Intégration des enfants handicapés : le président Zeman jette un pavé dans la marre
Les enfants handicapés doivent-ils ou peuvent-ils être scolarisés dans les mêmes établissements que les enfants non-handicapés ? Nombreux sont ceux à penser que la question ne se pose même pas. Néanmoins, selon le président tchèque, la réponse est négative. « La vitesse d’une file de voitures dépend de la vitesse de la voiture la plus lente », a affirmé Miloš Zeman pour préciser le sens de sa pensée, lors de son passage, mercredi, dans un centre de rééducation en Bohême de l’Est. Selon le chef de l’Etat, les enfants, quel que soit leur état de santé, devraient vivre dans un environnement adapté à leurs moyens et à leurs capacités, et avec des enfants se trouvant dans la même situation qu’eux. Mais les déclarations de Miloš Zeman, considérées comme infondées y compris par le ministre de l’Education, ont entraîné une avalanche de critiques.
Mais quelle mouche a donc bien pu piquer le président Zeman, se demandent encore la plupart des personnes, spécialistes ou non, concernées de près ou de loin par la question de l’intégration des handicapés en milieu scolaire, et plus généralement dans la société. Jamais pourtant encore, le chef de l’Etat ne s’était aventuré à s’exprimer sur ce sujet délicat. Et même si Miloš Zeman s’est défendu de toute accusation de ségrégation, ses propos ne pouvaient pas ne pas susciter une multitude de réactions, toutes ou presque négatives. A en croire les médias tchèques, son porte-parole a d’ailleurs préféré ne pas répondre aux appels téléphoniques jeudi, comme celui de Tereza Laubeová, une étudiante handicapée scolarisée il y a quelques années de cela avec des enfants non-handicapés. Tereza s’apprête à envoyer une lettre ouverte au président de la République :
« Dans cette lettre, je voudrais lui faire savoir que les personnes et les étudiants handicapés sont eux aussi des gens normaux. Et qu’il devrait approfondir un peu plus sa réflexion avant de faire de telles déclarations en public. »
Même si la situation est encore loin d’être idéale, la situation des élèves handicapés, quel que soit leur handicap, tend à s’améliorer en République tchèque ces dernières années, comme le confirmait en mai dernier à Radio Prague Camille Latimier, une Française présidente d’une assiociation tchèque (SPMP) qui lutte pour le respect des droits des handicapés mentaux et de leurs familles :« Oui, il y a beaucoup d’exemples de bonnes pratiques, à Prague comme dans de plus petites villes, où souvent cela s’est fait de manière très naturelle : il y avait un enfant handicapé et l’école a appris à travailler avec lui, parce que les gens avaient de la bonne volonté. Maintenant, ce qui manque, c’est l’approche systématique pour l’intégration des enfants handicapés à l’école maternelle et élémentaire notamment. Il y a à la fois des barrières législatives, financières, mais surtout des barrières dans les mentalités. Car là où on veut que ça marche, ça marche effectivement, même quand les moyens ne suivent pas. »
Concrètement, le nombre d’enfants handicapés scolarisés dans des établissements du primaire et du secondaire en milieu ordinaire a notoirement augmenté. Selon les données communiquées en mai dernier par l’Inspection scolaire tchèque, 56% des enfants et adolescents handicapés ont fréquenté une école ordinaire lors de l’année 2012-2013, contre 47% en 2007, les autres étant scolarisés dans des classes ou des écoles dites spéciales. Dans l’enseignement secondaire, l’augmentation a été plus notable encore avec 40% d’élèves en 2012 contre 24% en 2007. Toutefois, relativement peu d’écoles sont adaptées pour un accueil sans barrières des enfants se déplaçant par exemple en fauteuil roulant, et le nombre d’élèves issus d’un milieu socialement défavorisé, disposant de toutes leurs facultés intellectuelles et physiques, mais ayant besoin d’être soutenus dans leur suivi scolaire, reste trop élevé. Ce dernier constat vaut essentiellement pour les enfants roms, un point sur lequel la République tchèque, peu respectueuse de ses engagements en la matière, est régulièrement critiquée par les instances européennes.
C’est donc un fait : l’intégration des enfants handicapés en milieu scolaire ordinaire est très généralement une réussite. Mais celle-ci pourrait être plus importante encore, comme l’explique Camille Latimier :
« Parce que j’ai vu que cela pouvait marcher même avec des enfants sévèrement handicapés, je crois à l’inclusion totale, c’est-à-dire que tous les enfants, quel que soit leur niveau de handicap, puissent être intégrés au système ordinaire. Mais cela demande une approche complètement différente de l’éducation, et ce changement ne se fera pas du jour au lendemain. Quelles que soient les différences, les enfants devraient pouvoir obtenir les soutiens dont ils ont besoin, à commencer par exemple que les écoles soient équipées de rampes pour que les enfants en chaise roulante puissent accéder aux classes... Il faudrait aussi trouver une place adéquate pour les éducateurs spécialisés. Car un des grands mythes et une des grandes peurs, c’est que tous ces éducateurs se retrouveront au chômage. Or nous avons besoin d’eux, mais il faut qu’ils viennent dans les écoles ordinaires aider et soutenir leurs collègues qui ont une formation générale. »C’est là sans doute un point parmi d’autres du principe d’intégration des enfants handicapés que le ministre de l’Education, Marcel Chládek, comme il a promis de le faire, s’efforcera d’expliquer prochainement au président de la République…