Jarmila Mucha Plocková, ou la complexité d’être Mucha (2e partie)
Il aurait été surprenant que Jarmila Mucha Plocková se lance dans une carrière autre qu’artistique. Fille de l’écrivain Jiří Mucha et petite-fille d’Alphonse Mucha, maître de l’Art nouveau, influencée par la France et l’Espagne, Jarmila Mucha Plocková a transposé le caractère festif et la diversité des couleurs dans des créations toujours quelque peu influencées par l’œuvre de son grand-père Alphonse. Mais pour en arriver là, que de chemin… Il y a quelques mois de cela, Jarmila Mucha Plocková a été sollicitée pour participer à une exposition au Centre tchèque à Paris intitulée « Pour la Tchécoslovaquie – Hommage à un pays inexistant ». Radio Prague a rencontré récemment Jarmila Mucha Plocková à Prague. Voici la seconde partie de cet entretien.
« J’ai fondé mon atelier à une époque assez singulière. Il ne faut pas se voiler la face, Alphonse Mucha se vendait toujours très bien. Les touristes commençaient à arriver dans le pays, et tout le monde connaissait Mucha. A l’époque, il n’y avait pas d’autres artistes aussi connus que Mucha. Comme j’avais toujours voulu faire de la sculpture et que je pouvais modeler mes propres créations, j’ai donné satisfaction à mes penchants. Cela a été très rémunérateur. J’ai complètement délaissé l’architecture. J’ai appris de nouvelles choses au fur et à mesure et connu différentes personnes. Le métier commençait à me plaire aussi. Le fait de pouvoir jeter un œil dans chaque atelier et savoir comment on fait le textile ou du verre. Et cela fait vingt-cinq ans que je fais le métier. »
Alphonse et Jarmila, deux artistes d’une même famille qu’un siècle sépare
Dessinant tout à la main, les nouvelles technologies graphiques qu’offre l’informatique ne sont pas les bienvenues chez Jarmila. A l’instar de son grand-père, elle est une artiste très touche-à tout : au travail des bijoux s’ajoutent le verre, la porcelaine, le textile et les meubles. D’ailleurs, comme le confirme le recueil « Documents décoratifs » publié en 1901, la création des meubles avait attiré l’attention d’Alphonse Mucha aussi.Néanmoins, la création sur la base de motifs réalisés par son grand-père a été interrompue par un problème relatif à l’utilisation du nom de Mucha. A la mort de Jiří Mucha, qui avait initié sa fille Jarmila à l’héritage artistique de son grand-père, commence une longue lutte judiciaire pour faire valoir ce droit. Aujourd’hui, Jarmila Mucha Plocková explique pourquoi l’affaire a mis si longtemps à aboutir :
« L’élément majeur est que j’étais une fille illégitime. La famille légale ne m’a pas acceptée. Il est regrettable que cela se soit passé de cette façon. Si j’avais su que cela prendrait tellement de temps devant la justice, je ne serais jamais allée aussi loin. Je n’aurais même jamais engagé la moindre procédure. Mais au début, c’était assez calme. Après la mort de Jiří Mucha, j’ai reçu l’aval de sa famille pour continuer dans le travail que j’avais entrepris, donc proposer des objets et des bijoux qui portent en eux la trace d’Alphonse Mucha ou de ses projets. »
Sur la difficulté de prouver son appartenance au clan Mucha
Trois ans avant sa mort en 1991, Jiří Mucha rédige une note dans laquelle il donne à sa fille les droits exclusifs pour l’exploitation du legs artistique d’Alphonse. Mais ce document rédigé ne pèse pas lourd. L’ensemble de ce legs étant resté entre les mains de la famille légale, la présence de la « fille illégitime » devient problématique à l’époque. Jarmila Mucha Plocková précise :« La famille de Mucha délivrait des licences pour différents objets. Je commençais à faire partie de cette histoire. Des conflits émergeaient alors constamment entre ceux qui travaillaient pour la famille et moi-même. Nous faisions souvent des choses similaires. A l’époque, soit deux ans après la mort de mon père Jiří, j’ai commencé à avoir de vrais problèmes avec la famille, qui me demandait de renoncer à mon travail. Mais j’y tenais absolument, car c’était le souhait de mon père. Donc, tout cette histoire a commencé avec mon droit de pouvoir travailler et s’est terminée avec la nécessité de prouver que j’étais une héritière au titre de la parenté. D’être contrainte d’arrêter un travail que je menais avec mon père depuis six ans me paraissait complètement injuste. Pour pouvoir utiliser l’œuvre de Mucha, je devais prouver que j’étais un membre de la famille. Prouver que j’étais la fille de Jiří a mis beaucoup de temps. A l’époque, il était tout à fait impensable qu’un adulte prouve sa filiation avec une autre personne que celle qui était inscrite dans ses papiers. »
Dans les faits, Jiří Mucha était marié à Geraldine, avec laquelle il a eu un fils, John, né en 1948. Mais deux ans plus tard naissait aussi Jarmila, de sa relation cette fois avec Vlasta Plocková. Après la mort de son père, les relations devenant de plus en plus compliquées, Jarmila a intenté une action en justice afin d’établir qu’elle était bien la fille de Jiří ; une action qui a été suivie d’une autre concernant la répartition des droits d’auteur de l’œuvre tant d’Alphonse que de Jiří Mucha. Cette deuxième question juridique relative à l’utilisation de la marque et de la signature Mucha, a été réglée dans un second temps. Après un long processus juridique, le verdict de l’affaire, qui est aussi passée devant les tribunaux français, est finalement tombé. Malgré l’absence de testament officiel, Jarmila Mucha Plocková a été reconnue fille légitime de Jiří Mucha et, de fait, petite-fille d’Alphonse :« Je possédais quelques documents que Jiří Mucha avait signés avec ma maman, mais il manquait toujours l’expertise génétique. Si j’avais dû déterminer mon affiliation en France ou en Espagne au moment du décès de Jiří, il n’y aurait pas eu de problèmes. Mais comme Jiří, qui était tchèque, est décédé ici en Tchéquie, il a fallu que je prouve mon affiliation ici-même. Même si j’avais différents documents et actes notariés, ainsi qu’un testament écrit, il manquait cette expertise génétique. »
« J’ai ressenti le besoin de me différencier et d’être moi-même »
Si Jarmila a donc le droit d’utiliser son nom de famille Mucha, toute personne souhaitant faire un usage commercial de la signature Mucha doit verser une redevance de licence à la Fondation Mucha Trust. Jarmila explique ce qu’il en est à l’heure actuelle de la marque Mucha, omniprésente dans le monde entier, mais aussi ce qui l’a poussé à devenir elle-même :« L’œuvre de Mucha est libre. Quiconque peut faire n’importe quel objet faisant allusion à Mucha et il ne sera pas poursuivi en justice. Mais la signature de Mucha sous toutes ses formes est enregistrée auprès de la Fondation Liechtenstein, où a été transféré le legs artistique d’Alphonse. En fait, j’ai renoncé par la suite à mes droits au profit de la Fondation Liechtenstein. C’était aussi un moment psychologique assez intéressant. Quelques années après avoir gagné le procès, j’ai subitement perdu tout intérêt pour l’utilisation du nom Mucha. Comme s’il y avait eu un déclic. J’ai eu envie d’être moi-même. Tout paraissait clair. Il y avait tant de choses dans mon travail qui étaient le fruit de ma créativité que je ne voulais plus être rattachée au travail ou aux objets souvenirs que fabriquait la Fondation. C’est une toute autre philosophie. Mes œuvres sont faites à la main et à base de métaux précieux, au contraire des objets souvenirs, comme les autocollants ou posters de la Fondation. J’ai ressenti le besoin de me différencier et d’être moi-même. Maintenant, je signe mes propres œuvres Jarmila Mucha Plocková. »
Mucha, ou le respect de l’œuvre immortelle d’un grand-père inconnu
Selon la créatrice, le nom Mucha peut aussi être contraignant, car il ne faut pas écorner l’image de cet illustre héritage. Et même si l’on trouve partout dans le monde des imitations d’œuvres de Mucha, les créations de Jarmila sont singulières et inimitables. Comme l’est d’ailleurs sa Galerie Mucha située près de la place de la Vieille-ville à Prague, et qui selon, selon ses propres dires, devrait rester unique, à l’endroit où elle se trouve et pas ailleurs. A propos de l’exposition « Pour la Tchécoslovaquie – Hommage à un pays inexistant » qui se tient actuellement et jusqu’au 30 septembre au Centre tchèque à Paris, Jarmila Mucha Plocková explique pourquoi elle a accepté le projet :« Je n’ai eu que trois ou quatre semaines pour me préparer à cette exposition, mais je me suis dit qu’il était impossible de refuser une chose pareille, seulement parce qu’il y avait peu de temps. Je me suis tellement prise la tête, j’avais un sacré respect face à tout cela. Je voulais choisir les meilleurs morceaux que je n’avais encore jamais créés. J’ai pensé que ce serait rue Bonaparte, là où Mucha a lui aussi exposé ses œuvres. Je voulais le faire de façon à ce qu’ils soient contents de mon travail et à ne pas leur faire honte. Mais je dois dire que ce que j’ai ressenti sur place, le fait de pouvoir y présenter mon travail tout en renouant avec Alphonse, a été très fort. Cela m’a fait du bien. J’étais nerveuse, mais aussi contente et reconnaissante d’avoir une telle occasion. C’est un honneur incroyable ! »
Nombreux sont ceux qui restent intéressés par la continuité de l’histoire et la lignée de célèbres artistes, et c’est précisément ce qui, selon Jarmila, était parfois contraignant. Bien qu’elle affirme être excessivement minutieuse, cela ne l’empêche pas de relever fréquemment les défis qui se présentent à elle et de participer à différentes expositions, comme à Chicago, aux Pays-Bas, en Allemagne ou dans les boutiques du Louvre à Paris, ou encore prochainement au Japon. Car c’est au Japon que sera exposée l’année prochaine L’Epopée slave, un ensemble de vingt tableaux peints par Alphonse Mucha entre 1912 et 1926. Cette œuvre majeure de l’artiste de l’Art Nouveau sera ensuite exposée aussi en Chine. Et si Jarmila Mucha Plocková ne s’oppose pas au fait que cette œuvre colossale quitte le territoire de la République tchèque, l’autre petit-fils d’Alphonse Mucha, John Mucha, continue de manifester son désaccord, au prétexte que les toiles pourraient être endommagées. Une nouvelle histoire de famille à suivre donc, les Etats-Unis et la Corée du Sud souhaitant eux aussi accueillir L’Epopée slave.