La grande importance des petits éditeurs
Sans les petits éditeurs, le marché du livre serait sans doute beaucoup moins varié et moins intéressant. Ce sont eux qui élargissent de façon considérable l’éventail des sujets et proposent souvent au lecteur des thèmes inattendus et passionnants. Douze petits éditeurs tchèques se sont réunis pour présenter du 14 au 18 mars derniers leur production au Café littéraire de la rue Řetězová à Prague.
La foire du livre de la rue Řetězová
C’était la première édition de la Foire du livre de la rue Řetězová (Řetězový knižní trh 2016) mais cela ne veut pas dire qu’il s’agit d’un projet tout–à-fait isolé. Depuis quelques années, les petits éditeurs tchèques se mobilisent et organisent annuellement des foires entre autres sur les quais de la Vltava à Prague, dans la ville de Tábor et ailleurs. Souvent il s’agit de maisons d’édition d’un seul homme qui ne publient que quelques titres par an et pour lesquels l’édition est une affaire de cœur. L’éditeur et journaliste Zdenko Pavelka qui est un des organisateurs de la foire de la rue Řetězová explique les raisons pour lesquelles les douze petits éditeurs ont décidé de présenter leur production dans un café de Prague :« Le café littéraire de la rue Řetězová existe à peu près depuis onze ou douze ans et pendant cette période il est devenu un établissement où beaucoup de gens de lettres, écrivains et lecteurs, se rencontrent. Ceux qui s’intéressent à la littérature savent que ce café existe. Les gens se sont habitués à le fréquenter, on y organise des présentations de nouveaux livres, etc. Alors nous nous sommes dit qu’on pourrait y organiser au printemps une manifestation de ce genre. Chose dite, chose faite. »
Douze maisons d’édition
Parmi les douze maisons d’édition qui se sont associées pour organiser la foire il y a Analogon, établissement autour duquel gravitent les écrivains et les artistes d’orientation surréaliste. La maison publie notamment la revue Analogon mais aussi un certain nombre de livres. La maison d’édition Dauphin de l’éditeur Daniel Podhradský, qui s’est également présentée au Café de la rue Řetězová, est un établissement qui prête une attention particulière à la littérature française. C’est Daniel Podhradský qui a publié entre autres la biographie de Marcel Proust par Jean-Yves Tadié, ouvrage monumental en deux tomes dont nous avons parlé dans cette rubrique. Quant aux éditions Pulchra, un autre établissement représenté à la foire, elle édite beaucoup d’essais littéraires mais aussi de la poésie, des nouvelles, etc. Récemment Pulchra a publié « Etudes et articles sur la littérature française » de Jiří Konůpek, un des meilleurs connaisseurs tchèques des lettres françaises du XXe siècle. Zdenko Pavelka constate que les douze maisons représentées à la foire ont quelque chose en commun :« Les douze éditeurs sont liés d’une certaine façon avec le café de Řetězová. Ils y présentent leurs livres ou publient les textes des auteurs qui le fréquentent. Bien sûr, nous avons été limités par l’espace. Nous aimerions y présenter beaucoup plus de maisons d’éditions, mais nous nous sommes dit que le maximum serait dix ou douze éditeurs que je connais et qui ont exposé leur production déjà dans d’autres foires de ce genre à Prague, à Tábor et ailleurs. Nous avons donc opté pour une douzaine. »
L’objectif des organisateurs de la foire était d’attirer l’attention du public sur ces nombreux petits éditeurs qui coexistent sur la scène littéraire tchèque sans rivaliser vraiment, sans s’écarter l’un de l’autre, sans se cloîtrer dans leurs petits univers. Les auteurs des livres exposés se situent souvent à la lisière de divers genres, collaborent parfois avec plusieurs éditeurs et pas seulement avec les douze maisons qui se sont associées pour organiser la foire. Zdenko Pavelka souligne l’importance des petits éditeurs sur le marché du livre tchèque :« Le marché du livre tchèque est assez spécifique par le fait que les petits éditeurs représentent presque les trois quarts de la production en ce qui concerne le nombre de titres, mais pas le nombre d’exemplaires, évidement. Les grandes maisons publient les livres à gros tirage. Cependant, ce sont les petites maisons qui créent la communauté littéraire. En France ou en Grande-Bretagne c’est tout-à-fait différent. Jusqu’à 75% des titres dans ces pays sont édités par de grandes maisons. Je dis les soit disant petits éditeurs tchèques parce que, ensemble, ils créent une immense communauté littéraire, et c’est sur eux que repose la vie littéraire, la vie naturelle de la littérature. »
Un petit festival littéraire
La foire de la rue Řetězová a été aussi un petit festival littéraire. Tous les soirs du 14 au 18 mars, des rencontres étaient proposées au public. La première soirée a été consacrée au livre « La kermesse théâtrale » (Divadelní pout’) évoquant les fêtes en plein air organisées depuis 1985 sur l’île Střelecký à Prague et qui attiraient chaque année toute une pléiade de personnalités très originales de l’underground et de la périphérie du théâtre, artistes qui en général restaient insensibles à l’attrait des théâtres officiels subventionnés et uniformisés par l’Etat. La deuxième soirée a été réservée à la rencontre de cinq écrivains réunis autour du thème « A quoi sert la mémoire ». Zdenko Pavelka donne plus de détails :« Personnellement, je m’intéresse à la mémoire en tant que compréhension de l’histoire, parce que j’ai l’impression que celui qui ne connaît pas l’histoire ne fait pas les mêmes erreurs que nos ancêtres mais qu’il en fait beaucoup plus. C’est pourquoi nous avons choisi le thème de la mémoire et avons invité notamment les auteurs liés à la maison d’édition Pulchra mais aussi l’écrivain František Dryje qui vient de publier un livre aux éditions Dybbuk. Parmi les invités il y a aussi Josef Kroutvor qui est pour moi un des plus grands essayistes tchèques, l’écrivain, poète et traducteur Michal Novotný, Jiří Padevět qui a obtenu pour son livre ‘Le Guide de Prague sous le Protectorat allemand’ le prix Magnesia litera et le journaliste Viktor Šlajchrt qui s’intéresse au passé, au contexte historique des événements mais aussi à l’actualité et à ce que nous pouvons en tirer. » La troisième soirée a été réservée aux livres pour enfants et à leurs auteurs, et la quatrième et dernière rencontre intitulée « D’autres continents » (Jiné kontinenty) a eu pour thème la réédition du livre « O kaktech a jejich narkotických účincích » (Les cactus et leurs effets narcotiques) parue aux éditions Titanic. Son auteur Alberto Vojtěch Frič (1882-1944) était un célèbre voyageur, écrivain, botaniste et ethnographe. Passionné par les Indiens d’Amérique, il a passé une grande partie de sa vie parmi eux et a partagé leur quotidien en effectuant diverses recherches. En 1923, il s’est rendu au Mexique pour étudier les effets curatifs du cactus peyotl dont les propriétés psychotropes et hallucinogènes étaient utilisées par certaines tribus indiennes à des fins rituelles. Alberto Vojtěch Frič a rassemblé les résultats de ses recherches dans un livre paru en première édition en 1924 et qui, aujourd’hui encore, n’a rien perdu de son intérêt.Conforté par le succès de la première foire du livre de la rue Řetězová, Zdenko Pavelka réfléchit donc maintenant à l’avenir de cette rencontre de petits éditeurs avec le public :
« Nous avons organisé cette petite foire avec Zdeněk Cibulka comme un essai. Son retentissement est encourageant et nous aimerions continuer l’année prochaine, mais l’espace du café de la rue Řetězová est limité. Tasser une grande librairie, bien que composée de livres de petits éditeurs, dans un café est une véritable aventure. »