« La Suisse a beaucoup profité du savoir-faire des réfugiés tchécoslovaques »
La communauté tchèque en Suisse, l’invasion soviétique en Tchécoslovaquie en 1968, la coopération bilatérale entre la Suisse et la République tchèque ou encore la vie à Prague : ce sont quelques-uns des sujets que Radio Prague a évoqué avec le nouvel ambassadeur de Suisse à Prague, Dominik Furgler. Originaire de Saint-Gall, Dominik Furgler, qui a commencé sa carrière diplomatique à Paris et à Berne, avant de diriger les ambassades suisses en Egypte et au Royaume-Uni, s’est installé dans la capitale tchèque en septembre dernier. Entretien.
« Oui, en effet, je venais d’arriver. J’étais très fier de ‘King Roger’ car c’est bien évidemment notre meilleur ambassadeur. Malheureusement, je n’ai pas pu assister au match. Mais j’ai eu la chance de le voir à Wimbledon une année où il a terminé vainqueur et de lui parler personnellement. Je suis évidemment un grand admirateur de Roger Federer. »
Vous êtes en fonction depuis septembre dernier. Qu’est-ce qui dans votre carrière vous lie à la République tchèque ?
« C’est un pays assez nouveau pour moi. J’ai visité Prague peu après l’ouverture des frontières, dans les années 1990. Mais une chose m’avait quand même marqué auparavant. Il s’agit des événements d’août 1968. C’était le premier événement international qui m’a marqué comme enfant. J’avais à l’époque dix ans. Je me souviens exactement où j’étais ce jour-là. J’étais à la piscine avec ma mère. Je n’oublierai jamais ce moment : la radio informait et tout le monde écoutait. Moi, je suis d’une famille assez politique, je voulais donc tout savoir sur ce qui se passait.
Peu après, les premiers réfugiés tchécoslovaques sont arrivés en Suisse. Mon entraîneur de handball était originaire de Bratislava… Ce qui s’était passé avait donc vite pris un visage concret. Mes premières expériences avec la Tchécoslovaquie sont liées à ces événements et à ces gens qui sont arrivés en Suisse. Depuis, la situation en Tchécoslovaquie est devenue un centre d’intérêt personnel. »
Connaissez-vous la communauté tchèque en Suisse ?
« Oui, plusieurs personnes. Comme je l’ai déjà dit, l’une des plus proches était mon entraîneur du hand-ball qui avait été auparavant dans l’équipe nationale tchécoslovaque. Des enfants de réfugiés fréquentaient aussi notre école. Certains Tchécoslovaques étaient très connus, il y avait des professeurs… Il s’agit là de l’exemple d’une situation migratoire qui n’était pas négative. La Suisse a beaucoup profité du savoir-faire de ces gens qui sont arrivés dans le pays. »Quel regard plus général portez-vous donc sur l’évolution de la République tchèque ces dernières années ?
« L’évolution de la République tchèque est très positive. Le pays a rejoint l’Union européenne. Comprendre le rôle que la Tchéquie joue au sein de l’UE est d’ailleurs une de mes priorités. La Suisse n’est pas un pays membre de l’UE mais tout ce qui s’y passe a des effets directs sur notre pays. C’est la raison pour laquelle la Tchéquie est pour nous un pays très important.
Quant à l’évolution économique, elle est fantastique. La République tchèque a le taux de chômage le plus bas de l’UE. Le pays a actuellement devant lui un grand défi : développer l’industrie à l’aide des nouvelles technologies. Je vois là un potentiel de coopération parce que l’économie suisse est très développée et nous pouvons donc apporter nos expériences à l’économie tchèque. La République tchèque est donc politiquement et économiquement un pays très important et très intéressant pour la Suisse, avec un grand potentiel de coopération bilatérale. »
Quel état des lieux faites-vous de la coopération entre la Suisse et la République tchèque ?
« La coopération est politiquement excellente, mais nous pouvons faire mieux ! Un de mes buts est de trouver des sujets qui nous permettraient de coopérer plus, par exemple au sein des Nations-Unies. Nos pays partagent les mêmes valeurs mais il existe des sujets que nous pourrions traiter mieux ensemble. Les petits et moyens pays ont un vrai intérêt à coopérer. S’ils coopèrent d’une bonne manière, ils peuvent en effet réussir à promouvoir leurs idées par exemple même au sein des Nations-Unis. Nous, les petits et moyens pays, avons un grand intérêt à coopérer surtout dans le domaine de l’Etat de droit et dans le renforcement du droit international. Je pense qu’ensemble, nous pouvons faire beaucoup de choses.Du point de vue économique, la coopération tchéco-suisse est déjà bien développée. 120 entreprises suisses sont implantées en République tchèque. Mais il y a toujours un grand potentiel. »
Avez-vous des projets concrets pour ces années à venir à Prague ?
« Dans le domaine économique, il s’agit surtout du secteur privé qui doit prendre des décisions. Nous, avec nos informations, nous pouvons leur apporter un soutien. Dans le domaine culturel, nous préparons différents projets pour les commémorations du 50e anniversaire de l’invasion soviétique de 1968. Plus de 12 000 Tchécoslovaques se sont réfugiés en Suisse après l’invasion et y ont reçu l’asile. Nous avons donc toujours une forte diaspora tchèque en Suisse. L’an prochain, à l’occasion du 50e anniversaire de ces événements, nous allons organiser une exposition intitulée Druhý život (Deuxième vie). Nous allons présenter, dans quatre villes, des portraits de gens qui sont partis en Suisse et y ont construit leur ‘druhý život’. Nous allons inviter ces personnes aussi à Prague. J’espère qu’il ne s’agira pas seulement d’une rétrospective, mais d’un projet qui nous permettra de développer de nouvelles coopérations.Ensuite, ce qui est très important, nous allons terminer, vers la fin de cette année, un programme de coopération lancé dans le cadre des relations entre la Suisse et l’UE. Il s’agit des paiements de cohésion. Tous les pays participant à ce projet paient de l’argent pour promouvoir le développement des nouveaux pays membres de l’Union européenne. La Tchéquie était bénéficiaire de ces paiements de cohésion. Nous avons eu environ 400 projets et je suis assez sûr que le gouvernement suisse va bientôt annoncer la continuation du projet. Nous avons déjà commencé à discuter informellement des possibles domaines de coopération avec nos partenaires tchèques. Il y aura donc très probablement une deuxième phase du programme de coopération entre la Suisse et la République tchèque qui va couvrir plusieurs domaines. »
Avant Prague, vous avez été en mission au Caire, à partir de 2009, lors du Printemps arabe, puis à Londres, à partir de 2013. Ce deuxième séjour a été marqué notamment par le référendum et le début des négociations sur le Brexit. Quels souvenirs gardez-vous de ces moments historiques importants ?
« Je n’oublierai jamais les journées de révolution au Caire. Nous travaillions en plein centre-ville. Le mandat de l’ambassade change complétement dans une telle situation. Il ne s’agit plus de faire la promotion économique ou d’organiser des événements culturels mais de soutenir les citoyens suisses qui veulent quitter le pays. Il est nécessaire de travailler 24 heures sur 24. Il y avait d’ailleurs le couvre-feu et nous n’avions pas le droit de sortir. Je restais donc à l’ambassade avec mon sac de couchage et un matelas. Des combats ont eu lieu même devant l’ambassade. En même temps, il y avait des moments d’émotion. J’ai pu aller à la place Tahrir pour voir personnellement tout cet enthousiasme. Je n’oublierai jamais ces moments…Quant au Brexit, je n’étais pas vraiment surpris. Je pensais que cela arriverait. Mais, pour être sincère, j’ai été quand même choqué, le matin, quand j’ai vu les résultats. Mais c’est une décision démocratique que je ne peux pas critiquer. C’est comme en Suisse. Nous avons beaucoup de référendums. Parfois, je ne suis pas content avec le résultat, mais e je ne dirai jamais que le peuple est stupide. C’est toujours la faute des politiciens qui n’ont pas réussi à convaincre le peuple. Les gens ont toujours des raisons pour prendre une décision. C’était donc la même chose au Royaume-Uni. Je suis néanmoins surpris par tout ce temps dont le gouvernement britannique a besoin pour prendre une position. Au départ, personne n’y était préparé. De plus, il s’agit d’une tâche énorme, donc je ne veux pas le critiquer. Mais nous voyons même maintenant qu’il existe toujours des divisions au sein du gouvernement. Il est donc très difficile de négocier dans une telle situation. C’est cela le grand défi maintenant. »
Quand vous ne travaillez pas et que vous pouvez profiter de la vie dans la capitale tchèque, quelles sont les activités que vous privilégiez ?
« J’aime énormément découvrir l’endroit où je vis. Je me promène pendant des heures. Je prends les transports publics, je vais quelque part et ensuite je marche et je découvre. Je découvre bien évidemment les lieux touristiques, mais aussi, ce qui est encore mieux, des endroits moins connus. Il y a tellement de choses à voir à Prague ! Je me ballade, je lis beaucoup de livres sur son histoire. Pour mieux comprendre un peuple, une région, une ville, il faut connaître son histoire. Ce que nous vivons maintenant, ce n’est finalement qu’un résultat de toute une histoire. Et puis, dès que je pourrai, je vais aussi faire du sport, du vélo tout terrain et d’autres activités dans les environs de Prague. »