle Lacamp décrypte le titre de son roman et évoque cette sortie de l'oubli :
« Ombre parmi les ombres d’un de ses poèmes les plus connus ‘A la mystérieuse’, très beau poème qu’il a écrit pour son grand amour, Yvonne Georges. Desnos a eu deux grands amours : Yvonne George et Youki. L’une crépusculaire, l’autre totalement solaire, deux pôles qu’on retrouve dans la personnalité de cet homme qui était très double. Il avait une sorte de boulimie d’écriture, tous azimuts, il a tout essayé. Mais il avait aussi un part plus lunaire, plus sombre, avec des prémonitions, de visions de médium. On retrouve ce vers, Ombre parmi les ombres, dans un autre poème, qui s’appelle L’homme et son ombre. Il y écrit : Ombre parmi les ombres/Nombre parmi les nombres. Quand on entend Nombre parmi les nombres, on ne peut pas s’empêcher de penser à cette vision des camps. J’aimerais rajouter à ce propos quelque chose qui doit être connu en République tchèque : Desnos qui n’était qu’un nombre parmi les nombres, a fait la rencontre, deux jours avant de mourir à Terezín, de ce merveilleux étudiant tchèque qui l’a reconnu, qui a vu son nom sur la fiche des malades, et qui s’est dit : ‘Est-ce que ce ne serait pas Robert Desnos, le poète ?’ Desnos, peu avant de mourir, est donc retourné à son identité perdue pendant un an puisqu’il avait été transformé en chiffre. C’est très beau : parce qu’on lui a redonné un nom, il sort de la fosse commune tous ces êtres anonymes qui sont morts. Il leur redonne ainsi une dignité à travers la reconnaissance de ce jeune Tchèque qui, par ailleurs, était un fou du surréalisme, qui connaissait les œuvres de Desnos traduites en tchèque, qui adorait Breton, qui avait vu la photo de Desnos par Man Ray, qui dort. C’est très beau, très émouvant. »