Letní Letná : rencontre avec le Cirque Alfonse et le Collectif Malunés
Nous vous en parlions vendredi dernier : le festival de cirque nouveau Letní Letná bat son plein dans le capitale tchèque. Radio Prague s’y est rendu et a pu rencontrer certains artistes, dont Gabriel Larès, le musicien du Collectif Malunés.
Le Collectif Malunés, une troupe originaire de Belgique, est en République tchèque depuis deux semaines déjà. Après trois représentations à Brno, ils se sont installés dans le parc de Letná, où ils jouent leur spectacle « Forever, happily » tous les soirs à 18h30. Pour autant, il est assez difficile pour eux de jouer aux touristes :
« C’est un petit peu compliqué avec toute notre structure. On est arrivé une semaine avant le début du spectacle mais on a eu beaucoup de travail de montage, cela prend énormément de temps et c’est assez fatigant et très physique. On a pu sortir quelques soirs et on a eu un jour off pour se balader un petit peu. Moi j’ai dormi, parce que j’étais très fatigué. »
Votre spectacle est basé sur l’univers des contes de fées. Qu’est-ce qui vous a amené à travailler sur ce sujet ?
« Il y a énormément de stéréotypes dans les contes de fées, donc on voulait aller chercher un peu là-dedans. Par exemple y étudier la place de la femme, et faire aussi un parallèle avec les arts du cirque, ses héros et les stéréotypes qu’on peut y trouver. On a essayé de lier tout cela. »
Vous questionnez les images traditionnelles ?« Oui, on les tord, on les met dans une machine à laver et on fait tourner. Quand il en sort, le chaperon rouge reste un chaperon rouge, mais il est déformé, transformé. Pareil pour tout : les princesses sont des hommes, les filles sont poilues, etc. »
C’est une démarche politique ou juste humoristique ?
« C’est un gros mélange des deux. C’est forcément politique, on sait qu’on va de temps en temps choquer des gens qui ne sont pas habitués à certaines manières de voir les choses. Il y a plusieurs niveaux d’interprétations pour ce spectacle. On peut avoir une lecture très simple et passer un très bon moment, parce qu’il y a beaucoup d’humour, beaucoup de blagues. Il y a des disciplines de cirque très bien faites. Si on veut réfléchir, il y a matière à le faire sur comment on a agencé les scènes et construit ou déconstruit les contes de fées.
C’est toujours la difficulté avec le cirque quand on ne veut plus être dans le traditionnel. C’était notre choix, on ne voulait pas faire un enchaînement de numéros avec un Monsieur Loyal qui vient présenter les artistes. Je ne dis pas qu’on n’aime pas cela, mais ce n’était pas ce qu’on avait envie de faire. Notre démarche était de construire une histoire, qu’on ait un fil directeur et qu’on arrive à fondre chaque discipline dans les contes de fées. On accompagne cela avec de la musique, il y a une continuité. C’est cela le cirque contemporain, c’est là-dedans qu’on cherche. »Pour continuer sur la dimension politique, on peut lire sur votre site la chose suivante : « Alors que notre société devient de plus en plus individualiste, nous voulons persévérer dans la direction d’une vision collective. Même si cela peut paraître utopique, le collectif veut continuer d’expérimenter, jouer et travailler vers une aide solidaire entre compagnie, artistes et spectateurs. »
Comment cela se traduit-il concrètement ?
« C’est lié à la forme qu’on a choisi : le chapiteau, les caravanes, le convoi. On est une famille, on passe notre temps ensemble, on vit ensemble. Notre idée est que, quand le public, les gens, rentrent chez nous, dans ce chapiteau, ils se sentent chez eux. Qu’on puisse partager quelque chose de collectif : on est généreux et en même temps tout le monde donne et tout le monde reçoit. Partager ces moments, c’est ce qui nous plaît beaucoup. On est bien en collectif, à construire des choses. C’est compliqué quand tu veux prendre des décisions, quand tu ne vas pas bien. Il y a des moments durant lesquels tu préférerais être tout seul, mais à côté il y a des moments tellement magiques. On a réussi à faire cela, cette grande maison violette. C’était beaucoup de travail et on en est fiers. On voudrait accueillir encore plein de gens dans notre histoire. »
A quelque dizaines de mètres de là, trône un autre chapiteau. Il accueille les Québécois du Cirque Alfonse. Radio Prague a rencontré Antoine Carabinier, l’un des fondateurs de la troupe. Un entretien quelques heures avant leur toute première représentation en République tchèque :« C’est la première fois que la compagnie vient à Prague donc on est content d’être là, c’est une bonne expérience pour nous. Hier dans la journée on s’est promenés dans la ville, on est allés voir le Cirk La Putyka au festival hier soir. »
Pour vous la première représentation c’est ce soir. Est-ce que vous pouvez présenter votre spectacle pour les auditeurs qui ne vous connaissent pas nécessairement ?
« ‘Barbu’ est un spectacle assez éclaté. On a voulu recréer les cirques forains québécois du début du 20e siècle. Le spectacle est séparé en deux parties assez distinctes. La première est plus traditionnelle, avec des numéros conventionnels : jonglerie, main à main… Il y a vraiment un twist qui se fait pour la deuxième partie, c’est plus de la comédie, il y a vraiment un côté loufoque. On ne fait pas du cirque au sens strict, on utilise des objets comme un punching bag humain par exemple, pour amener un côté plus détraqué. »
Qu’est-ce qui vous a amené à sortir des canons du cirque traditionnel ?
« On voulait sortir des normes pour amener un côté plus déjanté au spectacle. C’est un cabaret que l’on veut vraiment festif. Il y a de la musique tout du long, on a trois musiciens live avec nous qui jouent de la musique traditionnelle-électro québécoise. Tout cela mis ensemble fait comme une rave circassienne. »
Vous jouez le spectacle « Barbu » depuis 2014 déjà, vous en prévoyez un nouveau ?
« Oui, on a déjà un nouveau spectacle, qu’on vient d’ouvrir à Montréal complètement cirque. On a fermé notre spectacle ‘Timber’ en janvier dernier. On tourne avec ces deux spectacles, puisque ce sont les mêmes artistes à peu près dans les deux spectacles. »Pourquoi présenter «Barbu » ici plutôt que le nouveau ?
« Il faut toujours environ un an avant de pouvoir vendre un spectacle. Les diffuseurs ne l’ont pas encore vu, cela prend du temps. ‘Barbu’ tourne depuis trois ans et marche vraiment bien. Surtout dans une ‘Spiegeltent’ comme on a l’occasion de le faire ici. »
Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur ce chapiteau dans lequel vous allez jouer ?
« C’est un magnifique chapiteau, une tente miroir ou ‘Spielgetent’. C’est en bois et en miroirs à l’intérieur. C’est vraiment un espace propice au cabaret, on n’aurait pas pu jouer notre nouveau spectacle dans un tel endroit, puisqu’on joue plus à l’italienne. ‘Barbu’ a vraiment été créé pour ce genre de chapiteau, avec le public tout autour de nous. »
Au festival Letní Letná, vous jouez quinze représentations. J’ai vu ce matin que dix étaient déjà complètes. Est-ce que cela vous surprend ?
« Un peu, oui ! On ne s’attendait pas forcément à cela mais on est très heureux de l’apprendre. Jouer dans un chapiteau rempli fait toujours très plaisir donc pour nous c’est fantastique. C’est la première fois qu’on joue ici à Prague. On ne sait pas exactement à quoi ressemble le public. L’humour est toujours un peu différent d’un pays à l’autre donc on a une petite appréhension par rapport à cela. Mais on est très content et l’ambiance est super dans le festival, donc cela devrait bien se passer.
On a un humour un peu décalé, tout le monde ne comprend pas ce second degré, on ne sait pas toujours à quoi s’attendre. On vient de jouer au Sziget festival à Budapest, c’était surprenant de voir comment le monde réagissait. Les gens apprécient beaucoup, cela leur montre d’autres facettes du cirque contemporain. »
Le public tchèque ne fait pas exception, il ne reste désormais de places disponibles pour voir Cirque Alfonse que ce samedi, toutes les autres représentations étant complètes.