Quarante ans depuis les premiers contacts de la Charte 77 avec l’Occident
En ce début mars, quarante ans se sont écoulés depuis la première rencontre des signataires de la Charte 77 avec un homme politique d’Europe de l’Ouest, qui était alors le chef de la diplomatie néerlandaise, Max van der Stoel. A l’heure où les historiens publient de nouveaux détails sur le déroulement de cette rencontre suivie de près par la police secrète, un monument a été dévoilé à Prague dans le parc Max van der Stoel en souvenir de ce qui reste le premier soutien international au mouvement dissident tchécoslovaque.
L’historien Petr Blažek explique les circonstances de cette rencontre secrète qui s’est déroulée le 1er mars 1977 à l’hôtel Intercontinental de Prague :
« Il s’agissait de la première visite d’un homme politique occidental à Prague depuis le lancement, en janvier 1977, de la campagne dirigée contre les signataires de la Charte. A la différence des autres Etats occidentaux, qui avaient choisi de ne pas envoyer leur représentants en Tchécoslovaquie en signe de protestation contre les répressions dont avaient été victimes les dissidents, les Pays-Bas avaient décidé de ne pays annuler cette visite, prévue depuis un certain temps. Le chef de la diplomatie néerlandais avait lui accepté de venir à certaines conditions. Par exemple, il avait insisté sur la présence, dans sa délégation, de Dick Verkijk, un journaliste respecté qui connaissait bien la situation dans la Tchécoslovaquie d’alors. »
Ce même Dick Verkijk qui a joué un rôle clé dans l’organisation de la rencontre entre Max van der Stoel et les dissidents. Une fois arrivé à Prague, début mars 1977, le journaliste n’a pas pu contacter Václav Havel qui était alors en prison. Dick Verkijk s’est alors tourné vers Jiří Hájek, autre figure de proue du mouvement anti-communiste. On écoute Dick Verkijk :
« Sa maison était surveillée par la police secrète, mais j’ai quand même réussi à entrer. J’ai proposé à Jiří Hájek de rencontrer Max van der Stoel, mais il m’a dit : ‘Je ne peux pas, vous voyez, je suis assigné à domicile’. »
Finalement, c’est le philosophe Jan Patočka qui se rend à l’hôtel pour s’entretenir avec le ministre néerlandais. Petr Blažek :
« Après cette entrevue, Jan Patočka a donné une interview aux journalistes néerlandais. Tout récemment, nous avons appris des archives de la police secrète que Patočka était revenu le soir même à l’hôtel avec deux autres initiateurs du mouvement de la Charte 77, Zdeněk Mlynář et František Kriegel. Accompagnés de leurs épouses, ils ont répondu aux questions des journalistes occidentaux mobilisés par leurs confrères néerlandais. »
La réaction des autorités communistes a été immédiate : arrêté par la police, Jan Patočka est mort quelques jours plus tard, le 13 mars 1977, suite à plusieurs interrogatoires. Jan Sokol, son gendre et philosophe, lui-aussi, se souvient :« Ces interrogatoires l’ont totalement épuisé. Non pas parce que les policiers auraient été cruels avec lui, mais parce que les interrogatoires étaient longs et très stressants. La police politique avait une méthode particulière à laquelle Patočka était incapable de résister. Ils ne tapaient pas les gens, ils ne leur criaient pas dessus. Ils suscitaient des débats, soulevaient des objections, faisaient semblant de discuter. Patočka s’est toujours laissé prendre et commençait à discuter, lui-aussi, à expliquer… Lorsqu’il avait fini d’expliquer, ils lui reposaient la même question. Et ceci cinq fois de suite, toute la journée. Sa mort a été le résultat d’un stress énorme et aussi du désespoir. »
Un monument en forme d’ombre d’un arbre, dédié à Max van der Stoel, a été dévoilé cette semaine dans un parc de Prague qui porte également le nom de l’ancien chef de la diplomatie néerlandaise ; un parc qui se trouve, par ailleurs, à proximité de la rue Jan Patočka. Le rôle qu’a joué Max van der Stoel dans le processus de démocratisation de la Tchécoslovaquie communiste est incontestable, comme le rappelle l’historien Petr Blažek :
« Le ministre néerlandais a été le pionnier du phénomène de la diplomatie parallèle : à partir de la moitié des années 1980, il est devenu plus ou moins courant que les politiques occidentaux rencontrent les représentants de l’opposition anti-communiste en marge de leurs voyages officiels à Prague. Un bel exemple de cette diplomatie parallèle est le fameux petit-déjeuner du président François Mitterrand avec les dissidents en décembre 1988. »