Andrej Babiš heurte la mémoire rom
En visite à Varnsdorf au nord de la Bohême jeudi dernier, le ministre des Finances Andrej Babiš (ANO) s’est permis une déclaration offensante pour la mémoire du génocide tzigane. D’après ses propos, le camp de Lety n’a jamais été durant la Seconde Guerre mondiale qu’un camp de travail, et non pas un camp de concentration pour les Roms. Devant le tollé provoqué et les appels à sa démission, le milliardaire s’est excusé pour une phrase « sortie de son contexte » et a annoncé dimanche qu’il souhaitait récolter des fonds pour la construction d’un mémorial sur ce site qu’il entend visiter durant la semaine.
Tels sont les mots qu’auraient employés M Babiš, rapportés par un reporter-photographe du site aktuálně.cz.
La déclaration a provoqué de vives réactions. Et pour cause, sans même s’attarder sur le ton employé et sur les sous-entendues qu’elle suppose, elle est historiquement inexacte. Le camp de Lety, situé non loin de Písek en Bohême du Sud, a d’abord été un camp de travail avant de devenir un camp de concentration destiné à l’internement des Roms. C’est ce qu’a expliqué à la Télévision tchèque l’historien Dušan Slačka, qui travaille pour le Musée de la culture rom à Brno :
« Du point de vue des faits historiques, la situation est très claire. Entre 1940 et 1942, il s’agit d’un camp dit ‘de travail disciplinaire’. Des hommes, des forçats, y étaient enfermés pour trois à six mois pour y être ‘rééduqués par le travail’. Durant cette période, les Roms constituaient une proportion très faible des prisonniers, quelque chose comme 10%. A partir d’août 1942, s’ouvre une nouvelle phase du camp avec la fondation du dit ‘camp tzigane’, où sont enfermées des familles entières de Roms. Il y a des personnes âgées et quelques enfants. Le fait que les hommes étaient contraints au travail forcé ne signifie pas qu’il s’agit encore d’un camp de travail, puisque des familles entières y ont été internées. Elles l’ont été avec cet objectif que soit ‘résolue’ la dite ‘question tzigane’ puisqu’elles étaient ensuite envoyées à Auschwitz. » D’après Dušan Slačka, 90% de la population rom des pays tchèques n’a pas survécu à la Deuxième Guerre mondiale. A Lety, environ 1300 personnes de la communauté rom ont été internées ; 330 environ y ont trouvé la mort et 540 autres ont été transférées à Auschwitz.Il n’est donc guère étonnant que les propos de M. Babiš aient suscité l’indignation, par exemple chez le social-démocrate Jiří Dientsbier, le ministre en charge des droits de l’Homme, qui a même appelé à sa démission :
« La mise en cause de l’holocauste est inacceptable. Cela peut même faire l’objet de poursuites judiciaires. Il est très clair que dans une société civilisée, un tel individu n’a rien à faire dans des fonctions publiques. »
Le premier ministre Bohuslav Sobotka n’a pas été aussi loin et a simplement appelé M. Babiš à présenter ses excuses et à aller se recueillir à Lety. Le leader du mouvement ANO, évoquant toutefois des phrases « sorties de leur contexte » et utilisées politiquement à son encontre, s’est exécuté :« Si j’ai blessé certaines personnes, bien sûr je leur présente à toutes des excuses. Evidemment je condamne l’holocauste, je condamne les camps de concentration. »Le milliardaire a par ailleurs annoncé dimanche qu’il se rendrait sur le site de Lety au cours de la semaine. Il a maintenant le projet de lever des fonds pour acheter l’exploitation porcine située à sa proximité et y construire à la place un mémorial. Cette porcherie, en activité depuis plus de quarante ans, suscite l’ire de nombreuses organisations qui demandent régulièrement sa fermeture au nom de la mémoire rom. D’après M. Babiš, les mêmes qui le critiquent seraient ceux qui n’auraient rien fait depuis vingt ans pour obtenir cette fermeture.
Le site romea.cz rappelle de son côté que ce type de déclarations n’est pas nouveau. A l’été 2014, le député Tomio Okamura, connu pour ses positions anti-migrant, déclarait par exemple que le camp de Lety et celui de Hodonín en Moravie, qui avait la même fonction, étaient « des mensonges et des mythes ».