Brno, la décomplexée (2e partie)
Deuxième plus grande ville du pays, Brno est souvent oubliée par les touristes étrangers comme tchèques. Pourtant, la capitale de la Moravie mérite assurément le détour. Mal connus, ses atouts sont en effet nombreux. Toutes trois originaires de Brno, Sylvie Sanža, Zuzana Cihlářová et Zuzana Loubet del Bayle, nous en ont aisément convaincus lors de la visite qu’elles ont récemment concoctée pour Radio Prague. Et qu’on se le dise : Brno ne souffre d’aucun complexe vis-à-vis de Prague…
Quelles sont les impressions des gens qui viennent à Brno pour y travailler ou pour y étudier lorsque vous discutez avec eux ? Sont-ils surpris par l’atmosphère qui règne dans la ville et par tout ce qu’il est possible d’y faire ?
Zuzana C. : « Je dirais que la langue reste peut-être le plus grand obstacle, même s’il y a maintenant des programmes pour l’insertion des étrangers, qu’il s’agisse des jeunes à la fac ou des expatriés. Je sais que la mairie de Brno organise aussi un service particulier parce que la langue peut poser des problèmes. Mais à part cela, les gens avec lesquels j’ai parlé se plaisent à Brno. J’en connais beaucoup qui sont venus seulement pour y passer un peu de temps et qui sont restés parce que le rythme de vie, les activités et les relations entre les gens leur ont plu. »
Zuzana L. : « En ce qui concerne les endroits à visiter, il s’agit effectivement du centre-ville où on a parfois l’impression d’être à Vienne. Il est presque entièrement piéton. Il est donc vraiment agréable de s’y promener, de prendre un café et d’écouter le bruit des tramways et des gens qui parlent avec très peu de voitures. Ensuite, une fois que l’on a fait le tour du centre-ville, on peut aller plus loin. Nous avons déjà mentionné la villa Tugendhat. Mais il y a également une autre villa du début du XXe siècle, la villa Jurkovič qui se trouve en dehors du centre-ville et qui est différente de la villa Tugendhat. Ella a été construite par un architecte inspiré du folklore morave qui a également fait la plupart des bâtiments dans la station thermale de Luhačovice. Il s’agit donc d’un style particulier et intéressant qui s’inspire du folklore. Donc, après avoir fait le tour des principaux monuments du centre-ville, cela vaut la peine d’aller jusque-là. »Zuzana C., en tant que professeure dans un lycée bilingue, vous êtes habituée à recevoir des groupes de Français. Qu’est-ce qui leur plaît plus particulièrement lorsqu’ils viennent à Brno ?
Zuzana C. : « Dans la ville-même, c’est surtout l’atmosphère. Brno vit à un rythme assez détendu, les gens ne sont ni trop stressés, ni trop pressés. Même si ça l’est certainement moins que Prague, il y a aussi pas mal d’animation. On trouve ici tout ce dont on a besoin pour vivre heureux : des clubs de jazz, des boîtes où les jeunes peuvent aller danser, d’autres clubs avec des concerts de rock, sans oublier les salles pour les concerts de musique classique. Et puis il y a l’opéra. Parfois, lorsque nous recevons des élèves français, surtout s’ils viennent de villes plus petites, nous leur proposons de passer une soirée à l’Opéra de Brno. C’est l’occasion de découvrir et de faire autre chose. Souvent, les jeunes ne se sentent pas très à l’aise, car c’est la première fois qu’ils se rendent dans une endroit pareil, mais ensuite ils se laissent absorber par le milieu, le lieu et son ambiance. Cette année justement, nous allons fêter le 50e anniversaire de l’Opéra de Brno, qui porte le nom du compositeur Leoš Janáček. C’est une figure dont je dirais qu’elle commence à être ressuscitée dans la conscience culturelle de Brno. Plusieurs événements ont été lancés pour renouer avec la trace qu’il a laissée à Brno, car il est dommage de constater à quel point il est relativement peu connu à Brno et finalement plus apprécié ailleurs que dans la ville, Brno, où il a passé une grande partie de sa vie. »Quels sont les autres natifs célèbres de Brno dont les habitants sont fiers ?
Zuzana L. : « Il y a bien Milan Kundera, mais il n’aime pas trop revendiquer ses origines… Je citerais donc plutôt Magdalena Kožená, une chanteuse mezzo-soprano reconnue mondialement et qui est aussi bien connue en France. Elle est née à Brno, elle y a fréquenté une chorale d’enfants qui s’appelle Kantiléna, qui est la chorale de la Philharmonie de Brno. Par la suite, elle s’est fait connaître d’abord en Autriche, puis dans d’autres pays européens. Et aujourd’hui, Magdalena Kožená revendique fièrement ses origines… »Brno est plus proche finalement de Vienne que de Prague, du moins pour ce qui est de la distance. C’est une ville proche de la Slovaquie aussi. Ressent-on cette proximité géographique avec l’Autriche et la Slovaquie ? Peut-on dire que l’on est déjà plus ici en Europe centrale qu’à Prague, où on sent plus la proximité de l’Allemagne ?
Zuzana L. : « On sent la proximité de la Slovaquie par le nombre de Slovaques dans les rue de Brno. Quand on se promène, à la piscine, dans les magasins, on entend régulièrement parler slovaque. Et il y a aussi beaucoup d’étudiants slovaques, mais c’est le cas un peu partout en République tchèque car ils n’ont pas de droits d’inscription à payer et peuvent étudier dans leur langue. Pour ce qui est de l'’influence de Vienne, je dirais qu’elle est architecturale. Dans le cimetière juif, comme dans d'autres cimetières plus anciens, on peut voir beaucoup de noms allemands sur les pierres tombales. Donc, effectivement, on sent qu’il y a eu cette présence allemande très importante avant la Seconde Guerre mondiale. »Zuzana C : « C’est ce que je voulais dire : Brno est en fait souvent considéré comme une banlieue de Vienne. On le voit surtout dans l’architecture. Beaucoup d’étrangers disent que le style du centre-ville de Brno ressemble plus à Vienne qu’à Prague de par l’ouverture, la largeur des rues, les maisons du début du siècle. Il y a beaucoup de bâtiments de style Art Nouveau qui correspondent à la période de plus grande prospérité de la ville avec l’essor industriel de la fin du XIXe et du début du XX siècles.
En effet, à Brno, il y avait pas mal de minorités, presque une majorité même, germanophones qui s'expliquaient par la proximité de l’Autriche et aussi par les rapports historiques établis depuis des siècles. En fait, Brno est une ville beaucoup plus allemande que Prague dans l’Histoire. Par exemple, la rue piétonne principale, la rue Tchèque (Česká), s’appelle ainsi parce que le centre-ville était habité surtout par des Allemands et cette rue-là était la seule où habitaient essentiellement des Tchèques. »Il y a certes beaucoup de cafés, de choses à voir à Brno, mais si l'on y vient pour plusieurs jours,que peut–on faire également dans les proches environs de la ville?
Zuzana C : « Zuzana a déjà mentionné Austerlitz (Slavkov u Brna, en tchèque). Il y a le monument de la paix où il y a une exposition dédiée à la célèbre bataille. Il y a aussi quelques châteaux comme celui d’Austerlitz qui comporte la salle Napoléon où la paix a été signée. Ça, c’est au sud-ouest de la ville. Au sud, il y a beaucoup de vignobles et les collines de Pálava avec de très jolis rochers blancs. C’est le berceau de la Préhistoire régionale parce que dans un village qui s’appelle Dolní Věstonice, on a trouvé une statue préhistorique d’une femme, la plus ancienne trouvée sur notre territoire. La nature y est très belle. Si on se déplace dans le sens inverse, c'est-à-dire au nord de Brno, il y a le Karst morave avec des grottes qui abritent une rivière souterraine nommée Punkva. Il est possible de faire du bateau sur cette rivière. Il faut voir particulièrement la grotte Výpustek qui est très intéressante parce que les Allemands y avaient installés une usine de moteurs d’avion pendant l’Occupation. Après, les communistes se sont servis de cette grotte pour en faire une sorte de bunker ou de protection pour des dirigeants du Parti. On peut la visiter, ce qui change des stalagmites et stalactites que l’on trouve habituellement. Sinon, je mentionne aussi le lac du barrage (Brněnská přehrada) où beaucoup d’aires de jeu ont été aménagées pour les enfants, mais aussi des terrains pour jouer au volley-ball, à la pétanque, faire des barbecues, etc. C’est un endroit très prisé en ce moment. Tout comme le château Veveři qui donne de très jolies vues sur les forêts environnantes. »On a parlé de cafés, mais on est aussi dans une région viticole en Moravie. Boit-on du bon vin à Brno ?
Zuzana C : « Bien sûr, il y a même des cépages locaux. J’ai mentionné les collines de Pálava : il y a un cépage qui s’appelle Pálava. C’est du vin blanc, un peu plus sucré. Tout au sud de Brno, quand on va vers Mikulov, vers Znojmo, plus au sud-est, on peut faire une balade dans les vignes. A Brno, il y a beaucoup de caves à vin, souvent situés dans les caves des immeubles. On peut y boire du vin des producteurs et viticulteurs locaux qui amènent leurs tonneaux. Ce n’est pas cher et c’est très bon. »
Zuzana L. : « Pour les amateurs de vin et de vélo, il est aussi possible de prendre le train depuis Brno avec son vélo pour ensuite faire le tour des caves à vin. Et le train vous ramène à Brno... C’est la compagnie de chemin de fer nationale qui organise ces petites excursions d’une journée. Sinon, on peut aller aussi jusqu’à Vienne en vélo. Et puis, petite curiosité, la plupart des villes de Moravie du Sud sont déjà jumelées avec des villes françaises, phénomène lié à la viticulture. C’est une région très demandée pour les jumelages... »