« L’animation permet de parler de choses dures avec de la distance »
Jeudi soir a été donné le coup d’envoi de la 25e édition du Festival du film français. C’est le film Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? qui a ouvert le festival, récit d’animation racontant comment est né ce petit personnage célèbre jusqu’en Tchéquie. Pour évoquer le film, Radio Prague Int. a rencontré sa co-réalisatrice Amandine Fredon.
Amandine Fredon, bonjour. Avec Benjamin Massoubre, vous êtes coréalisatrice du film qui a fait l’ouverture du festival du film français à Prague. Qu’est-ce que cela représente pour vous, et pour votre film ?
« Pour nous, c’est assez incroyable de faire l’ouverture de ce festival, à Prague. En France, le film est sorti mi-octobre, et on continue à suivre le film, à le présenter au public, à voyager avec, ce qui est vraiment une chance. »
Comment est né le projet du Petit Nicolas adapté au grand écran ? Peut-on revenir sur la genèse, et d’où est venue cette idée de raconter l’histoire de ses créateurs ?
« Le film est un peu spécial, dans le sens où l’on mélange les séquences des auteurs avec des séquences du Petit Nicolas. Au départ, c’est Anne Goscinny, la fille de René Goscinny, qui a eu l’idée de mélanger des images d’archives de son père et de Jean-Jacques Sempé, avec des séquences animées du Petit Nicolas. Lorsqu’elle a présenté cela au producteur, les images d’archives n’étaient pas de bonne qualité, et les producteurs lui ont dit : ‘Il faudrait le faire entièrement en animation, cela rendrait encore plus hommage aux auteurs.’ L’idée a donc découlé de ces propos. »
En tant que réalisatrice, êtes-vous également partie de ces images d’archives, avez-vous puisé dans ce vivier ?
« C’est Anne Goscinny qui a co-écrit le scénario, et qui était aussi avec nous pour nous donner des documents, des photos, des lettres des deux auteurs qu’elle a bien connus. Avec Benjamin, on a regardé tous les entretiens, tous les documents vidéo qui pouvaient exister pour pouvoir les animer, les dessiner, avoir leurs réactions. Parfois, on a même utilisé des vraies phrases d’interviews que l’on a mises dans le film, telles quelles, pour être le plus fidèle possible de la réalité. »
J’imagine que, comme beaucoup, vous avez aussi grandi avec le Petit Nicolas. Qu’est-ce que vous avez appris que vous ne saviez pas sur l’histoire de Goscinny, sur Sempé, peut être sur la genèse de ce petit personnage que tout le monde a adoré ?
« J’ai appris beaucoup de choses. Je ne savais pas qu’ils avaient appelé le Petit Nicolas d’après une affiche qu’ils avaient vue sur un bus. Or à l’époque le prénom Nicolas n’était pas très courant, en tout cas en France. Lorsque l’on s’est plongés dans les interviews et dans la biographie des deux auteurs, nous avons aussi appris que René Goscinny avait passé son enfance en Argentine, qu’il avait travaillé à New York, et que Jean-Jacques Sempé avait eu du mal à percer ; il voulait absolument dessiner et pour lui, Paris était la ville idéale des artistes.
On avait vraiment envie de raconter tout cela dans le film. Avec Benjamin, on a proposé à Anne de rajouter des informations sur les auteurs, et on avait envie de tout mettre, parce que c’était très intéressant et passionnant de voir la vie qu’ils ont vécue. »
Est-ce que cela a été difficile pour vous, en tant qu’animatrice, d’adapter le personnage du Petit Nicolas ? Comment est-ce que vous vous y êtes pris ?
« Le challenge était un peu compliqué, puisque l’on a deux univers différents. Il fallait différencier graphiquement les deux univers. Il fallait arriver à transposer à l’écran et en animation le trait de Sempé. On s’est vraiment inspirés des illustrations des auteurs, que Jean-Jacques Sempé a faites pour le New Yorker, avec beaucoup d’ombres, de travail de lumière, des mouvements de caméra, quelque chose de très cinématographique, avec des ambiances travaillées, avec notre directeur artistique. On s’est posé beaucoup de questions : le Petit Nicolas et les dessins originaux sont dessinés en tout petit, en noir et blanc. On s’est dit qu’il fallait garder cette caractéristique, ne pas faire de gros plan, conserver ce côté miniature, le Petit Nicolas qui bouge dans le plan, avec des plans larges, assez longs. On a essayé ce compromis, avec des taches de couleurs qui apparaissent progressivement. On a fait beaucoup d’essais pour arriver à obtenir ce résultat. C’est ainsi que l’on a réussi à créer ces deux univers. »
Comment garder d’un autre côté la patte littéraire de Goscinny ?
« Goscinny a un humour assez incroyable. Arriver à mettre en scène toute la finesse de ses propos n’est pas évident. On a essayé de s’en inspirer de plus possible, et créer des moments d’humour grâce à ses phrases. »
J’imagine que le fait qu’Anne Goscinny ait été impliquée a aussi permis d’infuser un peu de cet esprit-là ?
« Oui, complètement. Elle écrit des livres, donc elle est très habituée aux mots, à l’écriture. Pour nous c’était important qu’elle soit présente et parfois elle nous disait : ‘Non, mon père ne peut pas dire cette phrase-là, ce n’est pas lui’. On lui proposait de réécrire des morceaux ou des paragraphes quand on rajoutait des séquences, et c’était judicieux de l’avoir avec nous. »
Le cinéma d’animation a longtemps été, en France notamment, considéré comme un genre mineur. C’est un peu le cas de la bande dessinée d’ailleurs, considérée comme étant destinée aux enfants. Cela a un peu changé évidemment, mais c’est moins le cas en Tchéquie, où il y a une grande tradition de l’animation. Est-ce qu’il y a des créateurs ou des films tchèques qui vous ont marquée dans le cinéma d’animation local ?
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« La culture du film de marionnettes : quand on fait des études d’animation justement, on est bercés par ces films-là. C’est toujours assez impressionnant, il y a vraiment un univers très particulier. J’ai commencé à faire des films en stop-motion, avec des marionnettes, donc c’est exactement cet univers. »
Est-ce que vous voyez une différence de tradition entre la culture de l’animation française et tchèque ?
« En France, on retrouve beaucoup de dessins, alors qu’en République tchèque, c’est plutôt les marionnettes, des bois, des matières à animer. Cela donne une texture qui est un peu différente. »
Le Petit Nicolas, pour le coup est un personnage qui est extrêmement apprécié des Tchèques. Comment est-ce que vous expliquez ce succès du Petit Nicolas en-dehors de la France ?
« Les livres ont été traduits dans énormément de langues, c’est assez impressionnant. Il y a d’ailleurs 222 nouvelles du Petit Nicolas, qui sont rééditées régulièrement, dans de nouvelles éditions. C’est vrai que beaucoup de pays connaissent ce petit garçon et ses aventures. Il y a une nostalgie française, et une nostalgie de l’enfance. D’ailleurs, lorsque les auteurs l’ont écrit, cela reflétait un passé – déjà à leur époque. On s’est posé la question dans le film de savoir si cela allait intéresser les enfants d’aujourd’hui. En étudiant l’histoire, on s’est dit que ce qui était fort, c’était les liens entre les personnages : Nicolas avec ses parents, avec sa grand-mère, avec ses copains. Et ce sont ces liens tellement forts que quelle que soit l’époque, cela fonctionne pour toutes les générations et tous les pays. »
Malheureusement Sempé est décédé très récemment, en août dernier. Est-ce qu’il a vu ce film ?
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« Oui, c’est la première personne à qui l’on a fait voir le film. Déjà avant de commencer la réalisation, on lui a soumis des planches de décors et de personnages pour qu’il nous les valide, pour nous c’était important. Dès qu’on a fini le film, on lui a montré, on lui a fait voir par petits bouts. Je me rappelle de la dernière séquence qu’il a vue, il était très ému, et notamment, de se voir en personnage animé. Pour nous, c’était encore plus émouvant. »
Quelle est la place et quel est le rôle du cinéma d’animation dans nos vies de cinéphiles ?
« Le film d’animation, c’est du divertissement, mais ça permet d’aborder des sujets difficiles, ou parfois durs. D’ailleurs, dans notre film on aborde aussi le problème de l’enfance difficile de Jean-Jacques Sempé, ou de René Goscinny qui a perdu une partie de sa famille dans les camps de concentration. Cela permet de parler de choses dures, mais à la fois de prendre de la distance. Le film d’animation tend aussi vers quelque chose de plus adulte, et c’est une belle direction de dire que le film d’animation n’intéresse pas forcément que les enfants, mais cela peut aussi intéresser les adultes, et avoir des propos et sujets plus durs, comme par exemple le film Flee, qui parle de l’immigration. L’animation permet une certaine émotion que le film en prise de vue réelle ne pourrait pas faire. »