Quelles fleurs manger en République tchèque? (2e partie)
Suite de notre entretien avec Jana Vlková, ancienne journaliste, traductrice du français et diplômée en sciences naturelles, qui est l’auteur d’un livre de recettes consacré aux herbes et fleurs comestibles. En mai dernier, Jana Vlková, qui tient également un blog (www.kytkykjidlu.cz) et organise régulièrement des cours et autres séminaires ouverts à tous, nous avait fait découvrir son jardin situé à Suchdol, dans le 6e arrondissement de Prague. Dans cet entretien, Jana Vlková nous avait d’abord fait part de l’intérêt grandissant des Tchèques pour les herbes, fleurs et autres plantes comestibles.
Vous êtes mère de famille, est-ce que ce sont des plats que vous avez testé sur les membres de votre famille, sur votre mari, sur vos enfants ? Et quelles étaient leurs réactions ? Parce qu’une maman ou une femme qui fait des plats à base de fleurs… On imagine surtout les hommes tchèques qui n’apprécient pas forcément…
« Mais si ! Tous les plats qui sont dans mon livre ont été testés sur les enfants, sur la famille. J’ai trois garçons. J’ai toujours été un « addict » de la cuisine et de la gastronomie, et les enfants ont toujours cuisiné avec moi. Ils ont connu tout le procédé de fabrication des repas et tout le travail qui précède le bon dîner. Ils n’ont presque jamais refusé de ce qu’on avait cuisiné ensemble. Si on ajoutait au fur et à mesure des fleurs, ils étaient contents. »
Donc aujourd’hui quand ils viennent chez vous et que vous les invitez à manger, plus rien ne les surprend ?
« Exactement. Il y en a un qui est végan et qui me donne de temps en temps beaucoup d’inspiration, parce qu’il ne mange pas tout et il est très difficile. Et d’un autre côté cela me donne de l’inspiration pour de nouvelles combinaisons de fleurs. »Nous nous nous trouvons dans la proche banlieue de Prague. C’est d’ailleurs ce qui fait le charme de Prague, on est vite sorti du centre-ville pour se retrouver dans la nature. Ceci dit, est-ce que c’est un environnement qui convient bien à la consommation des plantes ? Parce que malgré tout, il y a quand même cet aspect « pollution de la grande ville », donc on n’a pas forcément envie de manger ce qui pousse dans les endroits sales.
« Il faut faire quelques pas en direction de la banlieue de la ville, et vous vous retrouvez en pleine nature. Et après vous pouvez manger ce que vous voulez, ce qui est comestible. Ce n’est pas très difficile. Il faut seulement marcher un quart d’heure et c’est tout. »
Nous sommes ici dans un quartier de Prague, qui s’appelle Suchdol. Quels sont les endroits privilégiés, dans lesquels vous appréciez aller ou dans lesquels vous appréciez emmener les gens qui s’intéressent à votre travail, à Prague ou dans les proches environs de Prague ?
« J’ai toute une carte avec ces endroits que vous appelez « privilégiés ». Presque partout il y a des endroits où vous pouvez directement plonger dans la nature. Je suis d’ici, et j’amène très souvent les gens aux alentours de Prague 6 ou Prague 5. Je suis aussi allée à Prague 4, qui est la partie sud de Prague. On peut en trouver presque partout, mais il faut chercher. Ce n’est pas très difficile. »Que trouve-t-on alors en pleine nature à Prague et dans ses environs ?
« Cela se développe au fur et à mesure en fonction de la saison végétale. Au début de la saison, c’est-à-dire au mois d’avril, vous trouvez de « très belles mauvaises fleurs » qui sont délicieuses dans les salades… »
Très belles mauvaises fleurs, c’est-à-dire ?
« Ce sont des fleurs qui sont appelées « mauvaises fleurs » par les jardiniers ou par les personnes qui s’occupent professionnellement de la culture des fleurs. Elles sont délicieuses à mettre dans les salades lorsque les pousses sont très jeunes. Et avec la poursuite de la saison, il est préférable de déguster de « vraie fleurs ».
Et ensuite, plus tard ?
« En hiver, il n’y a pas de fleurs. Pour les gens qui aiment des fleurs comestibles, c’est raté. Il faut s’approvisionner en été. Au mois de juillet et au mois d’août, il faut chercher dans les jardins. Le goût des fleurs peut être moins fort, car on a des fruits, il y a tout ce qui pousse sur les arbres. Donc le goût des fleurs est moins fort. On peut plutôt utiliser des fleurs pour la décoration. Puis il y a aussi un grand groupe de petites herbes méditerranéennes, qui sont utilisées comme épices pour le barbecue et qui peuvent aussi servir de décoration. »Le climat tchèque, qui est un climat continental mais relativement modéré, se prête-t-il à la culture, quand on a un jardin comme le vôtre, de toutes les plantes et fleurs que l’on peut éventuellement trouver dans d’autres régions d’Europe ou du monde ? Il y a peut-être des plantes un peu plus exotiques ?
« Je peux parler de Prague, parce que je connais la ville, j’y suis née. C’est une région extrêmement riche en ce qui concerne le nombre d’espèces. Il y a 2 000 espèces qui poussent dans la région autour de Prague. C’est une région qui est assez chaude, qui est favorable aux fleurs. On peut trouver ces mêmes fleurs au nord de la France, en Allemagne, en Pologne ou en Slovaquie. Ce sont des fleurs européennes. »Est-ce qu’il y a d’autres régions en République tchèque dans lesquelles vous appréciez plus particulièrement vous rendre pour assouvir votre passion ?
« Ce sont les régions montagneuses, avec des prés très bien conservés et qui ont un grand nombre d’espèces. Ce sont vraiment des prés traditionnels, car les prés qui sont cultivés perdent certaines de leurs espèces. J´aime Šumava, j’y voyage très souvent. Lorsque je me rends dans les régions qui sont au nord, dans les Krkonoše ou les Jizerské hory, c’est la même chose, il y a de très beaux prés. Puis il y a aussi la Moravie qui est très riche en ce qui concerne la flore, mais c’est loin pour moi. J’aime beaucoup cette région, mais je n’ai pas souvent l’occasion d’y voyager. »
Pour ce qui est de la consommation des fleurs, de la cuisine avec les fleurs, les plaPhoto: Vendula Šefrnovántes, est-ce que les Tchèques ont selon vous des goûts différents de ceux que vous avez rencontrés, par exemple dans les pays francophones que vous avez évoqués ?« Les Italiens, les Français ou les pays du sud sont plus ouverts aux expériences culinaires. Ça veut dire que les Tchèques sont plus fermés. Mais c’est très individuel, parce que lorsque je fais des promenades botaniques culinaires, il y a toujours des gens qui disent : « ça c’est délicieux », et d’autres qui disent : « ça, c’est dégueulasse, je ne vais jamais manger cela ». Donc c’est très individuel. Si vous êtes ouverts aux fleurs comestibles, vous y êtes ouverts avec votre propre métabolisme et votre propre goût. Je pense que les gens qui se mettent aux fleurs comestibles, sont des gens qui ont un certain niveau intellectuel, qui pensent à ce qu’ils mangent, qui sont intéressés par de nouvelles choses. Mais bien entendu, ce n’est pas valable pour tous les Tchèques. »
Comment s’est passé l’écriture et la rédaction de votre livre de cuisine ? Est-ce que cela a été compliqué, par exemple, de convaincre un éditeur de publier ce type de livre ?
« Avec l’éditeur, c’était absolument magique. J’ai ouvert la porte de la rédaction et j’ai dit : « Je voudrais faire un livre de cuisine avec des fleurs », et ils m’ont dit : « Ah, nous avons déjà pensé à cela. C’est très bien. ». Alors le premier pas a été très facile, j’ai trouvé le temps, cela tombait très bien. Puis, le travail sur le livre lui-même a été un peu difficile, parce qu’il faut faire des recettes. C’est la moindre des choses. Mais il faut aussi aller chercher les fleurs. Premièrement, il faut penser si les fleurs seront à disposition dans trois semaines. Il faut planifier le délai de travail, car ce n’est pas seulement moi qui a fait le livre, mais aussi le photographe, le food styliste et le styliste déco. Donc il fallait trouver un jour qui correspondait à nous quatre. Puis, j’ai dû aussi refaire la recette plusieurs fois. Et c’était la chose la plus difficile pour moi, car jusqu’à présent je n’avais jamais fait deux repas identiques. Je faisais toujours des originaux. Je cuisine sans recettes, mais là il était nécessaire d’avoir toutes les quantités nécessaires. Une semaine avant la session de photographies, je surveillais si les fleurs pouvaient vraiment être prises en photo la semaine d’après. Et le jour-même, à six heures du matin, j’ai cueilli les différentes fleurs. On a fait le repas et ils l’ont photographié. »Donc toutes les recettes que vous présentez dans ce livre, ce sont les vôtres ?« Oui, ce sont des recettes très simples. Puis j’ai notamment rajouté un paragraphe à chaque fois, qui indique comment on peut faire cette recette autrement, et quelles autres fleurs on peut utiliser. Dans la partie qui concerne les fleurs elles-mêmes, il y a aussi un petit paragraphe qui indique dans quelle recette ou dans quel repas on peut utiliser telle ou telle fleur. »
Avez-vous toujours mangé des fleurs ?
« Non… Comme petite fille oui, et puis j’ai arrêté un peu, car ma mère me disait qu’il ne fallait pas manger de fleurs, qu’il fallait manger normalement. Puis j’ai recommencé, car je l’ai vu en France et j’ai compris que ça allait un peu élargir mes horizons gastronomiques. »Donc vous n’avez pas écouté votre maman…
« Exactement ! »