« On est tous dans les personnages de Sempé »
Jusqu’au 15 juillet, la Villa Pellé dans le VIe arrondissement de Prague accueille une exposition des œuvres du dessinateur français Sempé, et notamment des dessins du personnage qui l’a rendu célèbre, le Petit Nicolas. Martine Gossieaux est galeriste à Paris, et c’est elle qui gère et expose l’œuvre du dessinateur. Elle est revenue au micro de Radio Prague sur le parcours de Sempé, l’universalité du personnage de l’inoubliable petit écolier facétieux, mais aussi sur l’exposition praguoise.
Parlez-nous de votre galerie. Vous exposez les œuvres Sempé depuis une vingtaine d’années, voire plus. Pas uniquement les siennes, celle d’autres dessinateurs d’ailleurs, mais la galerie est centrée sur lui…
« Oui, en fait je suis son agent. J’édite ses livres en collaboration avec Denoël ou bien toute seule, à la galerie. J’édite également des catalogues d’exposition quand il y en a. Il y a eu une exposition à Paris qui a été très importante et donc il y a eu un catalogue. J’ai aussi évidemment d’autres dessinateurs, mais il est vrai que c’est Sempé que je connais le mieux puisque je travaille avec lui depuis quarante ans. »
Est-ce fréquent d’envoyer ainsi des expositions Sempé à l’étranger ?
« On essaye de le faire au moins une fois par an. L’an prochain, j’espère le faire à Bordeaux puisque c’est sa ville natale et que j’aimerais vraiment qu’il y ait un retour à Bordeaux, la ville ayant tellement changé ! Donc j’essaye en effet de faire cela tous les ans, mais c’est lourd à organiser. A la galerie en tout cas, il y a tous les ans une exposition, qui démarre en novembre jusqu’en février. Les expositions tombent un peu comme cela, selon les livres, selon diverses opportunités… »Les aventures du Petit Nicolas ont été traduites dans beaucoup de langues. Dont le tchèque. Les Tchèques le connaissent bien puisque cela a été publié ici même sous le communisme. Comment expliquez-vous ce succès même à l’étranger ?
« Je pense que le Petit Nicolas, c’est un petit garçon qui est dans tous les pays. Tous les enfants se reconnaissent ! Ils sont très attachés à l’école, à la maîtresse, au Bouillon, cet homme qui est le directeur et qui fait un peu peur aux enfants… Tout le monde se reconnaît dans ce petit personnage qui fait des bêtises, mais sympathique en même temps. Je pense que le Petit Nicolas est vraiment universel. »
Puisque vous connaissez bien Sempé, dites-nous comment il est arrivé au dessin…
« Il n’était pas particulièrement doué, comme il dit. Il ne l’est toujours pas d’ailleurs (rires). C’est beaucoup de travail. C’est quelqu’un qui a énormément travaillé. Il n’a jamais fait juste un dessin, il en fait trois à chaque fois, il en prend un bon, il les refait, les déchire, les reprend. Au début, il y avait surtout l’admiration qu’il vouait aux dessinateurs quand il était jeune. Il a toujours été attiré par cela. Quand il était à Bordeaux, il avait entendu parler du New Yorker et pour lui, c’était vraiment quelque chose : il voulait faire partie de ces gens, de ces dessinateurs. Il a persévéré, il est venu à Paris et l’idée était vraiment de placer des dessins dans des journaux. Il y a rencontré Bosc, Chaval, tous ces gens-là. Mais il a énormément travaillé. Ça a été très difficile avant de réussir à faire un livre. Sempé avait déjà fait quelques histoires du Petit Nicolas, publiées en Belgique. Il était passé un jour devant un magasin des vins Nicolas, et c’est comme cela qu’est né le nom du Petit Nicolas ! Il a ensuite rencontré René Goscinny et là, ils se sont mis à travailler ensemble. Le Petit Nicolas, ce sont en fait les histoires de l’enfance bordelaise de Sempé puisque Goscinny était né en Argentine et n’avait pas eu la même histoire. Goscinny s’est occupé de l’écriture, et tous les deux, ils ont créé ce personnage. C’est cela qui a fait démarrer Sempé. Plus tard, il a voulu à tout prix faire un livre. Il l’a dit à l’éditeur qui avait publié le Petit Nicolas. C’est comme cela qu’est né Rien n’est simple, son premier album. »Et il a fini par publier dans le New Yorker !
« Il voulait vraiment faire partie du New Yorker. Il disait toujours qu’il ne voulait absolument pas aller vers eux. Ce sont finalement eux qui sont venus vers lui ! Le directeur du New Yorker à cette époque-là a voulu tout de suite travailler avec lui. Sempé allait donc de temps en temps à New York, même s’il travaillait à Paris. Il y emmenait ses dessins qui étaient pris – ou pas pris d’ailleurs. Avec Sempé, il y aussi eu Paris Match, puisque c’est ce qui l’a fait aussi démarrer en France. »
Si on devait caractériser le dessin de Sempé, que diriez-vous ? Quel est son trait caractéristique, si l’on peut dire ?
« Il y a beaucoup de choses qui définissent Sempé, comme le dit Marc Lecarpentier qui travaille avec moi sur les livres. Pour moi, c’est clairement son trait. Je trouve qu’il a un dessin vraiment formidable, très léger. Et puis il y a son humour qui est toujours sans méchanceté. C’est quelque chose qui nous touche toujours, qui est proche de nous. On est tous dans les personnages de Sempé, dans tout ce qu’il nous montre, de façon ironique mais gentille. Mais c’est aussi un grand écrivain, il suffit de lire ses légendes ou alors les livres qu’il a faits tout seul comme Raoul Taburin. Il a une écriture formidable, il cherche le mot, il est très précis. Son œuvre est aussi littéraire. »Sempé a été ami avec Jacques Tati. En fait, cela n’a rien de surprenant, je trouve. On retrouve la même poésie, le même regard sur le monde…
« Bien sûr. Il était très ami en effet avec Tati et Savignac. Si vous regardez l’affichiste Savignac qui a fait des choses magnifiques, on est très proche de son dessin. Moi j’ai rencontré Tati avec Sempé qui l’adorait. Eux se sont vus un peu. Tati était un personnage un peu étrange… Sempé l’admirait. Et en effet c’est dans la même veine… Tous ces gens ont le même humour. »
Pour revenir et terminer sur cette exposition à la Villa Pellé à Prague, comment se présente-t-elle ?
« Déjà, ce qui est très beau, c’est qu’il y a de l’espace dans cet endroit. Cela met en valeur les grands dessins de Sempé. Parce qu’il y a beaucoup de grands dessins dans son œuvre, ce qu’on ne voit pas d’ordinaire, puisque dans les livres ils sont réduits. L’espace est magnifique et on y a mis un peu de tout de son œuvre. Il y a évidemment une salle Petit Nicolas, car il est très apprécié ici. Les dessins y sont d’ailleurs à la hauteur des enfants, ce que j’ai trouvé absolument charmant. Et puis, il y a des couvertures du New Yorker, des dessins sur Paris, des dessins humoristiques de ses premiers livres. On a fait un mélange de très beaux dessins. Ici, il y a une jolie sélection de 150 dessins environ. »