Alfons Mucha à Aix-en-Provence : redécouvrir l’affichiste, mais aussi le peintre d’histoire
Jusqu’au 24 mars, l’Hôtel de Caumont-Centre d’Art à Aix-en-Provence propose une grande exposition de 120 œuvres du peintre et affichiste tchèque Alfons Mucha, dont la renommée mondiale surgit en pleine Belle Epoque, grâce aux affiches qu’il créa pour la comédienne Sarah Bernardt. C’est une exposition qui entend saisir la globalité de son talent déployé via ses lithographies, mais aussi ses œuvres de peintre d’histoire sur toile. Pour en parler, Radio Prague Int. a interrogé Madeleine Balansino, responsable des expositions.
« C’est une exposition conçue en deux parties avec un premier étage dédié au Mucha parisien, donc l’accession de Mucha à la célébrité grâce à sa rencontre avec Sarah Bernardt et puis ce succès qui va lui tomber dessus, avec des commandes publicitaires et la définition du style Mucha, qui deviendra presque synonyme d’Art nouveau. Voilà pour la première partie de l’exposition qui plonge le visiteur dans cette ambiance Belle Epoque parisienne. Le deuxième étage est consacré au Mucha plus engagé : à 50 ans, en 1910, il rentre au pays pour se consacrer exclusivement à ses œuvres qui servent ses grandes causes personnelles. Là on de grandes huiles sur toile qui, pour certaines, n’ont jamais été montrées en France, qui nous ont été prêtées par la Fondation Mucha : on découvre là un Mucha un peu plus méconnu du grand public. »
Ce qui est frappant chez Mucha, ce sont en effet ces figures féminines qui sont omniprésentes tant dans sa production d’affichiste que dans sa production de peintre. On sait évidemment que la femme est un motif récurrent dans l’histoire de l’art, notamment parce que c’étaient les hommes qui peignaient majoritairement. Peut-on toutefois dire quelque chose sur la « femme Mucha » ?
« Ce qui est intéressant avec Mucha, c’est qu’il va chercher dans ses œuvres et ses affiches à célébrer la beauté. Il cherche un art populaire, une beauté accessible à tous. Où va-t-il chercher ses inspirations ? Dans la nature, qui est la source principale d’inspiration de l’Art nouveau. Il va représenter des fleurs et des femmes. Il fait une sorte d’analogie entre la beauté florale, végétale et naturelle, et la beauté des femmes. Dans ses affiches, que ce soit pour les affiches théâtrales ou ses affiches publicitaires qu’on appelait ‘réclames’ à l’époque, il va rechercher cette beauté, cette grâce, pour séduire le spectateur. »
Un précurseur des théories publicitaires
Souvent, dans ses affiches, on ne distingue pas forcément les chevelures mousseuses, les cheveux bouclés des femmes des courbes de la végétation…
« Tout à fait. Ce qui est intéressant avec Mucha, et c’est pour cela qu’on peut aussi le considérer comme un des précurseurs des théories publicitaires d’aujourd’hui, c’est qu’il s’est intéressé à l’art de l’optique et à comment on va guider l’œil du spectateur sur une toile. Il en a conclu que la courbe était le motif le plus agréable, le plus confortable à l’œil. C’est pour cette raison que dans ses œuvres on a ces courbes et ces contre-courbes qui sont illustrées par les végétaux, les cheveux des femmes, et qui pour certaines publicités guident le regard du spectateur vers le produit à vendre ou même le nom de la marque. »
Et tout cela s’inscrit dans un contexte particulier. On est à la Belle Epoque, c’est l’explosion de la publicité et d’une certaine façon, Mucha s’engouffre dans les multiples possibilités qu’offrent ce nouvel outil de diffusion…
« Oui, on est en pleine Belle Epoque, il y a un véritable boom industriel et la réclame est en pleine expansion. Il y a aussi cette technique de la lithographie qui devient commune, une technique d’impression via une pierre et qui permet surtout aux artistes de réaliser des œuvres en série. Mucha va surfer sur cette vague, il va pouvoir populariser son œuvre grâce à des affiches qui vont être placardées dans le tout-Paris. Il y a des anecdotes assez intéressantes quand on lit les archives de l’époque qui expliquent que les passants essayaient d’arracher ces affiches qui commencent à avoir le statut d’œuvres d’art car ce sont des vrais artistes qui les réalisent. »
Révolutionner l’art de l’affiche
Peut-on rappeler en quelques mots le rôle de la grande comédienne Sarah Bernardt dans la popularité de Mucha ?
« En 1894, à Paris, Sarah Bernardt est une immense star. On l’appelle la Divine Sarah. Elle est également directrice de théâtre. En cette fin d’année, elle joue une pièce, Gismonda, qui connaît une baisse de fréquentation. Elle appelle son imprimeur habituel pour lui commander une nouvelle affiche pour la rentrée et afin de faire revenir le public. Aucun artiste n’est présent à Paris en cette période de fêtes, tout le monde est rentré dans sa famille : seul le jeune Tchèque, Mucha, est présent, et il va faire une proposition à Sarah Bernardt qui va vraiment l’enchanter. Elle va signer avec lui un contrat de six ans pour lequel Mucha va réaliser ses affiches, mais aussi ses costumes de théâtre, ses décors, il va prendre un rôle de directeur artistique. Vu la renommée de Sarah Bernardt, c’est le début de la gloire pour Mucha. Ce qui est intéressant, c’est que cette proposition de Mucha pour Gismonda, son ticket pour la gloire, est tout à fait révolutionnaire par rapport aux affiches qui se faisaient jusque-là. Mucha va faire quelques modifications qui vont révolutionner le style : il va notamment doubler le format et créer ce fameux format en bandeau, dit ‘kakemono’, un style japonisant. Cela va permettre à Mucha de représenter les femmes, le personnage principal, grandeur nature. Les affiches qu’on a dans l’exposition font plus de deux mètres. Ce sera très impressionnant pour les passants dans les villes. On a donc cette représentation de Sarah Bernardt très sculpturale, un peu comme dans une niche, comme les vierges sur les façades des églises. Cela va faire une grande impression aux Parisiens. »
Presque par effet de miroir, aujourd’hui, à Prague notamment, les dessins de Mucha se retrouvent partout, et sont utilisés pour des goodies, des objets de pub, mais version contemporaine. A côté de cet aspect futile de sa récupération marketing, on a toutefois l’impression que ces dernières années, en France notamment où il y a eu plusieurs expositions, mais aussi en Tchéquie, on redécouvre la grand peintre et affichiste qu’était Mucha. A quoi est-ce dû ?
« En effet, il y a une vraie redécouverte de Mucha, ce style très populaire qu’est l’affiche est une porte d’entrée pour le grand public afin de s’intéresser à son art. Toutes les expositions qui ont été réalisées notamment par la Fondation Mucha, permettent d’accéder finalement au vrai Mucha, peintre d’histoire, qui a réalisé cette fameuse Epopée slave, ce Mucha engagé pour sa nation. »
En quoi les affiches de Mucha s’inscrivent-elles dans son grand-œuvre de peintre où cette Epopée slave tenait une place à part pour lui ?
« L’Epopée slave, des temperas sur toile, est un vrai travail de peintre où Mucha se hisse au statut de peintre d’histoire avec ces chefs d’œuvres. Dans le cadre de son travail d’affichiste, il a vraiment développé un talent pour la composition, la décoration. C’est ce qu’on retrouve dans ses grandes toiles : l’assemblage des personnages, des paysages, sont toujours pensés, toujours dans une recherche de célébrer l’art et la beauté. »