Des brigadistes tchécoslovaques dans la guerre d’Espagne
Près de 2000 Tchécoslovaques participèrent à la guerre d’Espagne, la terrible guerre civile qui déchira ce pays de 1936 à 1939, entre nationalistes d’une part, menés par le général Franco, et partisans de la République de l’autre, des communistes, des socialistes, des anarchistes. C’est à leurs côtés, et aux côtés de soldats venus des contrées les plus diverses au sein des Brigades internationales, que combattirent ces volontaires tchécoslovaques qui, à leur retour, allaient être persécutés d’abord par les nazis, ensuite par le régime communiste, puis oubliés une fois installée la démocratie libérale. C’est leur histoire que raconte pour Radio Prague Jiří Nedvěd, historien auteur d’un travail de recherche sur le sujet et désormais collaborateur d’une maison d’édition.
Divisées sur la démarche à suivre, les démocraties européennes, France et Grande-Bretagne en tête, décident d’adopter une politique de non-intervention avec la signature d’un pacte proposé par Léon Blum, le premier ministre français. La République tchécoslovaque d’Edvard Beneš soutient ce pacte mais ses sympathies vont plutôt aux Républicains espagnols comme l’explique Jiří Nedvěd :
« Il faut dire qu’au contraire des autres pays de la région centre-européenne, l’atmosphère était plus favorable, de façon même semi-officielle, à la République espagnole. Des actions en faveur des Républicains, des collectes de nourriture, d’argent, de vêtements, étaient tolérées. Il existait un comité de soutien des Républicains avec la participation de personnalités renommées de la vie intellectuelle tchécoslovaque. En ce qui concerne la société civile, comme dans la plupart des autres pays, elle était profondément divisée. On peut dire de façon générale que la droite nationaliste, agraire, conservatrice et catholique éprouvait une sympathie ouverte pour Franco et son putsch, considéré comme un acte de défense de la civilisation et de la culture contre la « barbarie communiste ». De l’autre côté, les communistes, les sociaux-démocrates mais aussi les libéraux-démocrates autour du journal Lidové noviny, de l’écrivain Karel Čapek, le courant « masarykien » soutenaient la République espagnole. »Très rapidement, des volontaires internationaux, dans un premier temps des Français, rejoignent l’Espagne pour venir en aide aux Républicains, qui cèdent du terrain face aux troupes franquistes débarquées du Maroc. A l’étranger, les dirigeants communistes discutent la création d’une organisation dont l’objectif serait de superviser les opérations de ces volontaires contre le fascisme, qu’ils soient communistes, anarchistes ou tout simplement des aventuriers ou des paumés désireux d’être partie prenante de cette histoire. Ce seront les Brigades internationales, créées durant les mois de septembre et octobre 1936. Les volontaires se recrutent depuis plus d’une cinquantaine de pays, et bien évidemment donc, depuis la Tchécoslovaquie :
« D’après les registres les plus pertinents, on peut dire que les volontaires tchécoslovaques étaient au total près de 2000. Rapporté au nombre d’habitants en Tchécoslovaquie, cela constitue le pays le plus représenté parmi les volontaires. En chiffres absolus, les Français étaient les plus nombreux mais la population française était bien sûr plus importante. Il faut dire que toutes les nationalités de la Tchécoslovaquie étaient représentées. Sans doute la moitié des volontaires étaient tchèques. Ensuite, on trouve des Slovaques, des Allemands, des Hongrois, des Polonais, des Ruthènes. Quand ces combattants arrivaient, les unités étaient formées sur la base de la langue, de la nationalité : les Allemands de Tchécoslovaquie se battaient dans les unités allemandes et ainsi de suite. Longtemps il n’y a donc pas eu d’unité purement tchécoslovaque. La première a été formée en décembre 1936, la section Klement Gottwald, qui se composait de 43 personnes, des Tchécoslovaques. »Pour l’historien, le moteur de l’engagement de tous ces volontaires est en premier lieu la conviction politique. Les personnes disposant d’une expérience militaire, qui manquent précisément parmi les Républicains, sont recherchées, celles qui ont par exemple déjà combattu durant la Première Guerre mondiale. De nombreux adeptes du « tramping », un mouvement inspiré du scoutisme, sont également sur le départ, car le voyage vers l’Espagne depuis l’Europe centrale n’est pas chose aisée et réclame certaines qualités. Jiří Nedvěd :
« Il y avait en principe deux itinéraires. Quand les futurs volontaires disposaient d’un passeport valide, ils pouvaient traverser l’Allemagne nazie où ils risquaient toutefois d’être démasqués par la police, éventuellement passés à tabac et rapatriés au pays. Quand ils n’avaient pas ce passeport, situation très courante, des organisations alliées de communistes ou de sociaux-démocrates les faisaient passer par différentes étapes jusqu’à la frontière suisse puis jusqu’en France où, au moins dans les premières phases de la guerre, régnait une atmosphère plus favorable à leur égard. Ensuite il était plus aisé de rejoindre l’Espagne par les Pyrénées ou en bateau à partir de Marseille. »Un voyage qui réclame une sacrée dose de courage, d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’aller bronzer sur la Costa Brava mais d’aller faire la guerre. D’après Jiří Nedvěd, les écrits laissés par les volontaires parlent justement avant tous de ces combats, et moins de leur vie quotidienne en Espagne. Ils permettent de dire que les combattants tchécoslovaques ont été présents sur tous les fronts, lors de toutes les grandes batailles, notamment celle de Madrid où l’offensive franquiste échoue en mars 1937 au prix de lourdes pertes républicaines. L’historien explique qu’on trouve aussi des Tchécoslovaques lors des batailles de Brunete, de Teruel, mais qu’ils sont également présents pour les derniers affrontements, qui ont pourtant lieu après la dissolution officielle des Brigades internationales, en septembre 1938, quand déjà, la guerre semble perdue.
Les volontaires tchécoslovaques sont également présents à tous les postes, dans l’infanterie, l’artillerie, ou encore dans l’aviation, avec notamment le célèbre pilote Jan Ferák, capturé par les franquistes puis libéré lors d’un échange de prisonniers. On en trouve aussi dans les unités de secours médical. L’un d’entre eux, le docteur František Kriegel, présent dès 1936, est un communiste célèbre pour avoir été le seul dirigeant tchécoslovaque à avoir refusé de signer le protocole de Moscou après l’invasion d’août 1968 de la Tchécoslovaquie par les troupes du pacte de Varsovie. Des personnalités importantes pour l’histoire tchèque, on en compte encore quelques autres, telles que Josef Pavel, un autre communiste qui prend une part importante au Coup de Prague en 1948, ministre de l’Intérieur durant le Printemps de Prague en 1968 et connu pour avoir œuvré à la réhabilitation des prisonniers politiques.Le retour des brigadistes, quand ils ne sont pas parqués dans des camps pour réfugiés en France, est difficile, sur le même modèle que le trajet aller, et ils ne sont pas vraiment accueillis en héros au pays. Interrogés et fichés par la police, mais rarement inquiétés davantage malgré le fait qu’ils aient combattu sous un drapeau étranger, ce qui constitue un acte répréhensible, leur situation va évoluer en même temps que celle de la Tchécoslovaquie :
« En 1939, la guerre d’Espagne s’achève. Un partie des volontaires tchécoslovaques sont rentrés dans leur pays, d’autres sont restés à l’étranger. La situation change puisque sous la Seconde République tchécoslovaque, la liste de ces personnes est établie et après le 15 mars 1939 (quand Hitler occupe la Tchécoslovaquie et crée le Protectorat de Bohême-Moravie, ndlr), leur cas est suivi par la gestapo, par la police allemande, qui arrête les anciens combattants des Brigades internationales en tant que menace potentielle pour le Reich et les envoie en camp de concentration. C’était le destin de ces volontaires qui sont rentrés en Tchécoslovaquie. »Ceux qui sont restés à l’étranger, ou qui échappent aux griffes de la gestapo, jouent souvent un rôle actif dans la résistance ou dans le combat depuis l’Angleterre ou l’URSS contre l’Allemagne nazie. Aussi, après la guerre, de nombreux anciens combattants communistes occupent des postes importants dans la hiérarchie du parti communiste tchécoslovaque, dans les services de sécurité ou dans la communication avec les mouvements étrangers. Antifascistes de la première heure, ils jouissent alors d’un grand prestige.
Leur sort n’en est pas moins funeste. Ce sont ceux-là même qui sont parmi les premières victimes des grands procès du début des années 1950, à l’image d’Artur London, considéré comme un « ennemi de l’intérieur » car juif et ancien brigadiste. Reconsidérés lors de la période de libéralisation du régime dans les années 1960, ils retombent en disgrâce avec le processus de normalisation. Les anciens volontaires se font vieux et leur histoire n’intéresse plus grand monde. Ils sont potentiellement trop hétérodoxes pour le régime communiste, et, une fois celui-ci tombé en 1989, ils sont trop marqués à gauche pour la génération de démocrates qui arrivent au pouvoir.