Les « špekáčky » : les saucisses qui cimentent la société tchèque
La série gastronomique de l’été de Radio Prague sur les spécialités culinaires tchèques se poursuit avec les « špekáčky », autrement dit des saucisses traditionnelles que les Tchèques, mais aussi les Slovaques, adorent faire griller, réunis en famille ou avec leurs amis autour d’un bon feu crépitant. Aussi, la précaution n’est pas inutile : on dépasse là clairement la gastronomie pour approcher un véritable art de vivre.
Un phénomène social
« Le špekáček est tout simplement un phénomène social en Tchéquie. Son goût est meilleur quand vous êtes avec d’autres gens, quand les gens sont réunis ensemble autour du feu, qu’ils chantent, qu’ils jouent de la guitare, qu’ils s’amusent. Alors cela vaut le coup et le špekáček est deux fois meilleur. »
Jaroslav ne tarit pas d’éloge à propos de la saucisse sacrée, un des ciments de la société tchèque. Il faut dire que, comme la plupart de ses compatriotes, il est tombé dans la marmite quand il était enfant, il y a quelques années déjà :« Le špekáček m’accompagne depuis l’enfance, comme chaque Tchèque. Ce n’est pas une saucisse ordinaire, c’est le špekáček. Quand on le goûte une fois, on en a ensuite besoin toute sa vie. »
Ainsi, de génération en génération, le virus du špekáček se transmet. Barbora, étudiante à Prague, l’a elle-même attrapé :
« Pour être honnête, j’adore les špekáčky. C’est mon plat préféré. Des fois, je les fais au barbecue mais, bien sûr, c’est toujours mieux de les faire griller autour d’un feu avec des amis. Nous allons assez souvent à la campagne avec mes amis. L’un d’entre eux a un chalet à la montagne et, quand nous y allons, nous faisons toujours griller des špekáčky. Nous discutons, nous buvons, ensuite nous chantons des chansons, et, tout simplement, nous sommes heureux de nous voir. C’est quelque chose de beau et d’intime. »
Les secrets de la saucisse sacrée
Ce qui est beau et intime, c’est aussi la cuisson de la fameuse saucisse. Avant de le soumettre à l’action des flammes, le gourmet entaille généralement le špekáček aux deux bouts, de telle sorte que, durant la cuisson, la matière grasse fond et s’égoutte progressivement. Il peut jouer avec sa broche, sur laquelle il a délicatement empalé la saucisse, pour obtenir la texture qui sied le plus à son goût. Le špekáček se déguste ensuite avec un morceau de pain et avec les condiments adaptés, de la moutarde notamment, malheureusement rarement de Dijon.A ce stade, une question s’impose : quel est donc le secret de la recette de cette saucisse traditionnelle ? Eh bien, selon la recette originale, la composition du špekáček devrait s’établir comme suit : 50 % de viande de bœuf, prélevée sur les parties postérieures de l’animal, 20 % de viande de porc et le reste de matière grasse. Enfin, on relève le tout avec de l’ail, du poivre et une pincée de noix de muscade. Dans les faits, il existe de multiples variétés de la précieuse saucisse, et la part de porc est devenue de plus en plus importante avec le temps, au détriment du bœuf. Petr Pipek, de l’Ecole supérieure de technologie chimique de Prague, nous permet d’y voir plus clair dans la jungle des špekáčky :
« On trouve des špekáčky de toutes les qualités et à tous les prix. Les saucisses qui sont de bonne qualité aujourd’hui portent généralement le label ‘spécialité traditionnelle protégée’. On les reconnaît facilement, elles sont marquées d’une sorte de petit soleil bleu et on peut y lire ‘spécialité tchèque traditionnelle’, parfois même en anglais. »
La tradition des špekáčky remonterait au XIXe siècle, et on trouverait mention du met gastronomique pour la première fois en 1891, lors d’une exposition agricole organisée à Prague. Au siècle dernier, la saucisse a connu un développement accéléré, avec des sociétés se spécialisant dans sa production. Et depuis 2011, le špekáček dispose donc du label ‘spécialité tchèque traditionnelle’, reconnu au niveau européen. Une belle réussite pour ce met symbole de la convivialité à la tchèque.