« Skokan », le nouveau film de Petr Václav sur les gitans fugitifs en quête d’amour
En tchèque, ‘skokan’ signifie un sauteur ou une grenouille. « Skokan » est aussi le titre du nouveau film de Petr Václav, cinéaste tchèque qui réside en France et dont on connaît notamment les films « Marian », « Nous ne sommes jamais seuls » ou « Zaneta », un drame social sur la vie d’un couple de jeunes Roms de Bohême du Nord. Tourné, entre autres, au Festival de Cannes il y a deux ans de cela, « Skokan » est un un road movie qui suit un jeune délinquant rom dans son périple à travers la France et l’Italie. Dans le casting, on retrouve les acteurs roms des précédents films de Petr Václav, dont Klaudia Dudová qui a incarné Zaneta, ou encore la jeune révélation du cinéma français Karidja Touré. Coproduit par la France, le film « Skokan » est sorti cette semaine en salles en République tchèque. Petr Václav nous raconte sa genèse…
Derrière la caméra, vous vous êtes intéressé aux stratégies de survie de ce jeune Rom. Comme si, pendant le tournage, vous vouliez voir comment il se débrouille...
« Oui, parce que l’acteur principal est un garçon que nous avons réellement sorti de prison. Il avait purgé la moitié de sa peine et a bénéficié d’une libération conditionnelle. Il avait joué un petit rôle dans mon précédent film ‘Zaneta’, sorti en France en 2015. Je dis que ce film est un conte de fées documentaire ou un document aux allures de conte de fées. »
« Skokan » fait effectivement penser à un film documentaire…
« Oui, j’ai pris ce garçon et j’ai voyagé avec lui à travers la France et l’Italie. Bien sûr que l’histoire avec la femme qu’il aime, qu’il cherche et dont il voit le fantôme de temps à autre avait été écrite précédemment. Il prie pour la retrouver, mais en même temps il sait que cela n’a jamais bien marché entre eux. Il est confronté à des situations qu’il doit résoudre. Souvent, ce sont des situations que je n’avais pas écrites. Dès le début, j’ai voulu en quelque sorte coécrire, co-développer l’histoire avec lui sur place, aussi pour l’observer. L’ambiguïté est là. Cette confrontation entre la fiction et le documentaire, entre la vérité et la fausse vérité, la vraisemblance, est une ambiguïté qui me passionne depuis longtemps. En plus, nous avons tourné le film avec un petit budget. Nous ne pouvions pas le financer correctement, car nous ne savions pas si l’acteur principal, Julius Oracko, allait être libéré ou non… »Vous l’avez appris juste avant le début du tournage ?
« Un mois avant le tournage ! Nous sommes allés directement au Festival de Cannes. Malgré tout, on avait l’impression d’être en vacances. »
Julius Oračko et les autres acteurs du film sont-ils donc intervenus dans le projet ? Ont-ils fait évoluer l’histoire ?
« Bien sûr, et pas seulement eux. A la base, j’avais prévu une autre issue de l’histoire qui se termine en Italie, je m’étais fié à un trajet plutôt solitaire de mon acteur principal. Mais à Rome nous avons rencontré des gitans romains. Nous avons alors interrompu le tournage afin de pouvoir passer trois soirées avec eux. Comme ils étaient d’accord pour participer au tournage, je me suis mis à écrire des dialogues et nous avons discuté pour imaginer comment pourrait se passer une rencontre entre eux et Skokan. C’est ainsi que nous avons au fur et à mesure tourné une histoire fortement influencée par ces gitans italiens. »Comment s’est-passé le tournage au Festival de Cannes en 2015 ? Vous a-t-on laissés tourner sans obstacles et sans autorisations ?
« En général, la police a été très gentille et courtoise, les organisateurs du festival aussi. Nous avons tourné sans autorisations, car elles sont très chères. On faisait ce qu’on pouvait, évidemment on ne pouvait pas accéder partout. On a tourné dans des hôtels, j’avoue que c’était en catimini, avec une petite caméra... »
Un peu dans l’esprit du film, n’est-ce pas ? Quel effet cela fait-il de tourner un film à Cannes en plein festival ? Avez-vous vu l’événement avec les yeux de votre héros ?
« Je crois que nous le voyons tous comme lui. A moins d’être invité pour la première fois à Cannes en compétition ou à la Quinzaine, quand vous arrivez au festival en tant que spectateur ou même pour présenter votre film dans une petite sélection comme l’ACID, vous vous rendez compte que vous êtes complètement hors-jeu. En fait, Cannes, c’est le festival des frustrations : il y a toujours des endroits auxquels vous ne pouvez pas accéder, des événements que vous ratez. Vous êtes dans le flux, avez l’impression d’appartenir à quelque chose, mais au fond, vous n’appartenez à rien du tout. Je pense que cela vaut aussi pour les réalisateurs et les jeunes acteurs, pas seulement pour un gitan en fuite. »Vous dites de Klaudia Dudová, qui a interprété le rôle principal dans le film ‘Zaneta’, qu’elle a de l’aisance et l’ambition de plaire devant la caméra. Ressentez-vous la même chose pour Julius Oračko, un non-acteur que vous avez lui aussi repéré dans la rue ?
« Klaudia a dit dans un entretien qu’elle ne voulait pas faire de cinéma au début, car elle craignait d’avoir peur de la caméra. ‘J’ai compris assez rapidement que je m’étais trompée’, a-t-elle dit ‘parce que la caméra est devenue ma meilleure amie.’ Julius Oračko a cette même ambition de plaire à l’œil de la caméra. D’ailleurs, cela se voit bien quand vous faites un casting de non-acteurs et d’enfants. Quand vous appuyez sur le bouton ou quand les caméras plus anciennes commencent à faire du bruit, vous voyez tout de suite si les gens sont intimidés ou attirés par le médium. Vous sentez immédiatement s’il existe une magie entre vous, la caméra et la personne filmée. Je pense que ce rapport entre l’acteur et la caméra est essentiel. »« Skokan » sera-t-il diffusé en France ? Et si oui, sous quel titre ?
« Je l’espère. Je n’en sais rien pour l’instant. Le titre serait le même - ‘Skokan’. Le début du film est bilingue et on y explique, aux Tchèques et aux Français, de quoi il s’agit. Dans le jargon pénitencier, ‘skokan’ est une personne qui saute par-dessus des obstacles, mais sans avoir la capacité de remédier aux raisons qui dressent ces obstacles sur son chemin. »
Par ailleurs, avant que cette interview ne soit diffusée sur Radio Prague, vous présenterez le film dans deux prisons tchèques.
« Oui, parce que, encore une fois, le film ‘Zaneta’ était considéré comme très social, parce qu’il raconte avec noirceur les difficultés de la vie des Roms dans ce pays. Tandis que ‘Skokan’ est un road movie tourné lors d’un été à l’étranger… Ce n’est pas du tout pareil. On a envie d’apporter ce film dans les prisons pour que les détenus puissent en débattre avec nous. Pour qu’ils puissent aussi rencontrer Julius Oračko, quelqu’un qui, comme eux, a été en prison plusieurs fois, mais qui est parvenu à s’en sortir. Il n’est pas retourné en prison depuis deux ans, ce qui est déjà une réussite. Grâce à ce film, Julius a rencontré une femme et fondé une famille. Cela peut donc être une bonne expérience pour les prisonniers. »