Abderrahim El Allam : « La littérature marocaine a suivi le Printemps arabe. »
« La peur » - tel était le thème principal du Festival des écrivains qui s’est déroulé à Prague du 6 au 9 novembre derniers. Parmi les personnalités invitées de ce festival, Abderrahim El Allam, président de l’Union des écrivains du Maroc. Il a évoqué au micro de Radio Prague entre autres la littérature marocaine actuelle et les défis auxquels les écrivains et toute la population du Maroc font face de nos jours.
« Oui, c’est vrai, le roman aujourd’hui est un genre vivant, plus que la poésie. Dans le monde arabe on préfère tous la poésie mais aujourd’hui c’est le roman qui est avantagé. Tous les écrivains du monde arabe s’intéressent au roman, même les poètes écrivent des romans puisque le roman est une nouvelle mode littéraire, si j’ose dire. »
Vous êtes connaisseur de la littérature arabe. Que pouvez-vous dire de la littérature marocaine actuelle ? Quels sont les écrivains de talent et les œuvres marocaines qu'il faut lire ?
« La littérature marocaine évolue de plus en plus. Il y a beaucoup d’écrivains qui créent des œuvres de tous les genres, la poésie, la nouvelle, le roman et même la critique littéraire. Au Maroc, comme vous le savez, on écrit surtout en deux langues, en français et en arabe. Il y pas mal d’écrivains qui sont célèbres aujourd’hui dans le monde arabe et aussi dans le monde occidental. Je cite parmi d’autres Tahar ben Jelloun qui a eu le prix Goncourt en France, Abdellatif Laâbi et Mohamed Berrada. En langue arabe ce sont Mohamed Achaari qui a eu le prix Booker aux Emirats arabes unis, Bensalem Himmich, et pas mal d’autres auteurs qui écrivent des romans, de la poésie et des nouvelles aussi. »
Peut-on déceler dans la littérature marocaine actuelle des tendances suscitées par le mouvement révolutionnaire qui a changé au cours des dernières années le visage du monde arabe ?
« Vous savez le Maroc n’a pas vécu le Printemps arabe comme cela s’est passé dans d’autres pays comme la Tunisie, l’Egypte et la Libye mais la littérature marocaine a pu suivre ce mouvement. Ce n’était pas comme les écrivains en Egypte par exemple, mais on a quand même vécu une évolution, pas une révolution. C’est à cause du 20 février qu’on a une nouvelle Constitution, qu’on a obtenu de petits changements politiques, sociaux et culturels aussi. »
Comment les écrivains marocains réagissent-ils aux grands thèmes de notre temps comme le choc des civilisations occidentale et orientale, la mondialisation, le terrorisme, les défis écologiques, etc. ?« La pensée marocaine en général, si je puis dire, a pu faire des réflexions sur ces thèmes. Pas mal de livres s’intéressent à ce genre de thèmes puisqu’au Maroc on a vécu une révolution en ce qui concerne la littérature et aussi la pensée et la recherche scientifique. »
Quelles sont les réactions des écrivains marocains à ce que nous appelons la crise migratoire, réactions au fait que des centaines de milliers de personnes quittent leur pays pour se réfugier notamment en Europe ? Les Marocains se sentent-ils touchés par cette hémorragie démographique ou ce problème leur semble assez éloigné ?
« Non, c’est un problème actuel aujourd’hui au Maroc. La littérature et les médias s’intéressent à ce phénomène. Même les jeunes écrivains s’intéressent au problème de l’émigration. Aujourd’hui il y a au Maroc pas mal d’émigrés qui envisagent de partir pour l’Europe. La littérature, elle aussi, surtout celle d’expression française, mais aussi la littérature arabe, s’intéressent à ce problème. De nombreux livres parus au Maroc traitent ce phénomène. Aujourd’hui il ne s’agit pas seulement de l’émigration d’Afrique subsaharienne mais nous avons au Maroc également beaucoup d’émigrés syriens. »
Quelle est la situation de la littérature marocaine sur le plan linguistique? Nous savons que plusieurs langues coexistent au Maroc, notamment l'arabe et le français. Quel est donc la situation des écrivains marocains de langue arabe et de ceux de langue française ? Y-a-t-il la tendance d'écrire de plus en plus en arabe ?
« Il y a également assez d’auteurs qui écrivent en espagnol, en hollandais et d’autres qui écrivent en langue berbère qu’on appelle la langue amazighe. La nouvelle Constitution du Maroc fait état de l’existence de ces langues multiples qui sont, chacune, présentes au niveau de la littérature mais aussi au niveau social. Aujourd’hui la littérature marocaine connaît une évolution qui est une ère nouvelle, si l’on peut dire. Il y a assez d’auteurs marocains qui écrivent ou font traduire leurs œuvres en langues étrangères. »Vous êtes également président de l'Union des écrivains marocains. Quelles sont les activités de cette organisation et dans quel sens elle devrait évoluer à votre avis ?
« L’Union des écrivains du Maroc est une des plus anciennes unions de ce genre du monde arabe. Elle a été créée en 1961. Notre union a l’avantage d’être indépendante du régime et du gouvernement. Mais l’Union des écrivains du Maroc a connu, elle aussi une évolution, tant au niveau des activités régionales, qu’au niveau du monde arabe. On a signé pas mal de conventions, en Russie, en Chine, en Tchéquie avec le Festival des écrivains de Prague, en France et aussi dans des pays arabes. Nous sommes présents, nous exposons nos points de vue sur ce qui se passe au Maroc, sur les changements politiques, sociaux et culturels aussi. Et comme je viens de dire, notre organisation connaît une évolution ce qui a poussé le gouvernement, les établissements publics et même le Parlement à communiquer avec l’Union, à lui accorder des subventions, etc. »